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Une preuve bien certaine du refpect & de la veneration qu'on avoit pour les animaux, eft que les villes qui les honoroient, en portoient les noms. Telles étoient Bubaste, Mendès, Crocodilopolis (a), Leontopolis, & plusieurs autres, qui étoient ainfi appellées parce qu'elles avoient en finguliere veneration, les Chats, les Boucs, les Crocodiles, les Lions, &c. Plufieurs Nomes portoient dans le même pays les noms des animaux qu'on y honoroit. L'Oxyrinchien étoit ainsi appellé à caufe du Poiffon Oxyrinchus; le Lycopolitain, du Loup; le Cynocephale, du Chien, &c. Je ne m'étends pas davantage fur un fujet fi connu ; mais je ne fçaurois me dif(1) Liv. 2. penfer de remarquer avec Herodote (1), que pendant qu'une ville mettoit quelques animaux au rang de fes Dieux, une autre les avoit en abomination: ainfi les Mendefiens qui honoroient le bouc, lui immoloient des brebis, qui étoient l'objet de la veneration des Saïtes, lefquels à leur tour offroient en facrifice des boucs à leur Jupiter Ammon. Les Crocodiles de même si honorés à Arfinoé, étoient regardés avec horreur dans le refte de l'Egypte, où l'on croyoit que l'ame de Typhon étoit paffée dans cet amphibie. De-là ces guerres de Religion, dont parle Plutarque, d'une Province contre l'au tre; effet de la politique d'un ancien Roi d'Egypte, qui comme nous l'apprend Diodore de Sicile, voyant fon Peuple peu docile & porté à la revolte, le diftribua en differentes Préfectures, dans chacune desquelles il établit le culte de quelque animal, & en défendit l'ufage pour la nourriture, afin que chacune de ces Provinces entêtée de fon culte, meprifât celui de son voisin, & vînt insensiblement à le haïr; ce qui fut la fource d'une infinité de guerres.

On ne peut rien ajouter au foin que prenoient les Egyptiens des animaux facrés. Ils avoient des Parcs publics, où on les entretenoit à grands frais. Ceux qui en avoient foin

representations dans les Antiquaires, tantôt fous la figure de cet animal, ainfi qu'on en voit une dans Frabetti; plus fouvent fous celle d'un homme avec la téte de cet animal, & l'ornement qui accompagne ordinairement celle d'Ofiris ; quelquefois avec un fceptre à la main, qui étoit le fymbole d'Ifis.

(a) Cette ville s'appelloit Arfinoé. Parmi les Crocodiles qu'on y honoroit, les Prêtres en avoient toujours un apprivoilé, qu'ils nommoient Suchus. On l'oraoit d'or & de pierreries; & ceux qui venoient le voir, lui prefentoient du pain & du vin.

les nourriffoient de pâtes fines, delayées dans du lait mêlé avec le miel, de la chair de canard qu'on avoit fait cuire, ou de quelqu'autre mets qui leur étoit propre. On les baignoit, & on les parfumoit. Les Loges où ils fe retiroient, étoient également propres & ornées. Lorfque quelqu'un de ces animaux venoit à mourir, après le deuil que prefcrivoit la Loi, on l'embaumoit & on l'enterroit dans les Catacombes. Il arrivoit même fouvent que les funerailles de ces animaux excedoient les facultés de ceux que leur emploi deftinoit à les fervir. Diodore de Sicile obferve que ceux qui avoient ce foin, avoient depensé cent talens en une feule année. Au refte ces Gardiens des animaux facrés, étoient bien reçus partout; & bien-loin de rougir de leur emploi, ils portoient des marques qui caracterifoient les fortes d'animaux qui leur étoient confiés. Quelquefois même on se mettoit à genoux, lorsqu'on les voyoit paffer.

Ceux qui étoient engagés dans une guerre étrangere, rapportoient à leur retour les chats & d'autres animaux qui étoient morts, pour leur procurer une fepulture honorable; mais ce qui prouve encore mieux le grand refpect pour les animaux facrés, c'eft que dans une extrême famine dont l'Egypte fut affligée, le peuple s'étant porté jufqu'à manger de la chair humaine, perfonne n'ofa toucher à celle de ces animaux.

Mais eft-il poffible qu'un Peuple auffi éclairé & auffi poli que l'étoient les Egyptiens, chez lefquels les plus fçavans hommes de la Grece alloient pour s'inftruire dans la Philofophie & dans les matieres de la Religion; dont les Loix étoient fi fages & fi bien obfervées ; qu'un tel Peuple, dis-je, ait porté la fuperftition jufqu'à adorer les animaux, les infectes, & les plantes de leurs jardins? Ne doit-on pas fe défier des Auteurs qui les ont infultés à cette occafion? Des Etrangers font-ils propres à nous apprendre la Religion d'un Pays, où les Prêtres avoient tant de foin d'en cacher les myfteres? Si les Egyptiens ont eu des Critiques qui les ont tournés en ridicules, ils ont trouvé auffi des Apologiftes qui les ont défendus. Examinons le fond de cette queftion : voyons de quelle nature étoit le culte que l'Egypte rendoit aux animaux, & pefons les raisons qui l'ont portée à les honorer.

(1) Liv. 1.

CHAPITRE IV.

De quelle nature étoit le culte que les Egyptiens rendoient aux Animaux.

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UOIQUE mon deffein ne foit pas de faire l'Apologie des Egyptiens, j'efpere qu'en recherchant l'origine & les caules de leur fuperftition au fujet des animaux, faire voir qu'elle n'étoit pas fi extravagante qu'on l'a cru ; qu'elle étoit une fuite naturelle de leurs principes, & que leur aveuglement fur cet article, devoit être plûtôt un objet de compaffion, qu'un fujet de raillerie.

Diodore de Sicile (1) qui ne s'eft pas contenté de rapporter l'hiftoire d'un culte fi fingulier, a tâché d'en rendre plufieurs raisons, dont la premiere eft celle de l'utilité qu'on retire des (2) Liv. 2. animaux. Herodote l'avoit touchée avant lui (2), lorfqu'en parlant de la veneration que les Egyptiens avoient pour l'Ibis, il a dit que c'étoit à caufe qu'au printemps il fortoit d'Arabie une infinité de Serpens ailés, qui venoient fondre en Egypte, où ils auroient commis des ravages infinis, fans ces Oifeaux qui les chaffoient & les detruifoient entierement. Ciceron eft (3) De Nat. de même avis qu'Herodote (3). » Les Egyptiens, dit-il, dont » on fe mocque tant, n'ont cependant rendu des honneurs aux animaux, qu'à proportion de l'utilité qu'ils en retiroient, » & s'ils ont adoré l'Ibis, c'eft parce qu'il detruifoit les Serpens. Je pourrois m'étendre, continue-t'il, fur les avantages qu'ils recevoient de l'Ichneumon, des Crocodiles & des Chats; mais je ne veux pas être trop long fur ce fujet : Ipfi qui irridentur Ægyptii nullam belluam, nifi ob aliquam utilitatem quam ex ea caperent, confecrarunt ; velut, quòd Ibes maximam vim ferpentium conficiunt: poffum de Ichneumonum utilitate, de Crocodilorum, de felium dicere ; fed nolo effe longior.

Deor. Lib. I.

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»

Je croirois volontiers que cette raison a été la cause du progrès que fit en Egypte le culte des animaux ; mais je ne crois pas qu'elle en foit le fondement. Je fçais à la verité que la reconnoiffance & la crainte ont introduit des Dieux dans

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le monde : je ne difconviens pas même des grandes utilités qu'on retire de plufieurs animaux, & je n'ignore pas ce que Voffius, dans fon excellent Traité de l'Idolâtrie, dit à ce fujet; mais cette feule confideration auroit-elle fuffi pour érides monftres & des infectes en Divinités ? Défions-nous des Auteurs Grecs & Latins, qui n'étoient pas toujours assez bien inftruits des myfteres Egyptiens, que les Prêtres leur cachoient comme à des profanes que la feule curiofité conduifoit dans leur Pays : ils ne font peut être pas plus croyables fur ce fujet, que fur les calomnies qu'ils publioient des Juifs, qu'ils accufoient d'adorer le Pourceau dont ils s'abftenoient de manger de la chair; & de rendre leurs refpects à la tête d'un Afne, dont ils confervoient, felon eux, dans le Temple de Jerufalem la figure en or massif (a).

Judæus licet & porcinum numen adoret

Et celli fummas advocet auriculas (1).

(1) Petr. Sat.

Tâchons de penetrer les myfteres Egyptiens, & voyons fi les figures bizarres de leurs Divinités, qui exciterent les railleries & les mepris de Cambyfe, ne nous laifferont pas entrevoir les veritables raifons du culte qu'ils leur rendoient. Je fuppofe d'abord, que tout culte n'eft pas un culte religieux, & que tout culte religieux n'eft pas un culte de latrie; & je ne crois pas qu'il foit neceffaire d'établir ici cette diftinction, dont on convient affez. Cela étant, je crois que le culte que les Prêtres Egyptiens rendoient aux animaux, étoit purement relatif, & qu'il fe rapportoit aux Divinités dont ils étoient les fymboles. Mais pour faire voir que je n'avance pas cette propofition fans fondement, il faut la prouver par des temoigna ges inconteftables. On fçait que le boeuf Apis étoit parmi les Egyptiens le fymbole d'Ofiris, & qu'Ofiris lui-même étoit le Soleil : de-là l'adoration des Boeufs Mnevis & Apis, dont le premier étoit confacré au Soleil, & l'autre à la Lune (b), qui étoient les grandes Divinités de ce Pays-là (2). Herodote recher (2) C'est-àchant la raifon pourquoi les Egyptiens reprefentoient Jupiter

(a) Voyez Jofeph contre Apion, Tacite, Plutarque, Suidas, &c. (b) Porphyre, Alien, Amm. Marcell. & autres.

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dire d'Ifis & d'Ofitis.

(1) De Ifide.

avec une tête de Belier, prétend que c'eft parce que ce Dieu apparut fous cette forme à Hercule, qui avoit envie de le voir. Le même Auteur parlant du culte que les habitans de Mendès rendoient à Pan, dit qu'ils le reprefentoient fous la figure d'un Bouc, pour des raifons myfterieuses, quoiqu'ils fçuffent bien qu'il étoit femblable aux autres Dieux. Diodore de Sicile decouvre ce myftere, qu'Herodote n'avoit pas apparemment voulu developper: c'eft que par le fymbole de cet animal le peuple adoroit le principe de la fecondité de toute la nature, qui étoit reprefenté par le Dieu Pan. Voilà donc Ofiris & Ifis, Jupiter & Pan, & non pas les Boeufs, les Beliers & les Boucs qui étoient les veritables objets du culte des habitans de Memphis, d'Heliopolis, de Thebes & de Mendès.

Plutarque (1) remarque judicieufement que la vigilance ordinaire aux chiens, porta les Egyptiens à les confacrer au plus rufé & au plus vigilant de tous les Dieux ; ou, ce qui revient au même, on ne peignoit Mercure, avec une tête de chien, comme le dit Servius, que parce qu'il n'eft point d'animal plus vigilant (a). On voit par cet exemple la veritable raifon du dogie de la confecration des animaux, & que ce n'étoit pas à eux, mais aux Dieux qu'ils reprefentoient, que fe terminoit le culte religieux dont nous parlons. Herodote decide la quef (2) Liv. 2. tion, lorfqu'il dit (2), » que les Egyptiens offroient leurs » vœux à ces animaux, en adreffant leurs prieres aux Dieux à qui ils étoient confacrés »; & fi l'on veut fçavoir quels étoient ces vœux qui s'adreffoient aux animaux, ce judicieux Auteur nous l'apprend, en difant que c'étoit une offrande d'argent qu'on leur donnoit pour leur nourriture. Diodore de Sicile dit la même chofe, & explique plus nettement ce (3) Liv. 1. myftere (3). » Les Egyptiens, dit-il, offroient aux Dieux des vœux pour la guerifon de leurs enfans malades ; & lorf

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qu'ils étoient hors de danger, ils les conduifoient dans le Temple, & leur ayant coupé les cheveux, ils les mettoient dans une balance avec une fomme d'argent de même poids, qu'ils donnoient à ceux qui avoient foin de nourrir les animaux facrés ».

(a) Ait Servius in octavum Æneidos.

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