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Lucain, après s'être mocqué des Egyptiens qui fervirent, dit-il, plufieurs de leurs Dieux fur la table de Cefar (a), ajoute cependant que les Prêtres interrogés par ce Prince fur le culte qu'ils rendoient à ces animaux, lui firent entendre qu'ils honoroient en eux la Divinité dont ils étoient les fymboles. Auffi quand nous apprenons qu'ils plaçoient dans leurs Temples parmi toutes leurs Idoles celle d'Harpocrate, avec le doigt fur la bouche, nous voyons évidemment qu'ils y renfermoient des myfteres qu'il n'étoit pas permis à tout le monde de pénetrer, & qu'il falloit les mediter en filence.

Mais pourquoi avoir choifi des animaux pour representer les Dieux ? Quelles furent les raifons de la preference qu'on donna à quelques-uns d'eux ? Plutarque repond en general (1), (1) De Ifide. que c'eft à caufe du rapport qu'ont ces animaux avec la Divinité qu'ils reprefentent: car, pour me servir de fa comparaison, l'image de Dieu éclate dans quelques-uns, com» me celle du Soleil dans les gouttes d'eau qui font frappées

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D

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D

des nom

que

de fes rayons: ainfi le Crocodile n'ayant point de langue,
» eft confideré comme le symbole de la Divinité, qui fans
proferer une feule parole, imprime les Loix de l'équité
» & de la fageffe dans le filence de nos cœurs. En effet
ajoute ce fçavant Auteur, fi on a trouvé bon
bres, qui n'ont ni corps ni ame, ayent été regardés par les
Pythagoriciens, comme les types de la Divinité, n'eft-il
pas plus raifonnable que des Etres qui en font doués, foient
confiderés comme des images dans lefquelles elle a voulu
» fe faire voir à nos yeux ? Et fi toute la nature n'eft elle-mê-
> me qu'un miroir, dans lequel le Soleil de la Divinité fe

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D

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peint avec fes differens attributs, cela n'eft-il pas encore
plus vrai des creatures animées; & y eut-il de Statue, quel-
que excellente qu'elle foit, qui reprefente mieux l'Etre Sou-
verain, que le moindre corps organifé » ?

A cette excellente raifon de Plutarque, j'en joindrai qua-
tre autres, que je tire de l'Aftrologie, de l'Hiftoire, de la
Theologie des Egyptiens, & de l'utilité que l'Egypte tiroit
de quelques animaux.

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Non mandante fame, multos volucrefque ferafque
Egypti pofuere Deos. Pharf. Liv. 10.

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Lucien (a), après avoir dit que les Egyptiens avoient » mefuré le cours de chaque Aftre, & divifé l'année en mois » & en faisons, la reglant fur le cours du Soleil, & les mois » fur celui de la Lune, ajoute qu'ayant partagé le ciel en douze parties, ils avoient reprefenté chaque Constellation par la figure de quelque animal Voilà donc d'abord les douze fignes du Zodiaque reprefentés par autant d'animaux, fubftitués à la place des Aftres, qui étoient, comme je l'ai dit, les premieres Divinités du monde idolâtre. Ce même Auteur dit ensuite, » Que les Egyptiens reveroient le Bœuf

Apis en memoire du Taureau celefte, & que dans l'Oracle qui lui étoit confacré, on tiroit les prédictions de la nature de ce Signe, comme les Afriquains de celle du Belier, en memoire de Jupiter Ammon qu'ils adoroient fous cette figure ». C'étoient donc les Aftres qu'on adoroit réellement, & fi on rendoit un culte religieux aux animaux qui les reprefentoient, ce n'étoit qu'un culte relatif.

Il eft vrai que le Peuple ne portoit pas toujours fa vûe jufques dans le ciel, pour y adorer ces premiers Dieux, & que fon culte fe terminoit fouvent aux fymboles; mais ce n'eft pas de la Religion du Peuple qu'il eft question, c'est de celle des Prêtres & des Sages d'Egypte : & je ne crois pas qu'il y eût de Religion dans le monde qui fût exempte de reproche, fi l'on n'avoit égard qu'aux pratiques populaires, qui ne font fouvent qu'une fuperftition peu éclairée. La feconde raison eft tirée de l'Hiftoire ancienne d'Egypte, qui nous apprend, comme nous l'avons déja dit, que les Dieux pourfuivis autrefois par Typhon, s'étoient cachés fous les figures de differens animaux, ainfi que nous le lifons dans Övide, dans Manilius & dans Diodore de Sicile. Rien n'étoit plus propre à fonder le culte dont nous parlons, que cette Hiftoire; car foit qu'on crût que veritablement les Grands & les Princes du parti d'Ofiris que Typhon fon frere perfecutoit, avoient été dans la fuite mis au rang des Dieux, ou plûtôt que ce paffage myfterieux des Dieux dans le corps des animaux, étoit une allegorie ingenieuse, par laquelle on enfeignoit que les Dieux celeftes venoient quelquefois habiter dans ces fymboles qui

(a) Traité de l'Aftrologie Judiciaire.

les

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les representoient, on étoit toujours obligé d'avoir pour les
animaux un grand respect, crainte de violer l'afyle facré de la
Divinité même.

La feule objection raifonnable qu'on puiffe faire contre cette conjecture, eft que cette fable eft Grecque d'origine, & que ce n'eft que des Auteurs Grecs & Latins que nous l'avons apprife mais fans dire ici que la plupart des fables de ces deux Peuples venoient d'Egypte, comme je l'ai prouvé, & qu'en particulier celle du combat des Geants, n'eft qu'une tradition defigurée de l'Hiftoire de Typhon & d'Ofiris, ne voit-on pas en Egypte des monumens plus anciens que les fables des Grecs ; des villes fondées, un culte public, établi à l'honneur des mêmes animaux dont on nous dit que ces Dieux avoient pris les figures? Car enfin, fi Ovide publie que Jupiter avoit emprunté celle d'un Belier (1):

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Ne l'adoroit-on pas fous cette forme dans le Temple fameux
qu'il avoit dans la Libye? Que Diane s'étoit revêtue de celle
d'une chatte, Fele foror Phobi, la ville de Bubafte, dont le
nom, felon Stephanus étoit celui de cette Déeffe, & dans
laquelle on adoroit les chats, n'étoit-elle pas un monument
autentique de cette tradition? Que Bacchus, ou selon d'au-
tres, Pan, prit la figure d'un Bouc; Proles Semeleia Capro.
La ville de Mendès n'en rend-t'elle pas un temoignage affûré?
que Junon, ou Ifis, avoit pris la forme d'une Vache; nivea
Saturnia vacca: n'étoit-elle pas honorée à Memphis fous le
fymbole de cet aninial? Que Venus s'étoit cachée fous les
écailles d'un Poiffon; Pifce Venus latuit, ou comme dit Ma-
nilius (2),..

Inferuitque fuos fquammofis pifcibus ignes.

Les Syriens ne s'abftinrent-ils pas pour cette raifon de manger
du Poiffon? Enfin, que Mercure avoit pris la figure d'un
Ibis; Cyllenius Ibidis alis ignore-t'on le culte que les Egyp-
tiens rendoient à cet Oifeau? Croira-t'on que les Egyptiens

Tome I.

Ttt

(1) Met. L. 5.

(a) Aftr. L. 4.

(1) Ovi. Met. Liv. 5.

apprirent & cette fable, & le culte dont elle étoit le fonde-
ment, des Grecs & des Romains? Qu'ils formerent fur leurs
idées le systême de leur Religion, & donnerent à leurs villes
des noms conformes au culte qui y étoit pratiqué? Ou plûtôt
n'eft-ce pas
de ces anciennes villes que les Auteurs dont je
parle rapporterent leur Religion & leur Fables?

La troifiéme raifon, qui eft encore une fuite de l'autre, eft tirée de la doctrine de la Metempsycofe, ou de cette circulation éternelle des ames dans differens corps.

Morte carent anima, femperque priore relictâ
Sede, novis domibus habitant, vivuntque receptæ (1).

Il n'eft pas neceffaire de s'étendre fur l'origine de ce dogme, Il fuffit de dire que Pythagore l'enfeignoit dans la Grece & Ï'Italie vers la LXI. Olympiade & les fuivantes; mais foit qu'il le debitât dans le fens naturel, où comme l'a ingenieusement penfé M. Dacier, dans un fens moral & allegorique, il est fûr qu'il n'en étoit pas l'inventeur. Il l'avoit lui-même appris des Prêtres Egyptiens, parmi lefquels, fi nous en croyons (3) Vie de Diogene Laerce (2), il demeura long-temps pour s'inftruire de leurs myfteres, aufquels il fut initié. Herodote (3) ne laisse aucun lieu de douter de ce que je viens d'avancer. » Les Egyptiens, dit-il, font les premiers qui ont foutenu que 5 l'ame de l'homme eft immortelle ; qu'après la mort elle

Pythagore.
(2) Liv. 1.

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paffe fucceffivement dans les corps des animaux, terreftres, aquatiques & aëriens, d'où elle revient animer le corps » d'un homme, & qu'elle acheve ce circuit en trois mille

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ans. Il y a, ajoute-t'il, des Grecs qui ont debité ce dogme, » comme s'il eût été à eux en propre, les uns plûtôt, les au» tres plus tard ; j'en fçais les noms, & je ne veux pas les nommer ». De-là fans doute le foin d'embaumer les corps après la mort, & de leur deftiner des monumens durables pour leur fervir de fepulture.

Il est donc conftant que cette doctrine étoit originaire d'E• gypte ; & il eft certain qu'elle avoit deux grands avantages. Le premier, de fervir de fondement au dogme de Fimmortalité de l'ame; le fecond, qu'en enfeignant que les

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ames paffoient en d'autres corps, nobles ou meprifables, fui-
vant le merite de leurs actions, ils rendoient le vice odieux,
& la vertu aimable; mais auffi elle conduifoit naturellement
au culte & au respect qu'on rendit dans la fuite aux animaux,
puifqu'elle enfeignoit à les regarder comme les domiciles non
feulement des plus grands hommes, mais des Dieux mêmes.
Auffi Diodore de Sicile affûre (1) qu'on étoit perfuadé en
Egypte que l'ame d'Ofiris étoit paffée dans celle d'un bœuf;
& nous apprenons d'Alien (2) que la haine que les habitans
d'Heliopolis avoient pour le Crocodile, étoit fondée fur ce
qu'ils croyoient que Typhon s'étoit revêtu de fa figure."

Enfin, la quatrième raison eft tirée de l'utilité que recevoient
les Egypriens de certains animaux. Ainfi on avoit de la vene-
ration pour l'Ibis parce qu'il detruifoit les Serpens ailés, qui
dans certaine faifon fe retiroient en Egypte : l'Ichneumon,
parce qu'il cherchoit les œufs des Crocodiles, qu'il caffoit',
fans les manger, comme fi fon inftinct l'avoit porté à delivrer
l'Egypte d'un animal qui y causoit du ravage, &c.

Après avoir developpé les raifons qui porterent les Egyptiens à rendre aux animaux un culte religieux, ce feroit ici le lieu de rechercher en quel temps commença cette forte d'idolâtrie; mais il fuffit de dire qu'elle étoit en vogue dans toute l'Egypte du temps de Moyfe, comme le prouvent, 1o, là permiffion qu'il demanda d'aller facrifier dans le Defert, de peur qu'immolant des Victimes pour lefquelles les Egyptiens avoient de la veneration, on ne le lapidât. 2°. L'idolâtrie du Veau d'or, qui étoit, comme nous l'avons dit, une imitation de celle du Boeuf Apis. Ce qui précéde le fejour des Ifraëlites en Egypte eft trop peu connu, pour étendre plus loin nos recherches fur ce fujet.

(1) Loc. cit.

(2) Liv. 10° c..

Hift. des an,
C. 21.

TO)

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