Imágenes de páginas
PDF
EPUB

leurs peu exacts dans la Chronologie, & ne fachant que fort confufément les premieres Hiftoires du monde renouvellé après le Deluge, au nombre defquelles eft fans doute celle que j'explique, ce font des guides qu'il ne faut fuivre qu'avec de grands ménagemens.

des

Les Auteurs modernes ont debité à ce fujet des conjectures qui ne paroiffent pas s'accorder avec la veritable tradition. Quelques-uns, au nombre defquels eft Gerard Voffius (1),, ont cru que Typhon étoit le même que Og, Roi de Bafan, pays que l'Ecriture Sainte appelle, la terre des Géants (2). Og leur Roi, dont il eft dit (3) qu'il étoit feul de la race Géants, folus quippe Og rex Bafan remanfit, ex reliquis Gigantibus, étoit fi grand que fon lit avoit neuf coudées de longueur & quatre de large. Les Rabbins ont publié des chofes extravagantes de la taille de ce Prince, que j'aurois honte de les rapporter.

Voffius appuie fon fentiment, 1°. fur la reffemblance des des nomsdeux Géants; car, dit-il, celui de Typhon vient de TúQ∞, uro, accendo, & celui de Og, fignifie uffit, uftulavit. 2° fur ce que les Poëtes ont connu ce lit du Roi de Bafan, & ont dit que c'étoit celui de Typhon, à quoi Virgile femble faire allufion dans le neuviéme Livre de l'Eneïde, dans ces mots, durumque cubile; mais il eft évident que ce Poëte ne parle en cet endroit que de la maniere dont cet infortuné Géant eft accablé fous une montagne, conformement aux idées des autres Poëtes. Ovide s'exprime ainsi (4):

Vafta Giganteis ingefta eft infula membris

Trinacris, & magnis fubjectum molibus urget
Ethereas aufum fperare Typhoea fedes.

Sa troifiéme raison eft tirée du lieu de la défaite de ces deux
Géants, puifqu'Homere dit que ce fut is Apimas; ce qu'il
faut fans doute entendre de la Syrie où regnoit le Roi de
Bafan. Mais cette raifon ne prouve rien, comme on le verra
dans la fuite.

(1) De Idol.

L. 1. 26.

(2) Deut. 3.

13.
(3) Num. 4. .

(4) Met. L.5.

Bochart (5) s'eft imaginé que Typhon étoit le même qu'En- (5) Chan, celade, fondé fur ce que les Poëtes les nomment indifferemment l'un pour l'autre, & les font perir tous deux de la même

maniere dans l'lfle de Sicile; mais il reftera toujours à fçavoir

quel étoit cet Encelade. Il y a des Auteurs qui ont dit que Typhon étoit Roi de Sicile; fur quoi on peut confulter Bo(1) Gen. des cace (1), qui cite pour cela Theodontius dont les Ecrits font perdus. Il y en a eu auffi qui ont cru qu'il étoit le même qu'Efau, & ils ne manquent pas de trouver de la conformité

Dieux.

entr'eux.

M. Huet, toujours porté à croire que Moyfe étoit le feul objet de toutes les fables des Poëtes, n'a pas manqué de prouver (3) Demonft. fort au long (2), que Typhon étoit le même que le Legislateur Ev. Prop. 4. des Hebreux, devenu extrêmement odieux aux Egyptiens, par

la perte de leurs fils aînés; mais fans entrer dans la discussion d'un parallele dont la plupart des chefs femblent peu naturels, il fuffit de faire remarquer que Typhon & Ofiris font beaucoup plus anciens que Moyfe ; & que l'Idolâtrie des bœufs Apis & Mnevis, confacrés à ce dernier, étoit repandue en Egypte avant que les Ifraelites y entraffent, puifque ce fut fur ce modele, au rapport de Selden, qu'Aaron fit le Veau d'or, les Juifs adorerent dans le defert.

que

Pour établir maintenant mon opinion au fujet de Typhon, il eft fûr d'abord par ce qui nous refte de plus inconteftable de l'Antiquité profane, comme on peut le voir furtout dans Diodore & dans Plutarque, que la fable que j'explique eft Egyptienne, & je fuis fort du fentiment de M. l'Abbé Sevin, au fujet d'Ofiris, que je crois avec lui, être le même que Menès ou Mefraïm. Comme les folides raifons qu'il employe pour prouver cet article, font connues de tous ceux qui ont lû fa Differtation, je fuis difpenfé de les rapporter ici : j'en ajoute feulement une qui lui a échappé. C'eft que le bœuf Mnevis, confacré au Soleil dont Ofiris étoit le symbole, semble faire allusion au nom de cet ancien Roi, appellé ou (3) De Anim. Menès, ou Menas, ou Mneus; Ælien même (3) nomme ce bœuf, μeves, ce qui ne laiffe aucun lieu de douter qu'il portoit le nom du Roi auquel il étoit confacré ; & ce Roi étant Ofiris, comme tout le monde en convient, il eft évident qu'Ofiris & Menès, ne font qu'une même perfonne.

Mais je ne fuis pas de fon avis au fujet de Typhon, qu'il dit être le même que Chus, & je croirois plus volontiers qu'il

étoit

étoit ce frere d'Ofiris que Plutarque, fur l'autorité de Manethon, appelle Sebon. Ce Prince peu content d'Ofiris qui l'avoit confiné dans la baffe Egypte, aux environs de Pelufe, vers les extrêmités du Delta, conçut contre lui une haine qui dura jufqu'à ce qu'il lui eût ôté la vie, de la maniere que Plutarque le raconte.

On ne fçait pas trop de quelle forte mourut Typhon, mais foit qu'il fe füt noyé dans le marais du Lac Serbonide, où Herodote dit que les Egyptiens publioient qu'il fe tenoit caché (1), ou qu'il mourut dans le combat que lui avoit livré (1) Liv. 3. Orus fon neveu, ainsi que je l'ai dit, les Prêtres Egyptiens publierent dans la fuite que les Dieux eux-mêmes avoient eu foin de la vengeance d'Ofiris, & avoient fait perir d'un coup de foudre fon cruel perfecuteur. C'est pour cela que la ville d'Heropolis, près du Lac Serbonide, s'appelloit, fi nous en croyons Stephanus, dont je citerai les paroles plus bas, la Ville du fang, parce que c'étoit-là que le Tyran avoit été frappé de la foudre: de-là la fable myfterieufe de Typhon englouti dans un tourbillon de feu. Il y a bien de l'apparence que, Typhon, n'étoit que le furnom du Prince dont je parle, & qu'il ne lui fut donné dans la fuite, que pour faire allufion à la tradition qui portoit qu'il avoit été confumé par le feu, comme je le ferai voir, en tirant de ce nom les étymologies les plus naturelles.

Ainfi perit le cruel Tyran de l'Egypte, qu'il laiffa par fa mort au jeune Orus, fous la Regence d'Ifis fa mere. Sans entrer ici dans les caufes de la haine irreconciliable des deux freres, dont les Egyptiens racontent tant de circonftances, ainfi qu'on peut le voir dans le Pere Kirker (2), il y a bien de (2) Oedip. Egypt. l'apparence que l'ambition d'un Prince fier & turbulent y eut beaucoup de part; mais il eft bon de fçavoir auffi que l'amour fe mêla de la partie. On prétend qu'Ofiris vivoit trop familierement avec Nepthé, femme de Typhon, ce qui lui donna beaucoup de jaloufie; mais Julius Firmicus affûre que c'étoit Typhon lui-même qui étoit amoureux d'Ifis ; & fi l'autorité de Plutarque, qui nous reprefente cette Reine comme le modele de l'amour conjugal qu'elle pouffa enfin jusqu'à l'idolâtrie la plus extravagante & la plus outrée, doit l'emporter de

Tome 1.

Ooo

peut

beaucoup fur Julius Firmicus, qui fans doute n'a pas le même credit dans les affaires de l'Antiquité ; je trouve d'un autre côté que l'Hiftorien Grec fournir à Firmicus deux preuves affez fortes de fon fentiment. La premiere, eft qu'il affûre que pendant l'absence d'Ofiris, qui fut très-longue, Typhon n'excita aucun trouble dans l'Etat. Ambitieux comme il étoit, n'auroit-il pas profité d'une circonftance fi favorable, fi l'amour ne l'avoit retenu? La deuxième, c'est que le même Plutarque dit que Typhon ayant été fait prifonnier de guerre dans une (1) Loc. cit. bataille (1), & qu'Orus l'ayant livré à fa mere chargé de chaînes, elle lui rendit la liberté ; ce qui irrita fi fort le jeune Prince, qu'il lui arracha fon Diadéme, au lieu duquel Mercure fon confident lui en mit un autre circonftances qui prouvent deux choses; la premiere, qu'Ifis aimoit certainement Typhon. Peut-on concevoir qu'elle eût redonné la liberté au meurtrier de fon époux, fi elle n'eût eu pour lui un violent amour? La feconde, que la qualité de confident, pour ne pas dire quelque chofe de pis, que les Poëtes ont dans la fuite donnée à Mercure, fils de Maïa, convenoit à ce premier Mercure Egyptien, qui étoit, felon Diodore, le confident de cette Reine.

Quoiqu'il en foit, il eft aifé d'abord de decouvrir les principaux fondemens des fables qu'on a jointes à cette Hiftoire. Comme Typhon avoit perfecuté Ofiris, dont le regne avoit fait fleurir les beaux Arts, & étoit un modele de juftice & de clemence ; & que celui de Typhon n'avoit été qu'un tiffu de crimes & de cruautés, les Egyptiens n'oublierent rien pour rendre odieuse la memoire de ce dernier, dont ils ne parloient que comme d'un monftre. Mais c'eft vainement qu'ils ont obfcurci leur ancienne tradition; la verité perce à travers les fables qu'ils y ont mêlées. En effet, par les cent têtes qu'ils donnoient à Typhon, ils nous apprennent de quelle forte il avoit fçu conduire fes pernicieux deffeins, & combien il avoit fçu attirer dans fon parti de grands & de puiffans Perfonnages; c'eft-à-dire, les premieres & les meilleures têtes de toute l'Egypte. Le nombre de fes mains exprimoit fans doute fa force & celle de fes Troupes : les Serpens qui étoient au bout de fes doigts & de fes cuiffes, faifoient connoître fa

foupleffe & fon adreffe. Son corps couvert de plumes & d'écailles, marquoit également & la rapidité de fes conquêtes, & fa force invincible. Par l'énormité de fa taille, & la longueur de fes bras, qui s'étendoient, disoit-on, aux deux bouts du monde, on vouloit apprendre à la pofterité qu'il avoit pouffé fes conquêtes jufques aux extrêmités de l'Egypte, & que fon pouvoir n'avoit point de bornes par les nuages qui environnoient fa tête, qu'il n'avoit cherché pendant toute fa vie qu'à brouiller l'Etat ; & par le feu qui fortoit de sa bouche, qu'il portoit le ravage partout où il paffoit. C'est pour cela qu'à Cynopolis on le reprefentoit quelquefois fous la figure d'un loup: & quoique Strabon, qui parle du culte que cette ville rendoit à cet animal, n'en dife pas la raison, il y a bien de l'apparence que c'étoit pour appaifer Typhon, que Plutarque dit (1) avoir été changé en loup; mais il étoit plus (1) In Ifid. fouvent representé fous la figure d'un Crocodile, à caufe de fa reffemblance avec cet animal, également redoutable par ses artifices & par fa cruauté;ou fous celle d'un Hippopotame; ce qui fait dire à Plutarque (2), que les Egyptiens confacroient (2) In Ifid. à Typhon le plus ftupide des animaux, qui eft l'âne; & les deux plus feroces, le Crocodile & l'Hippopotame (a).

Cette tradition des Egyptiens n'a pas été ignorée des Grecs, & je prétends que toutes les fables qu'ils ont publiées de leur Typhon ou de Python, doivent s'y rapporter. Car, premierement, qu'a voulu dire Ovide par le Serpent Python, forti des boties du Deluge & tué par Apollon, qui épuifa prefque fon carquois fur ce monftre?

Hunc Deus arcitenens, &c.

Mille gravem telis, exhaustâ penè pharetrâ ›
Perdidit effufo per vulnera nigra veneno (3).

Ne fait-il pas une allusion visible à Typhon, dont le nom eft
le même par une fimple tranfpofition? S'il en fait un Serpent
monftrueux, Typhon n'étoit-il representé fous cette figure?

(a) Elien nous apprend que Typhon s'étoit metamorphofé en Crocodile; & que c'étoit fur cette tradition que les habitans d'Heliopolis avoient en horreur cet animal. de Anim. L. 10. c. 21.

(3) Met. L. 1.

« AnteriorContinuar »