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que je viens d'indiquer; mais la plus extravagante de toutes, à mon avis, eft celle qui portoit qu'Ifis & Ofiris, conçus dans le même fein, s'étoient mariés dans le ventre de leur mere, & qu'Ifis en naiffant étoit déja groffe d'Arueris. Leurs Prêtres racontoient de mille manieres differentes les guerres & les perfecutions de Typhon contre Ofiris fon frere, & Ifis fa belle-foeur : & fi j'en fupprime le détail, c'eft pour épargner au Lecteur la peine de ne voir que, ou des chofes qui fe contredifent, ou une Physique extrêment groffiere.

Toute la Theologie Egyptienne étoit donc cachée fous les fymboles de ces deux Divinités. Ofiris parmi eux étoit le Soleil, le premier objet de leur Idolâtrie, & Ifis, la Lune ; & leurs noms même fe rapportent à ces deux Planetes, puisque dans leur langue, Ofiris vouloit dire, celui qui voit clair; & Ifis, l'ancienne, expreffion qui parmi eux defignoit la Lune. Tous les Sçavans conviennent que les boeufs Apis & Mnevis, confacrés à Ofiris après fon Apotheofe, étoient les fymboles du Soleil. Ainfi, foit que les Prêtres Egyptiens, pour derober au Peuple la connoiffance de l'Hiftoire de ce Prince, publiaffent qu'il étoit veritablement le Soleil, ou que reconnoiffant qu'Oliris avoit été un homme mortel qui avoit gouverné l'Egypte, & l'avoit comblée de fes bienfaits, ils vouluffent. faire croire que fon ame étoit allée habiter dans cet Aftre, ils convenoient toujours qu'il étoit devenu l'Aftre qui nous éclaire, & qui par fa chaleur bienfaifante, repand partout la fecondité & l'abondance, & que c'étoit à lui que doivent, s'adreffer les voeux les prieres & les Sacrifices. Ainfi fut confondu le culte d'Ofiris avec celui du Soleil, & celui d'Ifis avec celui qu'on rendoit à la Lune. C'eft ainfi que ces Prêtres. avoient trouvé l'art de rendre l'Idolâtrie moins groffiere, en difant que c'étoit, non un homme mortel, mais un Aftre éternel qui étoit l'objet de l'adoration publique.

Les Auteurs Grecs & Latins étendoient encore davantage cette Mythologie Egyptienne d'Ifis & d'Ofiris, puifque felon eux, ils renfermoient toute la nature, & tous les Dieux de cet ancien Peuple. Nous avons dans les Antiquaires un monument élevé autrefois par Arrius Balbinus, où fe lit cette Infcription: Déelle Ifis, qui êtes une & toutes chofes. Plutarque (1), (1) De Ifid,

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(1) Met.

Ce que les Grecs ont

dit qu'à Saïs dans le Temple de Minerve, qu'il croit être la
même qu'Ifis, il y en avoit une qui portoit: Je fuis tout ce qui
a été, ce qui eft, & qui fera ; & nul d'entre les mortels n'a en-
core levé mon voile. Apulée (1) fait parler ainfi cette Déesse:
Je fuis la Nature, mere de toutes choses, maîtresse des Elemens,
le commencement des fiecles, la Souveraine des Dieux, la Reine
des Manes
ma Divinité uniforme en elle-même, eft hono-
rée fous differens noms & par differentes ceremonies: les Phrygiens
me nomment Peffinuntiene, mere des Dieux; les Atheniens, Mi-
nerve Cecropienne; ceux de Chypre, Venus ; ceux de Crete, Diane
Dytinne les Siciliens, Proferpine; les Eleufiniens, Pancienne
Cerès; d'autres, Junon, Bellone, Hecate, Rhamnufie; enfin les
Egyptiens & leurs Voifins, Ifis, qui eft mon veritable nom.

;

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Selon Herodote les Egyptiens prenoient Ifis pour Cerès, & croyoient qu'Apollon & Diane étoient fes enfans, & que Latone n'avoit été que leur Nourrice, contre l'opinion des Grecs, qui la regardoient comme leur mere. Suivant le même Auteur, Apollon & Orus, Diane ou Bubaftis, & Cerès, ne font pas differentes d'Ifis: de là vient, continue-t'il, qu'Efchyle fait Diane fille de Cerès.

Enfin les Mythologues affûrent qu'Ifis & Ofiris renfermoient fous differens noms prefque tous les Dieux du Paganisme, puifque, felon eux, Ifis eft la Terre, Cerès, Junon, la Lune, Minerve, Cybele, Venus, Diane, toute la nature en un mot; & que c'eft de là que cette Déeffe étoit appellée Myrionyme, c'est-à-dire, qui a mille noms. De même, dans leur opinion Ofiris eft Bacchus, ou Dionyfus, le Soleil, Serapis, Pluton, Jupiter, Ammon, Pan, Apis, Adonis, &c. Mais il eft temps de paffer à ce qu'il peut y avoir d'hiftorique dans cette ancienne Mythologie. Commençons par rapporter ce que les Grecs nous en apprennent.

Hiftoire d'Ifis & d'Ofiris.

Comme ils vouloient ramener toute l'Antiquité à leur Hifpente d's. toire, ils n'ont pas manqué de publier que la fable d'Ifis étoit originaire de la Grece; & pour cela ils ont confondu cette Déeffe avec Io, fille d'Inachus Roi d'Argos. Ovide qui avoit

recueilli dans fes Metamorphofes la plupart des anciennes traditions des Grecs, raconte ainsi cette fable (1).

peur

(1) Met. L. 5.

Jupiter devint amoureux d'Io; & pour éviter la fureur de Fable d'Io. Junon, jaloufe de cette intrigue, il la changea en vache. Junon qui parut touchée de la beauté de cette vache, la lui ayant demandée, & Jupiter n'ayant ofé la lui refufer, de d'augmenter fes foupçons, elle la donna en garde à Argus qui avoit cent yeux, lui ordonnant d'employer tous fes foins pour empêcher qu'elle ne lui fût enlevée. Mais Jupiter envoya Mercure, qui ayant endormi le vigilant gardien par les doux accents de fa flûte, lui coupa la tête, & delivra Io. Junon irritée envoya une Furie pour perfecuter cette malheureuse Princeffe, qui fut fi agitée des remords qu'elle lui infpira, qu'ayant traversé la mer, elle alla d'abord dans l'Illyrie, paffa le mont Hemus, arriva en Scythie, & dans le pays des Cimmeriens, & après avoir erré dans differens autres pays, elle s'arrêta enfin fur les bords du Nil, où Jupiter ayant appaifé Junon, lui rendit fa premiere figure. Ce fut là qu'elle accoucha d'Epaphus; & étant morte quelque temps après, les Egyptiens l'honorerent fous le nom d'Ifis.

Il eft aifé de voir que c'eft-là une veritable hiftoire, defigurée par les fictions qu'on y a mêlées ; mais il eft très-difficile d'en bien découvrir la verité. Il y a trois opinions fur la

fameufe Io.

La premiere eft celle de prefque tous les Grecs (a), qui pour se faire honneur d'une Déesse si renommée, ont publié qu'elle étoit fille d'Inachus, premier Roi d'Argos; que Jupiter l'enleva, & l'emmena dans l'Ile de Crete; qu'il en eut un fils, nommé Epaphus, Roi d'Egypte, pere de Libye (2); qu'elle paffa enfuite en Egypte, où elle époufa Ofiris. Les mêmes Auteurs difent que cet Ofiris (3) étoit le même qu'Apis, fils de Phoronée, fecond Roi d'Argos, qui ayant laiffé le Royaume à Egialée fon frere, alla s'établir en Egypte, où il se rendit fi fameux pendant fon regne, qu'il merita d'être mis après la mort au rang des Dieux, fous le nom de Serapis. Suivant cette idée, on explique fort bien la fable d'Ovide, en difant que Io Prêtreffe de Junon, fut aimée de Jupiter

(a) Apollodore, Liv. I. Chap. VI. Paufanias, Strabon, Diodore, &c.

(2) Voyez le

Tome II.

(3) Voyez

Diodore,

(1) Voffius De Idol. L. 1.

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Apis, Roi d'Argos (1); que Niobé fa femme, qui s'appelloit aussi Junon, en ayant conçu de la jalousie, la mit fous la garde de fon oncle Argus, homme très-vigilant, ce qui lui a fait donner par les Poëtes ce grand nombre d'yeux; qu'Apis le fit mourir pour ravoir fa maîtreffe; que celle-ci pour éviter la vengeance de Niobé, s'embarqua fur un vaiffeau qui portoit la figure d'une vache fur fa proue, ce qui donna lieu à fa metamorphofe ; & qu'elle accoucha d'Epaphus dont elle étoit groffe. Mais il ne faut pas s'imaginer, comme quelques Auteurs l'ont cru, qu'elle paffa en Egypte, & qu'après avoir changé de nom, les Egyptiens l'honorerent comme une Déeffe, qu'en un mot, elle foit la même qu'Ifis. Il ne faut pas croire non plus, que Serapis foit le même qu'Ofiris. Je fçais que S. Auguftin après Varron, fait venir le nom de Serapis, de celui d'Apis Roi d'Argos, & du mot Soros, qui veut dire un cercueil, parce qu'avant qu'on lui eût bâti un Temple, on lui rendit les honneurs divins dans le tombeau où il avoit été mis après fa mort (a): car il y a bien de l'apparence que Auguftin s'eft trompé, pour avoir fuivi fur cet article les traditions des Grecs, adoptées long-temps avant lui par les Romains. Jamais Apis Roi d'Argos n'alla s'établir en Egypte, & il n'y eut jamais parmi ce Peuple d'autre Apis, que le boeuf (2) In Can. qui portoit ce nom, comme le docte Marsham (2) le prouve fans replique. C'eft la reffemblance des noms, & l'équivoque du mot Soros, qui ont porté les Grecs à publier qu'il étoit le même qu'Ofiris, parce qu'en effet le boeuf lui étoit confacré.

Chron.

faint

La feconde opinion au fujet d'Io, eft celle de Paufanias, qui a cru que cette Princeffe étoit veritablement originaire de Grece, mais qu'elle étoit moins ancienne que celle dont nous venons de parler. Elle n'étoit pas fille d'Inachus, mais d'lafus, fils de Triopas, feptiéme Roi d'Argos ; & certes si Danaiis & Egyptus fes petits fils, ne vêcurent que vers l'an 1420. avant Jefus-Chrift, qui eft le temps auquel le premier de ces deux Princes paffa en Grece, Io n'a dû vivre que longtemps après Inachus (b). On peut ajouter, pour confirmer ce

(a) Voffius, De Idol. Lib. 6. derive le nom de Serapis, de Sara Nepos, & croit que Serapis eft le même que Jofeph. M. le Clerc le fait venir de fur abbir, qui veut dire, Prince.

(b) Voyez le commencement du Tome troifiéme,

fentiment,

fentiment, ce que dit Herodote (1), qu'Io fut enlevée par des (4) Liv. 1. Marchands Pheniciens, à Argos ville floriffante; car outre que cette ville ne prit ce nom que d'Argus fon quatriéme Roi, pouvoit-elle être floriffante du temps d'Inachus fon fondateur?

On convient qu'il y eut dans la Grece une Princeffe nommée Io, foit qu'elle fût fille d'Inachus, ou d'Iafus ; qu'elle fut aimée d'un Prince qui portoit le nom de Jupiter, & que c'est celui-là même que l'ancienne Mythologie a appellé le Jupiter d'Argos (a). On eft d'accord même avec Herodote, qui dit au commencement de fon Hiftoire, que cette Princeffe fut enlevée par des Marchands Pheniciens, en reprefailles de ce qu'on avoit autrefois enlevé Europe, fille d'Agenor Roi de Phenicie ; mais elle ne paffa jamais en Egypte, & on ne peut pas la confondre avec Ifis, plus ancienne qu'elle de plusieurs fiecles, fans renverfer toutes les traditions des Egyptiens. Io fut perfecutée par Junon, qui lui fit parcourir toute la terre; Ifis qui le fut par fon beau-frere Typhon, ne fortit jamais d'Egypte. L'une après avoir été la maîtreffe d'un Roi d'Argos, fut enfuite enlevée par des Etrangers; l'autre eut pour époux fon frere Ofiris, & vêcut avec lui dans une grande union. Ifis apprit aux Egyptiens plufieurs arts utiles à la vie ; on ne raconte rien de pareil d'fo. Qu'est-ce qui peut donc avoir donné lieu aux Grecs de confondre ces deux perfonnes? Je reponds que ce fut l'introduction du culte d'Ifis dans la Grece, fur tout dans la ville d'Argos. Car, comme le remarque judicieufement Herodote, l'introduction du culte de quelque Dieu dans un pays étranger, étoit regardée comme la naiffance de ce même Dieu dans le lieu où ce culte étoit établi. Inachus apprit aux Grecs à honorer Ifis; les Grecs la regarderent comme fa fille. Cecrops dans la fuite porta dans l'Attique le culte de Minerve, honorée à Saïs fa patrie, on publia de même que cette Déeffe, que les Grecs nommoient Athené, étoit la fille de ce Prince. Dés-là on voit combien est juste la reflexion d'Herodote, & en même temps qu'il ne faut pas chercher d'autre origine à cette fable.

Pour ce qui regarde les perfecutions de Junon, qu'Ovide (a) Voyez l'Hiftoire de Jupiter T. 2.

Tome I.

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