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Mais ce ne font pas feulement les Poëtes qui parlent de l'Evocation des Efprits, l'Hiftoire en fournit auffi des exemples. Periandre, Tyran de Corinthe, alla chez les Thefprotes pour confulter fa femme Meliffe, au fujet d'un dépôt : & les Lacedemoniens ayant fait mourir de faim Paufanias dans le Temple de Pallas, & ne pouvant appaifer fes manes qui les tourmentoient fans relâche, firent venir, au rapport des Hiftoriens, les Magiciens de Theffalie, qui ayant évoqué les ames de fes ennemis, elles donnerent fi bien la chaffe à la fienne, qu'elle fut obligée de vuider le pays.

Je n'ai pas deffein d'étaler les horribles pratiques que mettoient en ufage les Necromantiens, en évoquant les ombres des morts: il me fuffit d'avoir montré le rapport & la liaison que cet art funefte avoit avec la Religion payenne qui les autorifoit.

Finiffons en remarquant que cette maniere de parler, évoquer les ames, n'eft pas exacte: car ce que les Magiciens, & les Prêtres établis dans les Temples des manes, évoquoient, n'étoit ni le corps ni l'ame, mais quelque chofe qui tenoit le milieu entre l'ame & le corps, & que les Grecs appelloient danov, les Latins, fimulachrum, imago, umbra. Quand Patrocle prie Achille de lui accorder les honneurs de la fepulture, c'eft afin que les images legeres des morts, ne l'em

pêchent pas de paffer le fleuve fatal: ce n'étoient ni l'ame ni le corps qui defcendoient dans les Enfers, mais ces ombres. En effet Ulyffe voit l'ombre d'Hercule dans les Champs Elyfées, pendant que ce Heros eft dans les cieux. Mais j'expliquerai ce point de la Theologie payenne, lorfque je parlerai des Enfers (1).

(1) Tome III.

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(1) De Divin. Liv. I

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CHAPITRE VIII.

De l'Aftrologie.

Es Anciens ne font pas d'accord fur les Peuples à qui on doit attribuer l'invention de l'Aftrologie. Herodote dit qu'elle prit naiffance en Egypte ; & on convient qu'elle y étoit cultivée dès les temps les plus reculés; mais le nom de Science Chaldaïque qu'elle a toujours porté, prouve que c'eft dans la Chaldée qu'il faut en chercher l'origine; auffi eft-ce le fentiment de Ciceron (1). » Comme les Affyriens, dit-il, habi> tant de vastes plaines, d'où ils découvrent le ciel de toutes parts, ont les premiers obfervé le cours des Aftres, ils ont été auffi les premiers qui ont appris à la pofterité les effets qu'ils ont cru devoir leur attribuer; & ont fait de leurs Observations une science, par laquelle ils prétendent pou» voir prédire à chacun ce qui lui doit arriver, & quelle def» tinée lui eft préparée dès fa naissance ». Un paffage du Prophete Ifaïe nous apprend que cet art de prédire l'avenir par le moyen des Aftres, étoit très-ancien dans la Chaldée, & en particulier à Babylone qui en étoit la Capitale : Appelle (2) Cap. 47. maintenant à ton fecours, dit ce Prophete (2) en apoftrophant cette ville idolâtre, les Augures qui obfervoient les Aftrès, & qui fupputoient les mois pour t'annoncer l'avenir.

V. 15.

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Voila donc l'Aftrologie judiciaire connue en Chaldée dès les temps les plus reculés : c'eft tout ce qu'on peut dire de certain fur l'origine de cette fcience. Car, ferions-nous plus avancés, quand il feroit vrai, comme le dit Suidas, que Zoroaftre & Oftanes en furent les inventeurs, puifqu'il resteroit toujours beaucoup de difficultés fur le pays de ces deux perfonnages, & encore plus fur le temps où ils ont vêcu ? Des (3) Preparat. témoignages de Berofe & d'Eupoleme, cités Eufebe (3), -Evang. Liv. 7. nous apprennent à la verité qu'Abraham étoit fort verfé dans la connoiffance des Aftres, & poffedoit ce qu'on appelloit anciennement la science Chaldaïque ; mais ces deux Auteurs n'ont pas diftingué l'Aftronomie, à laquelle peut-être ce faint

par

Patriarche s'appliqua, d'avec l'Aftrologie judiciaire : car il eft fouvent arrivé que l'on a confondu ces deux fciences, quoique l'une foit auffi fage & auffi utile, que l'autre eft vaine & frivole.

De la Chaldée cette science paffa en Egypte, où elle fut fort cultivée, comme on l'a déja remarqué, & de l'Egypte dans la Grece; c'eft le chemin ordinaire des fciences, des arts, & des fables. Les Grecs vains & curieux s'y appliquerent beaucoup; & Chilon Lacedemonien, l'un des fept Sages de la Grece, fut, dit-on, le premier qui s'y addonna. De la Grece elle fut portée dans les autres pays occidentaux, où elle fit tant de progrès, que jamais aucune fcience ne fut plus univerfellement répandue.

Je n'ai pas deffein de m'étendre fur fes progrès, encore moins fur les pratiques differentes qu'employoient les Aftrologues, pour parvenir par l'infpection des Aftres à la connoiffance de l'avenir: rien de fi frivole que les principes fur lef quels ils fe fondoient. En effet, qu'est-ce que cet état du ciel que prend l'Aftrologue, & fur quoi appuye-t'il les prédictions qu'il en tire? Les Anciens Aftronomes avoient divisé le Zodiaque en douze portions, & avoient donné des noms aux douze Constellations qui le formoient; mais elles pouvoient en avoir d'autres, & les avoient en effet dans d'autres Planif pheres. La Sphere barbarique, dit Firmicus, étoit entierement differente de celle des Grecs & des Romains, & celle des Chinois differoit encore des unes & des autres. Dans la Sphere grecque, les Planetes portoient les noms de fept Divinités ; les Arabes qui auroient cru commettre une Idolâtrie, s'ils avoient placé des figures humaines dans le ciel, avoient mis à leur place, des animaux ou d'autres chofes ; des Paons, par exemple, à la place des Jumeaux; une gerbe, au-lieu de la Vierge; un carquois, pour le Sagittaire, &c. tout cela a été arbitraire. D'où vient donc que les Aftrologues jugeoient du temperament & des actions des hommes nés fous l'afpect de ces Planetes ou de ces Constellations, eu égard à leurs noms? Pourquoi difoient-ils que celui qui étoit né fous le Signe de la Vierge étoit chafte? Que ceux à la naiffance defquels avoit prefidé Venus, étoient galants & amoureux? Que

que

Mercure rendoit vif & ingenieux; Saturne fage & prudent; la Lune faifoit les bons navigateurs; Mars, les guerriers, &c? ces Conftellations & ces Planetes avoient elles le moindre rapport avec les fymboles qui les reprefentoient? Et pourquoi avoient-elles ce même rapport dans les pays où on les reprefentoit differemment ?

D'ailleurs, qui peut fe vanter de prendre au jufte l'état du ciel, au moment de la naiffance de quelqu'un; de ce ciel, qui change à chaque inftant, & qui eft fi prodigieufement éloigné de nous ? Mais pourquoi entreprendre de refuter ces abfurdités ? Tant d'autres l'ont fait avant moi, & il est si aifé de triompher fur ce fujet, que le fuccès ne doit guere Alatter. N'eft-il pas évident en effet, je dis d'une évidence à faire revenir les plus opiniâtres & les plus entêtés, que ces corps, qui roulent dans des efpaces fi éloignés de nous, ne fçauroient diriger fi jufte leurs influences, (c'eft-à-dire, les petits corpufcules qui s'en détachent, car je défie que l'on conçoive autrement leur action) qu'elles viennent fans que rien les détourne, tomber directement fur notre terre qui n'eft qu'un point invisible à leur égard, où il leur faudroit plufieurs années pour y arriver, quand même elles iroient auffi vîte qu'un boulet de canon; fur un Royaume, fur une Province, fur une Ville, fur une maifon, & en particulier fur un homme, qui n'y occupe qu'un très-petit efpace? Comment concevroit-on, quand même ces corpufcules arriveroient dans l'endroit où naît un enfant qu'ils puffent déterminer toutes les actions de fa vie, avec lefquelles ils n'ont certainement aucune liaison; agir fur fes pensées, fur fa liberté, &c? Par quel excès d'extravagance a-t'on donc ofé avancer, que ces influences agiffoient fi puiffamment fur nous, qu'elles déterminoient toutes nos actions; qu'elles nous portoient au bien ou au mal; qu'elles formoient nos temperamens, nos inclinations, nos habitudes? Comment a-t'on pu dire ferieusement que que le Signe du Belier prefidoit à la tête; le Taureau, au gofier; les Jumeaux, à la poitrine; le Scorpion, aux entrailles; les Poiffons, aux pieds: que le Lion donnoit la force; que les afpects differens de ces Signes étoient caufe de la bonne ou de la mauvaise difpofition de nos corps? Qu'il falloit bien fe donner de garde, par exem

ple, de prendre medecine fous l'afpect du Taureau, parce que, comme cet animal rumine, on la vomiroit; ainsi que mille autres extravagances que j'aurois honte de rapporter?

Finiffons ce Chapitre & ce Livre par une reflexion. Nous feroit-il avantageux de penetrer dans cet avenir, qu'on s'eft

tant efforcé de connoître ? Non certainement, & c'eft avec une fageffe infinie, que Dieu nous l'a caché, comme le dit. Horace :

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Prudens futuri temporis exitum
Caliginofa nocte premit Deus.

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(1) De Div.

Rien n'est si touchant ni fi beau que ce que dit Ciceron à cette
occafion (1).
Dans quelle trifteffe n'auroit pas été plongé Lib. 2.
Priam le refte de fa vie, s'il avoit fçu le fort funefte qui lui
étoit refervé ? Les trois Confulats de Pompée, fes trois
Triomphes, l'auroient-ils rendu fenfible à la moindre joie,
» s'il avoit pû prevoir, ce que nous ne fçaurions dire nous-
mêmes fans verser un torrent de larmes, qu'un jour, après
» la perte d'une bataille & la deroute entiere de fon armée,
il feroit tué dans les deferts de l'Egypte? Et qu'auroit pensé
Cefar, s'il avoit fçu auffi qu'au milieu de ce même Senat,
qu'il avoit rempli de fes amis & de fes créatures, près de
la Statue de Pompée, à la vue de ses Gardes, il feroit
percé de
coups par fes meilleurs amis, & fon corps aban-
donné, fans que perfonne ofât en approcher ? Il est donc
plus utile & plus avantageux pour nous d'ignorer, que de
» connoître les maux qui nous font refervés ». Certè igitur.
ignoratio futurorum malorum melior eft, quàm fcientia.

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