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Ces mêmes peuples leur apprirent enfuite à fe couvrir de Ia peau des animaux qu'ils tuoient: ils leur faifoient voir que la terre pouvoit porter, fi elle étoit cultivée, des fruits plus propres à les nourrir, que ceux qu'elle portoit fans qu'on en prît foin; ainfi ils les accoûtumerent peu à peu à labourer, & à femer du bled. Aux maisons répandues dans la campagne, fuccederent les Villages, & enfuite les Villes on renonça à la brutale coûtume de vivre fans Loix dans le mariage, & l'on regla les devoirs de cet état; la néceffité de reconnoître fes champs, en fixa les limites; la maniere de se vétir de peaux parut trop groffiere, on en détacha la laine la mettre en œuvre. Cette réforme parut fi admirable, qu'on crut ne pouvoir porter trop loin la reconnoiffance à l'égard de ceux qui avoient contribué à l'établir: on les prit pour des hommes envoyés du Ciel; & on les regarda comme des Dieux.

dit

boue

pour

Tels furent fans doute les premiers Dieux des Grecs: delà font venues toutes les Fables des Lycaons, des Phoronées, des Cecrops, & de tant d'autres, comme nous le dirons quand il fera temps de les expliquer; & pour en donner dès à prefent quelques exemples, c'eft ce qui a donné lieu à celle qui que Promethée avoit formé l'homme en détrempant de la , parce que veritablement il cultiva & donna des Loix à un peuple barbare & groffier; hyperbole permise en cette occafion, puifque c'étoit veritablement avoir fait l'homme, que de l'avoir rendu raifonnable. De même, parce qu'Apol lon excella dans la Mufique & dans la Medecine, il fut regardé comme le Dieu de ces deux Arts. Mercure fut celui de l'éloquence, Cerès la Deeffe du bled, Minerve, des Ma nufactures de laine, ainfi des autres.

Comme on s'étoit fait un fyftéme de Religion accommodé aux inclinations & à tous les penchans du cœur, on ne fe faifoit pas une grande affaire d'y changer, d'y ajouter, & d'y retrancher. Les Ceremonies nouvelles ne coûtoient rien à établir, & les raifons qu'on en rendoit étoient toutes fabuleufes. Des Hiftoires forgées par les Prêtres, donnoient lieu de changer un culte fterile, en un'autre qui fût plus lucratif, & on n'a jamais été trop fcrupuleux fur cet article. Dès qu'on

découvroit quelque nouvelle Divinité, c'étoit à qui lui éleveroit plus d'Autels, & qui en même temps en publieroit plus de merveilles; & comme un Dieu compatriote donnoit beaucoup de crédit au lieu de fa naiffance, chacun le faifoit naître chez foi: on fuppofoit des Mémoires remplis de Fables; des Impofteurs appuyoient des apparitions prétendues que les Prêtres avoient inventées, & que les Poëtes inferoient dans leurs Ouvrages: delà ce fyftéme monstrueux & fi rempli de Fables, que nous offre la Theologie Payenne.

vie d'avoir

tres.

Ajoutez à cela que la manie la plus ordinaire des grands Neuviéme hommes de ce temps - là, étoit de vouloir defcendre des fource. L'enDieux: il falloit abfolument pour être Heros, avoir Jupiter des Dieux ou Apollon pour ancêtres; & comme apparemment il n'étoit pour Ancêpas difficile de trouver alors des Genéalogiftes auffi complaifants qu'ils le font à prefent, on n'avoit pas beaucoup de peine à faire dreffer des titres, où la fouche étoit quelque Dieu auffi prefque toutes les Genéalogies anciennes étoient à peu près de la forte; le chef étoit Jupiter, après lui venoit Hercule, &c.

Un grand nombre de Sçavans du dernier fiecle, & quel ques-uns de celui-ci, ont prétendu que la plufpart des Fables tiroient leur origine de l'Ecriture Sainte mal entenduë, & que les traditions du Peuple de Dieu confervées dans la Phenicie, l'Egypte, & les autres pays voifins, alterées dans la fuite, avoient donné lieu à un grand nombre de Fables. Ces Sçavans ajoutent que les Colonies forties des pays voifins. de la Palestine, pour aller s'établir dans les Ifles de la Mediterranée & dans la Grece, y avoient porté ces traditions ainsi défigurées, & que les Poëtes avoient encore plus corrompues dans la fuite, par les nouvelles fictions qu'ils y avoient ajoutées; enfin que les Patriarches, fur-tout ceux qui vécurent après le Déluge, Abraham, Jacob, Efau, Moife & quelques autres, étoient les premiers Dieux du monde payen; & que leurs belles actions, leurs conquêtes & leurs Loix, avoient engagé les Peuples à les déifier. Parmi ces Sçavans on peut compter le célebre Bochart, Gerard Voffius, M. Huet, le Pere Thomaffin, &c.

Il eft conftant que Moïfe & Jofué furent très-connus non

Dixieme criture Sainte mal entendue..

fource. L'E

(1) Lifez la

Prop.4. de

la Demonft.
Evang, de M.

Huet.
(2) Voyez le

Livre intitulé,

Homere Hebraïfant,

feulement en Egypte & en Phenicie; mais auffi dans plusieurs autres pays; que le dernier fur-tout, ayant pouffé fes conquêtes bien avant dans la Paleftine, porta fi fort l'épouvante fur les côtes de Syrie, que l'on croit qu'il y eut plufieurs perfonnes, qui pour éviter de tomber fous fa domination, s'embarquerent avec leurs richeffes pour aller s'établir dans des pays éloignés qu'il y en eut même qui allerent fur le bord de l'Ocean, où l'on affure qu'ils firent élever des Colonnes avec cette Infcription (a). Nos hi fumus qui fugerunt à facie Jofue filii Nava prædonis; C'eft nous qui fommes venus ici pour nous mettre à couvert des poursuites de Jofué le voleur, fils de Navé. (b) Il eft für auffi qu'Inachus, Cecrops, Danaüs, Cadmus, & quelques autres, étoient fortis d'Egypte & de Phenicie, pour aller conduire leurs Colonies dans la Grece & dans les Ifles voifines; & il y a apparence que remplis du fouvenir des belles actions de ces grands hommes, ils les raconterent aux habitans du Pays, & que les Grecs grands amateurs du sublime & du furnaturel, ne manquerent pas d'en embellir dans la fuite l'Hiftoire de leurs Heros; que celles d'Hercule fur-tout & de Bacchus, laiffent entrevoir beaucoup de reffemblance avec ces fameux Ifraëlites. On ne manque pas de faire des paralléles fort recherchés: un célebre Prélat eft même allé fi loin, qu'il confond tous les Heros de la Fable avec ceux de la Bible, & qu'il trouve dans le feul Moïfe l'original d'Apollon, de Priape, d'Efculape, de Promethée, de Tirefias, de Typhon, de Perfée, d'Orphée, de Janus, d'Adonis, & d'une infinité d'autres ; & dans Sephora, femme de Moise, ou dans Marie fa foeur, prefque toutes les Déeffes, comme Aftarté, Venus, Cybele, Cerès, Diane, les Muses, les Parques, &c. (1) & un autre Sçavant, prétend même qu'Homere dans fes Poëmes, a fait l'Hiftoire des Heros de l'Ecriture, fous des noms fuppofés (2).

Enfin depuis quelques années ce fentiment, d'ailleurs trèsancien, a été renouvellé par deux Auteurs qui l'ont encore plus

(a) Procope in Vandal. Les Critiques trouvent dans cette Inscription, plufieurs marques de fuppofition.

(b) Voyez 1. Bochart Geogr. Sacra. 2. Voff. de Idolol 3. Huet Demonft. 4, le P. Thomaffin, Lect. des Poëtes,

étendu

étendu que ceux que je viens de nommer. Le premier est M. de Lavaux, dans un Ouvrage, qui a pour titre Conference de la Fable avec l'Hiftoire Sainte; lequel pour donner plus de poids à fon opinion, cite ceux des Peres, & des Ecrivains Ecclefiaftiques, qui l'avoient foutenu avant lui: Tels font, S. Juftin, Origene, Tertullien, Minutius Felix, S. Cyrille, Arnobe, Lactance, S. Augustin, Theodorer, S. Athanafe, Philon, Jofephe, & quelques autres. Le fecond eft M. Fourmont, de l'Academie des Belles-Lettres, dans fes Reflexions Critiques fur les Hiftoires des anciens Peuples. Comme ce fçavant Academicien poffede à fond les Langues anciennes, il est celui de tous qui s'eft le plus étendu fur cette matiere: & il a appliqué avec tant de jufteffe aux Patriarches les idées que Sanchoniathon nous a données des premiers hommes; il trouve dans leurs noms tant de rapports avec ceux que l'Ecriture leur donne, & dans leur caractere & leurs actions tant de reffemblance, avec ce que Moyfe en a écrit, qu'il eft souvent bien difficile de ne pas fe rendre à fes raifons. D'ailleurs pourroit-on, comme il le dit dans fa Preface, faire un crime à quelqu'un, de fuivre une foule d'Auteurs tous recommandables, ou par leur fcience, ou par leur pieté; & de vouloir trouver dans les Patriarches, les Dieux que le Paganisme a respectés, Saturne dans Noé, Pluton dans Sem, Jupiter Hammon dans Cham, Neptune dans Japhet, ainsi que l'a prouvé Bochart; Belus & Jupiter dans Nemrod, comme d'autres l'ont foutenu; Minerve dans les idées de la Trinité, comme l'a penfé le Pere Tournemine, Jefuite; Apollon dans Jubal, avec le Pere Thomaffin, & ainfi des autres? De plus, ajoute-t'il, il n'y a rien de plus avantageux pour la Religion, que ce fentiment. C'est ainsi qu'en parle M. Huet (a).

Quelque eftime que j'aye pour ces grands hommes, je ne fçaurois croire l'abus que que les Poëtes ont pu faire de l'ancien Teftament, ait donné lieu à un fi grand nombre de Fables, qu'ils le prétendent. Car, premierement, les Juifs

(a) Quo argumento vix validius ullum aut splendidius, ex genere eorum quæ ratio fuppeditat, ad fanciendam Scripturæ Sacræ dignitatem reperio, quæ, &c. DẹAnonft. Evang. P. 4. c. 3.

Tome I.

G

étoient une Nation fort meprifée de fes voifins, peu connue des Peuples éloignés, & extrémement jalouse de fa Loy & de fes ceremonies, qu'elle cachoit aux Etrangers, comme à des profanes, même dans le temps qu'elle a été obligée de vivre parmi eux. Quoiqu'on ne puiffe nier de même, que les miracles que Dieu fit en Egypte du temps de Moyfe, n'ayent été publics, il n'y a nulle apparence que ceux qui les raconterent aux Grecs, ayent fait beaucoup de cas d'un homme qui leur devoit être fi odieux; & je ne doute pas même qu'ils n'ayent donné la preference à leurs Magiciens: ou plûtôt ne firent-ils pas tout ce qu'ils purent, pour abolir le fouvenir d'une perfonne qui leur avoit tant fait de mal? D'ailleurs démentira-t'on toute l'Hiftoire ancienne, & les monumens les plus authentiques qui parlent des Heros de la Grece, qui nous apprennent leurs noms, leurs parens, & le lieu de leur naiffance, pour croire fur quelques foibles Etymologies, ou fur quelques legeres reffemblances, qu'ils ne font copiés que d'après Moyfe? Ne peut-il pas être arrivé en differens lieux des chofes affez semblables? Agamemnon ne peut-il pas avoir voulu immoler fa fille Iphigenie dans la crainte de perdre le commandement d'une belle Armée, fans qu'il foit befoin de confondre cet évenement avec le facrifice de Jephté, quelque reffemblance qu'on trouve dans le temps, (a) & dans le nom des deux Princeffes? (b) On doit dire la même chofe du Déluge de Deucalion, de Minerve fortie du cerveau de Jupiter, & des autres Fables qui femblent avoir quelque rapport avec les verités de l'Ecriture. Eft-il impoffible de voir revenir fur la fcéne du monde les mêmes évenemens? Ne fera-t'on pas toujours des facrifices à l'ambition? Ne verra-t'on pas toujours des meurtres, des parricides? &c. Cela eft fi vrai, que qui fçauroit parfaitement l'Hiftoire des fiecles paffés, verroit revenir bien des chofes qui font déja arrivées plus d'une fois. Après tout, s'il fe trouve quelque rapport entre les Fables & l'Hiftoire de Moyfe ou de Samfon, on doit penser seulement que c'eft un refte de Tradition,

(a) Le Sacrifice d'Iphigenie arriva vers le temps de Jephté.

(b) La fille de Jephté s'appelloit Iphianaffe, nom qu'Homere donne à la fille d'Agamemnon.

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