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toujours de mauvais prefages, même celles des Statues: ainsi celles de Neron s'étant trouvées renverfées un premier jour de Janvier, on en augura la mort prochaine de ce Prince. Si en fortant on heurtoit avec le pied contre le feuil de la porte; fi l'on rompoit par quelque effort les cordons de fes fouliers; ou qu'en fe levant de fon fiége on fe fentît retenu par la robe, tout cela étoit pris à mavais augure.

6o. La rencontre de certaines perfonnes ou de certains animaux, étoient de bons ou de mauvais prefages. Si on rencontroit le matin un Ethiopien, un Nain, un Eunuque, un homme contrefait, on ne manquoit pas de rentrer auffi-tôt dans fa maison, & d'y demeurer tout le refte du jour. La rencontre d'un ferpent, d'un loup, d'un renard, d'un chien, d'un chat; le cris d'une fouris, &c. ne prefageoient que des malheurs. Le lion, les fourmis, les abeilles, étoient au-contraire d'un heureux presage. 7°. Il y avoit encore des noms de bon ou de mauvais augure; & on obfervoit très-fcrupuleufement que les premiers foldats qu'on enrolloit, que les enfans qui fervoient aux Sacrifices, que ceux qui faifoient la Dedicace d'un Temple, euffent des noms heureux ; & on déteftoit ceux qui fignifioient des choses triftes & defagréables.

On pourroit encore ajouter plufieurs autres prefages à ceux que nous venons de rapporter : mais que nous apprendroit ce détail, fi-non que la fuperftition des Payens n'avoit point de bornes, puifqu'il n'y avoit, fur-tout parmi les Romains prefque aucune action de la vie, pour laquelle on n'eût recours aux prefages; aucune où l'on crût pouvoir les négliger? mais cette attention avoit lieu fur-tout dans toutes les ceremonies de Religion, dans les Actes publics, qui par cette raifon commençoient tous par ce préambule: Quod felix, fauftum, fortunatumque fit; dans les mariages, à la naiffance des enfans, dans les voyages, dans les repas, &c. Mais il ne fuffifoit pas d'obferver les prefages, il falloit les accepter quand ils étoient favorables, en remercier les Dieux, leur en demander l'accompliffement, & même les prier d'en envoyer de nouveaux qui confirmaffent les premiers; & lorfqu'ils étoient mauvais, les prier d'en détourner l'effet: Quod Di prius omen in ipfum convertant (1), dit Sinon dans Virgile, en parlant de (1) Virg. Æa. Calchas.

Liv. 2.

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Les Romains avoient des Dieux particuliers qu'ils invoquoient, & aufquels ils facrifioient, lorfqu'il s'agiffoit de détourner les mauvais prefages, & d'en prévenir l'effet ; & ces Dieux étoient nommés Averrunci, ou Averruncani, du vieux mot latin averruncare, qui fignifioit, éloigner, détourner. Mais indépendamment du fecours de ces Dieux, on croyoit pouvoir remedier aux prefages en bien d'autres manieres, puifque pour détourner l'effet d'un difcours, ou d'un objet defagréable, il fuffifoit de cracher promptement, comme pour rejetter le venin que l'on avoit refpiré. On obfervoit avec une attention fcrupuleuse, lorfqu'on ne pouvoit éviter de se servir de mots de mauvaise augure, d'adoucir les termes, & d'éloi gner autant qu'il étoit poffible, l'idée funefte qu'ils faifoient naître naturellement : ainfi au-lieu de dire qu'un homme étoit mort, on difoit qu'il avoit vêcu, vixit. A Athenes on appelloit une prifon, la maison; le Boureau, l'homme public; les Furies, les Eumenides ou les Déeffes pitoyables, ainsi du reste. Les Prodiges.

De tous les Prefages, les Prodiges étoient les plus mauvais, & ceux pour lefquels la Religion payenne prefcrivoit les plus grandes Ceremonies. Lorfque le prodige étoit fuivi de quelque évenement funefte, on ne manquoit pas de croire qu'il en étoit la caufe, ou qu'il étoit arrivé pour l'annoncer. Tite-Live, Denys d'Halicarnaffe & les autres Hiftoriens n'ont pas manqué d'inferer dans leurs Ouvrages les prodiges, que les Annales qu'ils confultoient leur apprenoient être arrivés en differens temps, & de marquer les triftes évenemens qui les avoient fuivis. Pline en rapporte auffi un grand nombre, ainfi que Valere Maxime, & Julius Obfequens en a fait une compilation. Je n'ai pas deffein de m'étendre beaucoup fur un fujet fi connu, & la Differtation de M. Freret, imprimée (1) T. 4. p. dans les Memoires de l'Academie des Belles - Lettres (1), eft

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propre à épargner bien des lectures à ce fujet.

On peut reduire à deux claffes tous les Prodiges dont parlent les Anciens. Dans la premiere, on comprend ces miracles du Paganisme, qu'il femble qu'on peut expliquer fans recourir à une caufe furnaturelle. Tel étoit entr'autres celui

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qu'on publioit des Dieux Penates que Denys d'Halicarnaffe raconte ainfi (1). » Pendant qu'on étoit occupé à perfectionner (1) Liv. 14 » les travaux, il arriva un prodige furprenant. Le Temple & » le Sanctuaire étant difpofés à recevoir les Dieux qu'Enée avoit apportés de Troye, & qu'il avoit placés à Lavinium, on tranfporta leurs Statues dans le nouveau Temple; mais le lendemain elles fe trouverent dans le même lieu, & » fur les mêmes bafes d'où elles avoient été tirées la veille,

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quoique les portes euffent été fermées pendant la nuit, & qu'il ne parût aucune bréche aux murailles : on les tranfporta » une feconde fois de Lavinium en ceremonie, & après » avoir offert un Sacrifice pour appaifer les Dieux; mais on » les retrouva encore placées dans le même endroit à Lavinium ».

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On peut mettre dans la même claffe celui de Jupiter Ter minalis, qu'il ne fut pas poffible d'arracher de fa place lors de la conftruction du Capitole : l'avanture d'Accius Nævius qui trancha, dit-on, un caillou d'un coup de rafoir, pour convaincre l'incrédulité d'un Roi de Rome qui meprifoit les Augures, & la Divination Etrufque : celle de la Veftale Æmilia qui puifa de l'eau dans un crible: celle d'une autre Veftale, qui tira à bord avec fa ceinture un vaiffeau engravé que les plus grandes forces n'avoient pu ébranler: & celle de la Veftale qui alluma avec le pan de fa Robe le Feu facré, que fon imprudence avoit laiffé éteindre. On pourroit joindre aux prodiges de cette premiere efpece, l'apparition de ces deux jeunes Cavaliers montés fur deux chevaux blancs, qui furent vûs près du lac Rhegille dans le temps que le Dictateur Pofthumius étoit fur le point de perdre la bataille, & qui ayant combattu pour les Romains jufqu'à ce qu'ils l'eurent gagnée, difparurent dans le moment, fans que le General, qui les fit chercher avec foin pour recompenfer leur valeur, pûr en apprendre aucune nouvelle : l'avanture que raconte Julius Obfequens (2) (2) C. 19. de cette Statue de Junon, laquelle interrogée par un jeune homme fi elle vouloit aller à Rome, fit un figne de tête pour marquer qu'elle y confentoit, & repondit qu'elle iroit volontiers, au grand étonnement de tous ceux qui furent prefens à ce Prodige: Vifne ire Romam, Juno? Pofteaquam capite an

nuiffet, fe libenter ituram, magnâ omnium admiratione refpondit: celle de deux bœufs qui parlerent: enfin celle de ce bouclier qui tomba du ciel fous le regne de Numa Pompilius, ainsi que. le dit le même Auteur; & plusieurs autres qui paroiffent être des effets au-deffus de la nature.

Les Prodiges de la feconde claffe étoient de ces évenemens à la verité purement naturels, mais qui arrivant moins fréquemment, & paroiffant contraires au cours ordinaire de la nature, étoient attribués à une cause fuperieure, par la fuperftition & la trop grande crédulité des Payens, effrayés à la vûe de ces effets ou rares ou tout-à-fait inconnus. Tels étoient la plupart des metéores, comme les Parelies, les feux & les lumieres nocturnes, les enfantemens monftrueux, foit d'hommes foit d'animaux, les pluies de fang, de pierres ou de cendres ou de feu, & mille autres chofes purement naturelles, dont je vais rapporter quelques exemples tirés des anciens Auteurs, & en particulier de Julius Obfequens.

(1) C. 1.

Sous le regne de Romulus, dit ce dernier Auteur (1), & dans le temps que ce Prince affiegeoit la ville de Fidenes, il tomba une pluie de fang, & auffi-tôt après, la pefte affligea la ville de (2) C.4. Rome. Sous celui de Tullus Hoftilius (2), il tomba du ciel une quantité prodigieufe de pierres, à peu près comme quand il grêle. Sous le Confulat de P. Pofthumius Tubero, & de Menenius Agrippa, on vit dans le ciel pendant une partie (3) C.9. confiderable de la nuit, des fléches enflammées (3). Ce même Auteur parle fouvent de ces mêmes feux qui apparoiffoient dans le ciel, femblables à des armées qui fe battoient; de même que des Spectres, & des voix extraordinaires qu'on avoit entendues la nuit.

Le lac d'Albe, fuivant Tite-Live, monta à une hauteur confiderable, fans aucune pluie précédente & fans aucune autre cause apparente; & cet évenement effraya fi fort les Romains qui étoient alors occupés au fiege de Veïes, que ne pouvant confulter les Etruriens avec qui ils étoient actuellement en guerre, ils furent obligés d'envoyer à l'Oracle de Delphes. Sous le Confulat de M. Valerius Maximus, & de (4) C. 27- Q. Manilius Vitulus (4), on vit fortir du fang de terre, pen

dant qu'il pleuvoit du lait ; & fous celui de C. Quintius

Flaminius,

Flaminius, & de P. Furio, un fleuve parut couvert de fang.
Les autres prodiges que rapportent les Anciens, font à
peu près les mêmes. En effet, ce font ou des Statues de
Dieux frappées de la foudre, ou couvertes de fang; ou des
tremblemens de terre, ou des inondations fubites: ici c'est
un enfant de deux mois qui crie, triomphe (1); là c'est le ciel
tout en feu, & des nuits éclairées par le Soleil, ou plutôt par
un globe de lumiere qui lui reffemble; ou des tenebres au
milieu du jour. Tantôt c'eft la naiffance d'un monftre, d'un
enfant, par exemple, qui n'a qu'une main, qui a deux têtes;
ou qui a la figure de quelque animal; une pierre d'une
extrême groffeur qui tombe du ciel ; une arc-en-ciel fans nua-
ges, &c.
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Il ne feroit pas bien difficile, fi on vouloit l'entreprendre, d'expliquer par des caufes naturelles les prodiges de cette feconde efpece. Tous ces feux nocturnes, ces lances enflam mées, ces armées qui paroiffent dans le Ciel, font ce que nous appellons aujourd'hui, la Lumiere Boreale, fi commune depuis quelques années, & peut être auffi ancienne que le monde. Ces inondations extraordinaires, & dont on ne voyoit aucune caufe fenfible, pouvoient être caufées par quelque fermentation qui faifoit élever les eaux: Les pluies de pierres, de cendre ou de feu, étoient l'effet de quelque Volcan, femblable à ceux du mont Etna ou du mont Vefuve. Celles de lait, une eau blanchâtre que quelque, difpofition de l'air avoit épaiflie: il n'eft pas douteux aujourd'hui que celles de fang, ne foient les taches que laiffent fur les pierres, fur la terre, & fur les feuilles des arbres, des papillons qui éclofent dans des temps chauds & orageux. M. de Peyrefc l'avoit déja conjecturé, il y a plus de cent ans, à l'occafion d'une de ces pluies; en obfervant que les mêmes taches fe trouvoient dans des lieux couverts; & M. de Reaumur, dans fes Memoires pour l'Hiftoire des Infectes (1), a mis la cho- (2) Tom. 2. fe hors de doute.

I

Joncki 1964

Pour les prodiges de la premiere efpece, j'avoue qu'ils font plus difficiles à expliquer mais font-ils tous bien averés ? Ont-ils été vûs & écrits par des gens habiles, dans les tempsmêmes qu'on dit qu'ils font arrivés? Ne font-ils pas fondés

Tome 1.

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(1) C. 31.

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