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» ce font des choses, dit ce Pere de l'Eglife, qui caufent une juste admiration à Porphyre; mais fous prétexte de les admirer, & d'en rechercher les causes, il fait affez entendre » que ce font des operations de ces Efprits, dont il a aupa» ravant representé les qualités felon l'opinion des autres ; Efprits de feduction par leurs vices, & non pas de leur nature, comme il le dit & le penfe lui-même ».

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Quoiqu'il en foit, Jamblique repond à cette Lettre article par article, & parlant dans la neuviéme Section, de ce qui regarde les Genies, il paroît également perfuadé de leur existence & de leur pouvoir. D'abord, il commence par avouer que cette matiere eft fort embarrassante, & fujette à de grandes difficultés. Car, dit-il, on croit que chaque homme peut avoir fon Demon, ou par la vertu & l'afpect des Aftres qui prefident à fa naiffance, ou qu'il lui eft afsocié par l'art divin de la Magie Théurgique. Il ajoute que le premier de ces moyens n'a rien que de naturel, & que le fecond dépend des caufes furnaturelles ; & il blâme fort l'Auteur de la Lettre, fans toutefois le nommer, de n'avoir parlé que premier de ces moyens, fur lequel il fait rouler toutes ces difficultés, fans avoir fongé à faire mention de celui qui eft le feul veritable. Enfuite après avoir prouvé l'incertitude de l'horofcope, & de toutes les autres pratiques de l'Aftrologie, il fait voir qu'il n'y a que la Théurgie qui puiffe amener à quelque connoiffance certaine. » Ce n'eft donc point, conclut-il, par la pofition des Aftres au moment de notre naissance, R que le Genie qui doit prefider à notre vie nous eft envoyé: » il existoit avant nous, & c'eft lui qui au moment de la conception fe rend maître de l'ame, & l'unit au corps. Toutes nos pensées viennent de lui, & nous n'agiffons que con» formement aux idées qu'il nous donne (a). Enfin il nous gouverne entierement jufqu'à ce que l'ame, élevée & devenue parfaite par les fpeculations de la Théurgie, ou de cette Magie divine qui nous unit avec Dieu, fe degage de » la fervitude de ce Genie, qui alors ou l'abandonne, ou en devient lui-même l'efclave. Ce Demon, c'est toujours Jam(1) Chap. 8. blique qui parle (1), n'eft point nous-mêmes, c'eft un être (a) Voyez les Chapitres VI. & VII. de la neuviéme Section.

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independant de nous, d'un ordre fuperieur à notre ame, » & n'en fait point partie, ainsi que Porphyre fembloit le croire. » Comme il ne nous eft point envoyé par quelque partie de l'univers, tels que les Aftres, &c. mais par l'univerfalité de la nature, il prefide à toutes nos pensées, à toutes nos ac»tions, & à toutes nos affections: ainfi nous n'avons pas befoin, comme l'Auteur de la Lettre l'infinue, d'en avoir plusieurs, l'un pour la fanté, l'autre pour la beauté, &c. » un feul nous fuffit, & il eft ridicule d'en admettre un pour le corps, & un pour l'ame. C'est donc en vain que quelques perfonnes ont établi differentes formules de prieres pour leurs Genies; il n'en faut qu'une, puifque Dieu qui nous envoye à chacun notre Genie, eft un de fa nature ».

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Ainfi raisonnoit Jamblique contre fon maître Porphyre, qui ne paroiffoit pas auffi perfuadé que lui de l'exiftence de ces Genies. Comme cette myfterieufe Philofophie, puifée dans l'Ecole de Platon, & foutenue de quelques dogmes mal entendus de la Religion Chrétienne, fit beaucoup de progrès dans les deux premiers fiécles de l'Eglife, les premiers Peres s'attacherent à la combattre, & n'eurent pas de peine à triompher des vains raisonnemens des Sophiftes qui la foutenoient.

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Apulée dans l'Ouvrage qu'il compofa fur le Demon de Socrate, qui étoit felon lui, un de ces Genies dont nous venons de parler, après avoir dit que c'étoient des Efprits qui n'avoient jamais été unis à aucun corps, nous developpe ainfi le fentiment de Platon fur ce fujet. » De ces Demons, dit-il, Platon eftime que chaque homme a le fien, qui le garde & qui » eft le temoin, non feulement de fes actions, mais auffi de fes pensées ; & que lorfqu'on vient à mourir, ce Genie » traduit en jugement la perfonne du foin de laquelle il étoit » chargé; & fi lorfqu'elle eft interrogée par fon Juge, elle » ne repond pas fuivant la verité, il la reprend & la blâme très-feverement, comme il en fait l'éloge, lorfque ce qu'elle dit eft veritable; & c'eft fur l'approbation du Genie que la Sentence eft prononcée; car ce Demon fçait tout ce qui. » fe paffe dans l'homme, jusqu'à fes plus fecrettes pensées ». Quoique Platon & Jamblique ayent cru que chaque homme n'avoit qu'un feul de ces Genies pour le conduire, & prefider

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à toutes fes actions, d'autres Philofophes cependant de la même Ecole étoient perfuadés que nous en avions deux, fun bon, l'autre mauvais ; c'eft ce que nous apprenons de Servius. Ce fçavant Commentateur, fur cet endroit où Virgile dit (1)Eneid. 1.6. Quifque fuos patimur manes (1), dit: Volunt unicuique Genium appofitum, Dæmonem bonum & malum; hoc eft, rationem qua ad meliora femper hortatur, & libidinem quæ ad pejora: hic eft Larva & Genius malus ; ille bonus Genius & Lar. On pré

V. 743.

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que chacun a deux Genies, l'un bon, & l'autre mauvais ; c'eft-à-dire, la raifon qui porte au bien, & la cupidité qui induit au mal: le dernier eft ce qu'on appelle Larua, l'autre bon Genie, ou Lar ».

L'opinion qui enfeignoit l'exiftence de ces Genies eft plus ancienne que Platon, & il feroit difficile d'en découvrir l'origine. Peut-être étoit-elle puisée dans la même fource où l'Au(2) L. II. c. 5. teur du Livre d'Henoc, dont nous avons parlé (2), avoit pris

P. 113.

ce qu'il raconte des Anges; c'est-à-dire, dans la tradition, mais corrompue & alterée, de la rebellion de ces mêmes Anges. Quoiqu'il en foit, c'étoit un fentiment affez generalement reçu, qu'il y avoit une infinité de ces Efprits, inferieurs à la verité au Souverain Etre, dont ils étoient comme les miniftres & les médiateurs, mais fuperieurs à l'homme dont ils prenoient foin.

Les Dieux, difoient quelques Philofophes, font trop élevés au-dessus des hommes, pour qu'il puiffe y avoir entr'eux aucun commerce, aucun rapport; & ce devoit être par le moyen de ces Puiffances mitoyennes entre Dieu & l'homme, que devoient être établis & ce rapport & ce commerce. C'étoient eux qui prefentoient nos prieres aux Dieux, qui leur portoient nos vœux, & qui en même temps venoient communiquer aux hommes les biens que ces mêmes Dieux daignoient leur départir; Theologie fauffe dans fon principe, puifque quelque parfaite que l'on conçoive une créature, reftera toujours entre Dieu & elle une distance infinie; Theologie pitoyable dans fes confequences, puifqu'elle fuppofoit des Dieux qui relegués dans le ciel, n'étoient pas prefens à tout par leur immenfité, & avoient befoin du miniftere d'autres Puiffances, pour connoître & pour foulager nos besoins;

Theologie enfin qui abufoit étrangement de ce que dit l'Ecriture, des Anges que Dieu a établis comme fes Miniftres : qui facit Angelos fuos fpiritus, &c.

Il faut pourtant convenir qu'on ne voit pas que ces Philo fophes aient cru que ces Genies, ou ces Demons, fuffent des Dieux ; mais comme l'Idolâtrie ne mettoit point de bornes à la fuperftition, ces mêmes Genies furent enfin regardés comme des Divinités, & eurent leur part dans le culte qu'on rendoit aux Dieux. De-là les Temples, les Chapelles & les Autels que l'Antiquité nous apprend leur avoir été confacrés: de-là encore ces Infcriptions fi communes, Genio loci, Genio Augufti, Junonibus, &c. Il eft vrai qu'on mettoit ces Genies dans la derniere Claffe, & dans ce qu'Ovide appelloit la Populace des Dieux; mais il n'en avoient pas moins pour cela, des Autels & des Sacrifices: car la raifon même qu'on avoit de les honorer, étoit fondée sur les raffinemens de quelques Philofophes, qui debitoient, comme nous le dirons dans les Reflexions fur l'Idolâtrie, que Dieu fouverainement heureux, ne pouvoit en aucune maniere s'irriter; mais que ces Etres intermediaires entre l'homme & Dieu, étoient fouvent de mauvaise humeur, & qu'ainfi il falloit leur offrir de l'encens & des Victimes pour les appaifer.

Chaque homme, dans les principes de cette Theologie, avoit donc fon Genie particulier, ou même deux, fuivant quelques Anciens ; & c'est ce qui fait dire à Pline, comme nous l'avons déja rapporté en parlant du progrès de l'Idolâtrie (1), que le nombre des Dieux, car if met pofitivement (1) Liv. III. dans ce nombre les Genies, & les Junons, qui étoient les Genies des femmes, étoit fi grand, qu'il y en avoit plus que d'hommes.

De ce nombre étoit le Genie de Socrate, au fujet duquel Plutarque & Apulée ont fait chacun un Traité particulier; Genie qui, felon lui, l'avertiffoit lorfque fes amis alloient s'engager dans quelque mauvaise affaire; qui l'arrêtoit, l'empêchoit d'agir, fans jamais le porter à agir : Divinum quoddam, dit Ciceron en parlant de ce Demon, quod Damonium appellat, cui femper paruerit, nunquam impellenti, fæpè revocanti. Mais quelques raifonnemens qu'on ait fait fur ce pré

(2) Pag. 372.

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tendu Demon, j'adopte le fentiment de feu M. l'Abbé Fra guier, qui dans une Differtation imprimée dans le quatrième (1) Pag. 360. volume de l'Academie des Belles-Lettres (1), rapporte tout ce qu'on en a dit, à la fagesse & à la prudence de ce Philofophe, qui lui faifoient prévoir plufieurs chofes, aufquelles un homme moins éclairé que lui n'auroit pas penfé; car car la prudence, dit Ciceron, eft une espece de divination. » Le De» mon de Socrate, conclut le fçavant Academicien que je viens de nommer (2), Demon dont on a parlé fi diverfe» ment, jufqu'à mettre en queftion fi c'étoit un bon ou un » mauvais Ange, fe trouve donc avec beaucoup de vraisemblance, réduit à n'être plus deformais que la prudence & la fageffe de Socrate à percer dans l'avenir; que So» crate, par un tour ironique, ramenoit au pur instinct, qui dans les Poëtes & dans les Rapfodiftes eft la fureur poëtique, dans les Devins, la fureur prophetique ; & qui les rempliffant les uns & les autres d'une illumination qui tient le milieu entre la fcience & l'ignorance, les fait quelquefois rencontrer juste ».

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CHAPITRE VII.

Reflexions generales fur l'Idolatrie.

Na vû quels étoient les Dieux que le monde insensé adoroit. Quel fpectacle mortifiant pour l'humanité! de voir pendant plus de deux mille ans la terre toute remplie de Temples élevés à de vaines Idoles, dans lefquels des Victimes innocentes étoient immolées à des Dieux criminels; les parfums les plus précieux repandus pour des Idoles qui ne les fentoient pas. On prioit des Dieux qui n'entendoient pas les prieres qu'on leur adreffoit (a). On s'efforçoit à les appaiser, eux qui ne fçavoient pas s'ils étoient irrités ; & on imploroit leur affiftance, lorfqu'ils ne connoiffoient pas nos besoins. En verité, l'homme abandonné à fes propres lumieres, eft un étrange visionaire!

Tel étoit le triste état du monde, lorfque Dieu touché de (a) Aures habent & non andient, nares habent, & non odorabunt. Pfalm. 113.

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