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vivement frappés quand un Auteur fçait ménager une intrigue aux dépens de la vérité, que s'il la reprefentoit telle qu'elle eft arrivée. Pasiphaé amoureuse d'un Capitaine nommé Taurus, n'auroit pas fait fur les Théatres de la Grece, où elle étoit haïe mortellement à caufe de Minos, la même impreffion qu'elle fit lorsqu'on la reprefenta amoureuse d'un Taureau que Neptune avoit fait fortir de la mer. On eft bien plus touché de voir Andromede ou Hefione expofées à des monftres, qu'à des Corfaires; & Didon qui defefperée de la perte d'un Amant fe perce le fein, nous frappe bien plus vivement, que fi elle fe tuoit pour la mort d'un Mari, comme l'Hiftoire nous l'apprend. C'eft ainfi qu'on s'eft fait un merite de mentir avec art, d'inventer felon certaines regles, de feindre des actions, des converfations, des fentimens ; & la Fable est montée fur le Théatre comme fur fon Trône.

Les Peintres

teurs.

Enfin on peut dire que les Peintres travaillant d'après les imaginations Poëtiques, ont auffi donné cours à quelques Fa- & les Sculpbles; & c'eft peut-être à eux, du moins en partie, que nous devons l'existence des Centaures, des Sirennes, des Harpyes, des Nymphes, des Satyres & des Faunes, qu'ils ont peints fur les Portraits qu'en faifoient les Poëtes, ou fur quelques Relations de Voyageurs & de Pefcheurs ; ils ont même fouvent donné cours aux Hiftoires fabuleufes, en les reprefentant avec art; ce qui eft fi vrai, comme je le remarquerai dans la fuite, que les Payens devoient l'existence de plufieurs de leurs Dieux, à quelques belles Statuës, ou à des Tableaux

bien faits.

ce. La plura

des noms.

Comme il eft fouvent arrivé qu'une même perfonne a eu Sixième fourplufieurs noms, ce qui étoit fort commun parmi les peuples lité, ou l'uniOrientaux, on a crû dans la fuite des temps, en lifant des té Hiftoires mal digerées & des avantures affez incompatibles, qu'il s'agiffoit de differentes perfonnes; delà la multiplication des Heros on a partagé entre plufieurs, les actions & les voyages d'un feul. Mercure, par exemple, s'appelloit Thaut en Egypte, Teutat chez nos anciens Gaulois, Hermès chez les Grecs. Pluton, Dis chez les Celtes, Adès chez les Grecs, Sumanus chez les Latins, Soranus chez les Sabins; & comme on ne connoiffoit quelquefois dans un pays le Heros ou Tome I. F

Septiéme fource. L'ignorance de La Philofophic.

le Dieu que fous un feul nom, & qu'on ne fçavoit pas trop ce qu'il avoit fait hors delà; quand on venoit à lire d'autres avantures que celles dont on avoit oui parler, d'autres noms ou d'autres qualités, on ne doutoit point qu'il ne s'agit de différentes perfonnes; delà ce prodigieux nombre de Jupiters, de Mercures, &c. On a quelquefois fait tout le contraire; & quand il eft artivé que plufieurs perfonnes ont porté le même nom, on a attribué à un feul, ce qui devoit être partagé entre plufieurs, & l'Hiftoire du plus connu, a été chargée des avantures de tous les aurres: Telle est l'Hiftoire d'Hercule de Thebes, dans laquelle on a mêlé les actions & les Voyages d'Hercule Phénicien, & de plufieurs autres Heros du même nom : telle eft encore l'Hiftoire de Jupiter fils de Saturne dans laquelle on a raffemblé les avantures de plufieurs Rois de Crete, qui ont porté le même nom, qui étoit commun parmi les anciens Rois, comme celui de Pharaon ou de Ptolemée l'étoit en Egypte, ou celui de Cefar parmi les Empereurs Romains.

L'ignorance de la Philofophie, & fur-tout de la Phyfique, a auffi donné lieu à beaucoup de Fables: la curiofité fi naturelle aux hommes, les a toûjours portés à chercher la caufe des évenemens qui furprennent (a); & dans les fiécles barbares, où l'on étoit fi peu avancé dans la connoiffance de la nature, on avoit recours à des choses sensibles & groffieres: on animoit tout, les fleuves, les fontaines, les aftres. C'étoit un excellent abregé des recherches; rien de plus aifé que de rapporter à des causes animées, des effets dont on ignoroit les principes. On donna enfuite de la Divinité aux chofes qu'on n'avoit fait qu'humanifer; le Soleil fut adoré fous le nom d'Apollon, la Lune fous celui de Diane. La crainte de leurs influences, & la part qu'on leur donne à tout ce qui fe paffe ici-bas, furent fans doute la caufe de leur apotheofe, & du culte qu'on établit pour les appaiser lorfqu'on les croyoit irrités. Les Prêtres établis cela, inventerent des Hiftoires, & publierent des apparitions de leurs prétenduës Divinités, pour perpétuer par là un culte lucratif. Ils dirent, par exemple, que Diane étoit devenuë amoureufe d'Endymion, & (a) Voyez le projet du P. Tournemine. 1. cit.

pour

que la caufe de fes éclipfes devoit fe rapporter aux vifites qu'elle rendoit à fon Amant, dans les montagnes de la Carie; mais comme fes amours ne durerent pas toujours, il fal lut chercher une autre cause de fes éclipfes. On publia que les Sorcieres, fur-tout celles de Theffalie, où les herbes venimeufes étoient plus communes, par l'écume que Cerbere tiré des Enfers y avoit laiffé tomber, fuivant une autre Fable, avoient le pouvoir par leurs enchantemens, d'attirer la Lune fur la terre (a). De même, comme on ne connoiffoit pas la caufe des vents, on crut que c'étoient des Divinités fou gueufes, qui caufoient des ravages fur terre & fur mer; & pour reprimer leur audace, on leur donna une Divinité su→ perieure; Eole, pour les raifons que nous dirons dans fon Hiftoire, fut établi leur Roi (1). Chaque Fleuve & chaque (1) Virg. I Fontaine, eurent auffi leur Divinité tutelaire; & foit qu'on eût donné aux Fleuves les noms des premiers Rois qui avoient habité le Pays où ils couloient, foit que les Rois en euffent pris le leur, comme nous le dirons plus bas ; on les confondit dans la fuite, & on divinifa le Prince en faveur du Fleuve. Fallut-il parler de l'Iris ou de l'Arc-en-ciel, dont ils ignoroient la nature, ils en forgerent une Divinité; fa beauté la fit paffer pour la fille de Thaumas, perfonnage poëtique, dont lenom veut dire merveilleux : & parce que la tradition du Déluge leur avoit apparemment appris que Dieu avoit fait paroître l'Arc-en-ciel comme un figne de reconciliation, ils regarde

(a) L'Origine de cette Fable venoit d'une certaine Aganice fille d'Hegetor Thef falien, qui ayant appris la caufe & le temps des Eclipfes, quand il en devoit arriver publioit que par fes enchantemens elle alloit attirer la Lune fur la terre, exhortant en même temps les femmes Theffaliennes à faire avec elle un grand bruit, pour la faire remonter à fa place. Lorfqu'on voyoit dans la fuite le commencement d'une Eclipfe, on faifoit un grand bruit de chaudrons & d'autres inftrumens, pour empêcher d'entendre les cris & les prieres des Magiciennes.

Cantus & è curru Lunam deducere tentat,

Et faceret, fi non ara repulfa forent;

Comme dit Tibulle, 1. 1. Eleg. 9. Les peuples des Indes & de la Chine croyent encore aujourd'hui que la caufe des Eclipfes vient de ce qu'un Dragon veut devorer la Lune, & quelques-uns d'entr'eux font un grand bruit pour lui faite lâcher prife, pendant que les autres fe mettent dans l'eau jufqu'au col, pour le fupplier de ne la pas devorer entiérement. Si l'on vouloit remonter à la fource de cette Coûtume, on trouveroit qu'elle vient d'Egypte, où Ifis, qui étoit le fymbole de la Lune, étoit honorée avec un bruit pareil de chaudrons, de tymbales, de tambours, &c. Voyez Nic. Frischlin, l. 3. Aftr. p.454.

Eneid.

(

rent depuis leur Iris comme la Meffagere des Dieux, & furtout de Junon, parce qu'elle annonce la difpofition de l'air, reprefenté par cette Deeffe. Le nom même d'Iris lui fut donné, si nous en croyons Platon (a), pour marquer son employ.

Áinfi furent formées plufieurs Divinités Phyfiques, & tant de Fables Aftronomiques, comme nous le dirons dans la fuite. C'étoit-là une pitoyable Philofophie; mais on n'avoit rien de meilleur, & les Poëtes étant venus dans la fuite à embellir ces idées fenfibles, de tous les ornemens que leurs Mufes, fécondes en fictions, purent leur fournir, on fe plut tellement à ne confiderer la nature que fous ces agréables images, qu'on ne fongea pas même pendant un affez longtemps, à pouffer plus loin les découvertes. Le plus grand mal, c'est que la Religion se trouva intereffée dans ce fyftême: elle augmenta fes ceremonies à l'invention de chaque Divinité, & l'on regarda comme des impies, ceux qui voulurent voir un peu plus clair. Ainfi l'infortuné Anaxagore fut puni de mort, pour avoir enfeigné que le Soleil n'étoit point animé, & qu'il n'étoit qu'une lame d'acier de la grandeur du Peloponnefe. On peut conclure de tout ce que nous venons de dire, qu'on a eu raison de croire qu'une partie de la Philofophie des Anciens, étoit renfermée dans leurs Fables pourvû qu'on veuille avouer que c'étoit une Philofophie fort groffiere, & un fyftême fondé fur le rapport des fens, & tel qu'un Payfan pourroit l'imaginer.

(a) Il fait venir ce hom de ipe, nunciare. Le Sçavant Voffius le derive de ir ou hir, Ange ou Meffager. Paufanias dit qu'il vient de tes, difcorde, parce que les meffages d'Iris tendoient à la difcorde & à la guerre, comme ceux de Mercure à la paix & au repos.

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T

les eaux

peu

Huitiéme fource. L'é

des Arts.

Ous les hommes s'étant trouvés fubmergés par du Déluge, excepté Noé & fa famille, le monde ne tabliffement put être repeuplé que très long - temps après: on ne peut des Colonies pas douter auffi, comme nous le dirons bien-tôt, que les Pays & l'invention les plus voifins du lieu où l'Arche s'arrêta, n'ayent été plés les premiers; ainfi la Syrie, la Palestine, l'Arabie, & l'Egypte, furent habitées long-temps avant les Climats d'Occident. Ceux qui arriverent les premiers dans la Grece, y vêcurent dans une ignorance & dans une groffiereté étonnantes, fans arts, fans coûtumes, fans loix, fe couvrant de feuilles, & broutant l'herbe des Champs; les Rochers & les Cavernes leur fervoient de demeure, & tout leur foin étoit de fe défendre des bêtes feroces, dont les bois étoient remplis: ils n'avoient gueres d'autre commodités que celles qu'ils fe procuroient par la guerre qu'ils faifoient aux animaux. Pour peu qu'on fçache l'Antiquité & qu'on ait lû les Poëtes, on reconnoit aisément à cette peinture les premiers habitans de la Grece (1).

(1) Voyez Diod. de Sicil

Quand les étrangers, Egyptiens ou Pheniciens, gens po- 1.2. lis & fçavans eu égard à ces temps-là, y arrivoient, ils tâchoient d'adoucir l'humeur feroce de ce peuple barbare, foir pour découvrir par ce moyen les richeffes de leur pays, foit pour les obliger à fouffrir qu'ils y laiffaffent quelques Colonies pour entretenir le Commerce. Enfuite ils leur firent part de leurs Coûtumes, de leur maniere de s'habiller & de fe nourrir; ils leur apprirent à manger des châtaignes fauvages & d'autres fruits, au lieu de l'herbe dont ils fe nourriffoient, fouvent avec beaucoup de danger pour leur vie; voilà, pour le dire en paffant, l'origine de la Fable, qui portoit qu'on leur avoit appris à manger du gland; ce qui eft faux, le gland n'étant en aucune maniere propre à nourrir l'homme; cependant cette fiction fe trouve dans toutes les anciennes traditions

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