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encore les armes les plus dangereufes que l'Enfer avoit fourni à l'idolâtrie, puifque le fang des Martyrs étoit la femence de nouveaux Chrétiens, comme le dit Tertullien: fanguis Martyrum, femen Chriftianorum. Voici des ennemis plus dangereux que les Empereurs ; je veux dire des Philofophes, qui employerent toutes les fineffes d'un efprit delicat & feduifant, pour donner quelque credit à une fi mauvaife caufe. Que ne firent-ils pas pour diminuer les abfurdités de leur Religion? Que de formes differentes ils firent prendre à l'Idolâtrie? Les uns difoient par un refpect affecté envers la Divinité, que tout ce qui étoit divin, étoit inconnu; qu'il n'appartenoit point à l'homme de difcourir fur des chofes fi hautes; qu'il falloit croire les Anciens, & fuivre fans raifonner la Religion éta(1) M. Bof- blie (1). Et quand on leur montroit qu'il ne devoit y avoir qu'un Dieu, ils repondoient que la nature divine étoit fi étendue, qu'elle ne pouvoit être exprimée ni par un feul nom, ni fous une feule forme ; mais qu'après tout, Jupiter & Mars, Apollon & Junon, & les autres Dieux, n'étoient dans le fond qu'un même Dieu, dont les vertus infinies étoient reprefentées par tant de mots differens: que pour ce qui regardoit les Hiftoires de leurs Dieux, & leurs amours, tout cela n'étoit que des allegories, par où l'on avoit voulu nous apprendre la formation du monde : & que c'étoit pour cela que 'Amour, le plus puiffant des Dieux, l'avoit formé, parce qu'il avoit uni les Elemens qui le compofent.

fuet. L. cit.

re,

Celfe.

Mais comme cette reffource de la Philofophie Stoïcienne menoit à l'Athéisme, puifqu'après tout on trouvoit qu'il n'y (2) Jambli avoit pas d'autre Dieu que l'Univers, d'autres Philofophes (2), que, Porphy- encore plus fubtils, prirent un autre tour pour concilier l'unité de l'Etre fuprême, avec la multiplicité des Dieux vulgaires. Il n'y avoit, difoient-ils, qu'un Dieu Souverain ; mais il étoit si grand, qu'il ne fe mêloit pas des petites chofes ; & s'étant contenté de faire le Ciel & les Aftres, il avoit laiffé à des Subalternes le foin de former le bas monde, & de le gouverner: & comme ceux-ci étoient les Mediateurs entre Dieu & les hommes, il falloit les adorer & leur offrir des Sacrifices. Et quand on leur eut fait voir que ce culte n'étoit dû qu'au Souverain Dieu, & que c'étoit une Idolâtrie de l'employer à

re.

l'égard d'autres Dieux, le plus habile d'entr'eux (1), alla (1) Porphyjufqu'à dire que le Sacrifice n'étoit pas le culte fuprême ; que tout ce qui étoit materiel, étoit impur, & ne devoit pas être offert à Dieu; qu'on ne devoit pas même employer la parole à fon culte, parce que la voix étoit materielle, & qu'il ne falloit adorer Dieu que par la feule penfée; tout autre culte étant indigne d'une Majefté fi haute. Il ajoutoit qu'il falloit offrir l'encens & les victimes à ces Efprits malins qui vouloient paffer pour des Dieux, & qu'il étoit neceffaire d'appaifer, de peur qu'ils ne nous nuififfent.

Je n'entreprends pas de refuter ces vaines fubtilités, qui fe détruifent d'elles mêmes; mais tout cela prouve qu'il n'étoit pas aifé de détruire une erreur fi univerfelle & fi feduifante. Car enfin, quoique l'Idolâtrie, à la regarder en elle-même parût feulement l'effet d'une ignorance brutale ; à remonter à fa fource, c'étoit un œuvre menée de loin, pouffée aux derniers excès par des efprits malicieux, & qui trouvoit fa fûreté dans la protection qu'elle donnoit aux crimes & aux paffions. Mais ce qui la rendoit encore plus difficile à deraciner, c'est qu'elle prenoit fa naiffance dans le profond attachement que nous avons à nous-mêmes. C'eft fans doute ce qui avoit fait inventer des Dieux femblables à nous; des Dieux qui n'étoient que des hommes, fujets à nos paffions & à nos foibleffes; enforte que fous le nom de fauffes Divinités, c'étoit en effet leurs propres penfées & leurs plaifirs que les hommes adoroient; Divinités refpectables & fouveraines que la cupidité avoit formées. Ainfi l'homme lui-même étoit devenu le premier Temple des Idoles ; & c'étoient les Divinités interieures qui avoient élevé les autres. Car, comme dit l'habile Prelat que j'ai cité déja plufieurs fois, on adoroit Venus, parce qu'on fe laiffoit dominer par l'amour, & qu'on aimoit fa puiffance: Bacchus, le plus enjoué de tous les Dieux, avoit fes Autels, parce qu'on s'abandonnoit & qu'on facrifioit, pour ainfi dire, à la joye des fens, plus douce & plus enyvrante le vin. Ainfi avant que de renverfer les Idoles, il falloit regler la cupidité, & détruire l'Autel qu'elle leur avoit élevé au milieu du cœur, ouvrage refervé à celui qui devoit éclairer les Nations; prouver par fa doârine que Îa veritable joye

que

étoit celle d'une bonne confcience; & qui par fa mort devoit imprimer dans le cœur de l'homme corrompu par tant de crimes, diffipé par tant de paffions, l'amour des fouffrances & de l'humilité. Aufli vit-on par un effet également admirable & furprenant, que pendant qu'un Philofophe avec fes raifonnemens arrangés n'avoit jamais pu renverfer aucune Idole, de fimples Pêcheurs, le rebut du monde, qui ne prêchoient que les croix & les mortifications, les virent tomber en poudre, quoique foutenues par la puiffance des Empereurs, obstinés à en conferver le culte.

On ne fçauroit douter après le témoignage des Peres de l'Eglife (a), que fous le nom de Jupiter, les Poëtes n'ayent voulu fouvent parler du Dieu Souverain; qu'ils lui donnent toujours une fuperiorité fur les autres Dieux; qu'ils le regardent comme leur Maître: Deum Sator atque hominum Rex, dit Virgile : ils ajoutent que tout eft plein de Jupiter, les chemins, les places publiques, la mer, les étangs, & nous-mêmes: Plena autem Jovis funt omnes equidem via, plena quoque hominum fora, plenumque mare & ftagna ; ubique omnes Jove repleti fumus, comme dit le Poëte Aratus; c'eft même aux paroles de ce Poëte que (1) Act. 12. S. Paul (1) fait allusion lorsqu'il dit, In ipfo vivimus, movemur & fumus, ut quidam veftrorum Poëtarum dixit. Mais il faut avouer auffi que le plus fouvent ils n'entendoient par Jupiter, que cet ancien Roi de Crete fils de Saturne, Prince fouillé de mille crimes, & coupable d'un parricide; qu'ils fe faifoient un plaifir à tout propos, d'en raconter les avantures; & que de ce prétendu Dieu Souverain & qui gouvernoit tous les autres, ils en font l'efclave des paffions les plus honteuses, & en toutes chofes foumis au Deftin, dont il lui falloit fubir les Arrêts irrevocables. Ainsi on ne fçauroit nullement les excuser d'une Idolâtrie également groffiere & ridicule. Auffi quand le Philofophe Celfe vouloit infinuer qu'il importoit peu qu'on donnât à Dieu le nom de Jupiter où d'Adonis, ou d'Ammon, pourvû qu'on y attachât cette idée de Souveraineté & d'indépendance qui convient au vrai Dieu; Origene le réfute

(a) Clement Alex. Strom. L. 1. Athenag. S Aug. Eufebe, Origene, Theod. Tertullien, Minuc. Voyez le Pere Thomaffin, Lecture des Poëtes, Tome I. Livre II. Chapitre I. & XII.

folidement

tra Celfum,

folidement (1), & lui fait voir que les Chrétiens avoient hor- (1) L. 2. con reur de cette maxime deteftable, de donner le nom de Ju- & L.. piter au vrai Dieu, ou le nom de Dieu à Jupiter; que c'étoit à cette marque qu'on diftinguoit un Chrétien d'un Idolâtre. Lactance & les autres Peres font de même fentiment, & réfutent fur ce fujet les vains fophifmes de ces Apologiftes de l'Idolâtrie.

Mais quelques entêtés que fuffent les Philosophes, il auroit été plus difficile encore de changer leur cœur que d'éclairer leur efprit, ou pour parler plus jufte, l'efprit & le cœur formoient une égale oppofition à la verité du dogme & à la feverité de la morale. On en voit un exemple bien marqué dans la conduite de Felix Gouverneur de Judée. S. Paul (2) (2) A&. 34. n'a pas plûtôt prononcé le mot refurrection, Quoniam de V.15. refurrectione mortuorum ego hodie judicor à vobis, qu'on renvoye fes accufateurs, en difant je vous écouterai quand le Tribun Lyfias fera arrivé. Le même Apôtre veut-il dans un autre converfation parler au même Felix, de la justice, de la chafteté, & du jugement à venir, cet homme effrayé lui dit; retirez-vous quant à prefent, je vous manderai quand il faudra. Quod nunc attinet, vade: tempore autem opportuno accerfam te (3).

(3) Ib. v. 15:

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довод

LIVRE SIXIEM E,
Des Dieux adorés dans les Pays de l'Orient.

AVANT PROPOS.

OMME les Pays les plus voifins de la plaine de Sennaar, où fe fit la premiere difperfion des peuples, après le Deluge, ont été les premiers peuplés, & que ce fut dans ces mêmes Pays que commença l'Idolâtrie, pour garder quelque ordre dans l'Hiftoire des Dieux, que je vais commencer, il eft neceffaire de parler des Divinités des Peuples de l'Orient, avant que de paffer celles de la Grece, de l'Italie, & des autres parties de l'Occidnt.

Malheureusement il ne nous refte aucune Hiftoire fuivie de la Religion de ces anciens Peuples. Quelques fragmens de leurs Hiftoriens, repandus dans divers Auteurs, & quelques paffages de l'Ecriture Sainte, où il eft fait mention des Dieux qu'adoroient les Peuples voifins de la Palestine, font tout le fecours que nous avons pour la connoître. Il eft vrai que plufieurs Sçavans du dernier fiecle & de celui-ci, ont cherché à débrouiller le chaos des anciennes Divinités de l'Orient, parmi

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