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la plupart fur des traditions populaires? Ne peuvent-ils pas, du moins quelques-uns, s'expliquer naturellement, fur- tout fi on en éloignoit ces circonftances merveilleufes, dont une trop grande crédulité les avoit revétus? Difons avec l'Auteur de la Differtation que j'ai indiquée, qu'on doit regarder ces faits, & tous ceux qui leur reffemblent, comme des Fables inventées par des Prêtres corrompus, & reçues par une populace ignorante & fuperftitieufe. Le confentement des peuples à tout croire, dit-il, fans avoir jamais rien vû, & qui font toujours les dupes de ces fortes d'hiftoires, ne peut gue res avoir plus de force pour nous les faire recevoir, que le témoignage des Prêtres payens, qui ont été en tour pays & en tout temps trop intereffés à faire valoir ces fortes de mira cles, , pour être des garants bien sûrs.

Quoiqu'il en foit, on ne peut rien ajouter à l'étonnement & à la confternation des Payens, à l'apparition de quelques uns de ces prodiges, de ceux même qu'il étoit aifé de juger être de effets purement naturels. Tout l'Empire en étoit trou blé, on ne parloit d'autre chofe à Rome : le Senat ordonnoit aux Quindecimvirs de confulter les Livres des Sibylles; car c'étoit principalement dans ces occafions qu'on y avoit recours, comme je l'ai déja remarqué d'après Varron, & prefcrivoit les ceremonies de l'expiation, dont nous parlerons dans le Chapitre fuivant. S'il arrivoit dans ces entrefaites quel que malheur à la Republique; fi quelque Ennemi lui décla roit la guerre s'il furvenoit quelque maladie épidemique, &c. tout étoit mis fur le compte du prodige; c'étoit lui qui étoit venu annoncer ces calamités.

On eft furpris, & avec raison, je le repete encore, de voir les Romains dont on nous donne une fi haute idée, qu'on vante comme le peuple du monde le plus fage & le plus éclairé, ce peuple Roi, comme l'appelle Virgile, porter la fuperf tition, au point où nous voyons qu'il l'a portée, principale ment à l'occasion des Prodiges; mais l'étonnement ceffe lorf qu'on confidere la foibleffe de l'homme, qui n'a d'autre guide que fes propres lumieres. On dira peut-être qu'il n'y avoit que le peuple qui donnât dans ces pueriles fuperftitions, & que les gens éclairés & les Philofophes n'en étoient pas les du

pes. Cependant la Religión qui prefcrivoit des ceremonies particulieres à ces fortes d'occafions, étoit la même pour lo peuple & pour les Philofophes. Ciceron lui-même, qui dans fes Livres de la Divination s'étoit mocqué de la plupart des fuperftitions populaires, & qui s'étonne dans un autre endroit comment deux Augures qui fe rencontroient pouvoient s'empêcher de rire, dit dans le même Ouvrage, qu'il faut refpecter l'Arufpice à caufe de la Religion & de la Republique qui l'autorisent : Arufpicinam ego, Reipublicæ caufâ communifque Religionis, colendam cenfeo. Mais nous examinerons plus à fond ce qu'on doit penfer de la Religion des Sages du Paganisme, dans les Reflexions fur l'Idolâtrie, qu'on trouvera à la fin du Livre fuivant.

L

CHAPITRE VI.

Des Expiations.

'EXPIATION étoit un acte de Religion établi pour pu rifier les coupables, & les lieux qu'on croyoit fouillés. Quoique cette ceremonie, à parler exactement, ne dût être employée que pour les crimes, cependant les crimes, cependant on en faifoit ufage dans plufieurs autres occafions (a). La crainte des calamités publiques, l'efperance d'appaifer les Dieux irrités, firent éta❤ blir plufieurs fortes d'Expiations: monftres, prodiges, préfa ges, augures, tout y fut fujet; & les facrifices expiatoires fe renouvelloient dans mille occafions, en forte qu'il n'y avoit prefque aucune action de la vie, foit privée ou publique, qui n'en eût befoin, ou qui ne fût fuivie ou précedée de la cere monie de l'Expiation. Qu'un General prît le Commandement d'une armée ; qu'on celebrât des Jeux ou des Fêtes; qu'on indiquât une Affemblée; qu'on fe fit initier à quelque myftere, on ne manquoit pas de recourir aux facrifices expiatoires. Pour la vie privée, chaque particulier avoit foin de se purifier, non-feulement pour les moindres fautes, mais encore à

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(a) Voyez l'Extrait d'une Differtation fur ce fujet, par M. l'Abbé de Boiffi; Me moires de l'Acad. des Belles Lettres, Tom. I. pelo #9 201 Lp

Expiations

l'occafion de tous les objets que la fuperftition faifoit regar der comme de finiftres préfages. Ainfi ces mots fi fouvent employés dans les Ecrits des Anciens, expiare, luftrare, purgare, februare, fignifioient, faire des actes de Religion, ou pour effacer quelque faute, ou pour éloigner les malheurs dont on étoit menacé.

Quoiqu'en general les Expiations publiques fufsent accompagnées de prieres & de facrifices, il y en avoit cependant de plus ou de moins folemnelles, de plus ou de moins chargées de ceremonies, & ce n'étoient pas toujours les mêmes Dieux qui devoient être invoqués. Ceux que les Latins nommoient Averrunci, étoient implorés pour détourner les maux que quelque prodige, ou quelque objet de mauvais augure venoient annoncer. Il étoit libre de s'adreffer aux autres, dans les occafions particulieres où l'on croyoit avoir befoin de l'Expiation.

Il y avoit donc plufieurs fortes d'Expiations, & des cere→ monies particulieres à chaque efpece. Je dirai peu de chofe de celles qu'employoit chaque particulier, puifqu'il lui fuffifoit de fe laver, ou de recevoir l'eau luftrale, lorfqu'il entroit dans quelque Temple; mais je m'étendrai un peu davantage fur celles que la Religion & les Loix avoient prefcrites.

Une des plus folemnelles étoit celle qu'on employoit à pour les Pro- l'apparition de quelque prodige. Le Senat, après avoir ordondiges. né que ceux qui avoient la garde des Livres Sibyllins les confultaffent, pour voir ce qu'il y avoit à faire dans ces occafions, indiquoit ordinairement des jours de jeûnes, des Fêtes, furtout celle des Lectifternes, des Jeux, des Prieres publiques, & des Sacrifices. On voyoit alors toute la Ville de Rome, & à son imitation toutes les autres villes de l'Empire, dans le deuil & dans la confternation; lesTemples ornés,lesLectifsternes préparés dans les places publiques, les Sacrifices expiatoires réiterés. Les Senateurs & les Patriciens, leurs femmes & leurs enfans, avec des couronnes für la tête; toutes les Tribus, tous les Ordres, précedés du fouverain Pontife & des Duumvirs, marchoient gravement dans les rues, & cette Proceffion étoit fuivie de toute la jeuneffe, qui chantoit des Hymnes ou recitoit des prieres, pendant que les Prêtres offroient les

Sacrifices expiatoires dans les Temples, & invoquoient les
Dieux pour détourner les malheurs dont on fe croyoit me-

nacé.

fe

l'Homicide.

Anciennement l'expiation de l'homicide étoit peu chargée Expiation de de ceremonies; mais dans la fuite on y en joignit beaucoup, & on la rendit même très-difficile. Il fuffifoit d'abord pour se purifier d'un meurtre, de fe laver dans de l'eau courante; & c'eft ainfi, au rapport d'Athenée (1), qu'Achille fut purifié (1) L. 2. c. 6r aprés avoir tué Strambelus, Roi des Leleges. Enée au fortir du fac de Troye, pria fon pere de fe charger des Dieux Penates, qu'il vouloit emporter avec lui, n'ofant lui-même les toucher (a), jufqu'à ce qu'il fe fût purifié dans quelque fleuve: donec me flumine vivo abluero (2); punition, fi toutefois c'en (2) Aa. L. » étoit une, bien legere pour un crime tel que l'homicide. Auffi Ovide, après avoir parlé de plufieurs Heros qui avoient été purifiés de cette maniere, s'écrie qu'il faut être bien crédule pour fe perfuader qu'on peut à fi peu de frais être purge

d'un meurtre:

Ah! nimium faciles, qui triftia crimina cadis

Flumined tolli poffe putatis aquâ (3).

Cette forte d'Expiation ne dura pas long-temps, puifque nous voyons dès les fiecles Heroiques, qu'elle étoit accompagnée de ceremonies plus gênantes & plus folemnelles : lors même que le coupable étoit homme de diftinction, les Roiseux-mêmes ne dédaignoient pas d'en faire la ceremonie. Ainfi dans Apollodore, Copréus qui avoit tué Iphife, eft expié par Euryfthée, Roi. de Mycenes. Adrafte, felon le temoignage d'Herodote, alla fe faire expier par Crefus Roi de Lydie. Souvent même le Heros homicide étoit obligé de parcourir plufieurs pays, ne trouvant perfonne qui voulût l'expier; ce qui arriva a Hercule, qui le fut enfin par Céyx, Roi de Trachine.

Perfonne n'a decrit dans un plus grand détail la ceremonie de cette forte d'expiation, qu'Apollonius de Rhodes, à l'oc

(a) Tu, Genitor, cape facra manu, patriofque Penates;

Me bello à tanto digreffum, & cæde recenti,
Attrectare nefas. Virg. Æn. liv. 2.

(3) Faft. L. z.

22.

casion du meurtre d'Abfyrte, frere de Medée, tué par Jafon : ce Prince, dit-il, étant arrivé avec Medée dans l'Ifle d'Æa, fit prier Circé de vouloir faire pour eux la ceremonie de l'expiation; & ayant reçû la permiffion d'aller au Palais de cette Princeffe, ils s'avancerent l'un & l'autre les yeux baiffés, felon la coûtume des fupplians, jusqu'au foyer, où Jason ficha en terre l'épée dont il avoit tué fon beau-frere. Leur filence & leur fituation firent aisément connoître à Circé qu'ils étoient fugitifs & coupables de quelque homicide, & elle se prépara à les expier. Elle fit d'abord apporter un petit cochon, qui tetoit encore, & l'ayant égorgé, elle frotta de fon fang les mains de Jafon & de Medée. Elle fit enfuite des Libations en l'honneur de Jupiter Expiateur. Après quoi ayant fait jetter hors de la falle les reftes du Sacrifice, elle brûla fur l'Autel des gâteaux paitris de farine, de fel & d'eau, & accompagna ces ceremonies de prieres propres à fléchir la colere des Eumenides qui pourfuivent ordinairement les coupables. La ceremonie finie, elle fit affeoir ses hôtes fur des fieges magnifiques, pour les regaler.

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Les Romains avoient pour l'Expiation du meurtre, des ceremonies differentes de celles des Grecs. Nous en trouvons un exemple bien autentique dans Denys d'Halicarnasse, qui raconte de quelle maniere fut expié Horace après avoir tué (1) Liv. 3. c. fa fœur. » On fe declara, dit-il (1), pour le pere du jeune Horace, & le fils fut abfous du crime de parricide: mais le Roi qui ne crut pas que dans une ville qui faifoit profeffion de craindre les Dieux, le jugement des hommes » fuffit pour abfoudre un criminel, fit venir les Pontifes, & voulut qu'ils appaifaffent les Dieux & les Genies, & que le coupable paffat par toutes les épreuves qui étoient en ufage, pour expier les crimes où la volonté n'avoit point » eu de part. Les Pontifes éleverent done deux Autels, l'un » à Junon, protectrice des fœurs, l'autre à un certain Dieu » ou Genie du Pays, qui depuis porta le nom des Curiaces, qu'Horace avoit tués. On offrit fur ces Autels plufieurs Sacrifices d'expiation, après lefquels on fit paffer le coupable sous le joug; c'est-à-dire, fous une traverse de bois foutenue » par deux autres morceaux de bois

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