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CHAPITRE I X.

Des Dieux des Ethiopiens.

ES Dieux des Egyptiens & des Arabes, il eft naturel de paffer à ceux des Ethiopiens; voici d'abord ce que Strabon nous en apprend (1). » Les Ethiopiens, dit ce fçavant (1) Liv. 17. Geographe, reconnoiffent un Dieu immortel qui eft le prin

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cipe de toutes chofes, & un Dieu mortel, qui n'a point » de nom; mais communément ils regardent comme des Dieux leurs bienfaiteurs, & ceux qui font diftingués par leur naiffance. Parmi ceux qui habitent la Zone torride, il » y en a qui paffent pour être Athées, parce qu'effectivement ils haiffent le Soleil, & le maudiffent à fon lever, par la raifon qu'il les brûle par fa chaleur, au point qu'ils font obligés d'aller fe cacher dans les lieux humides & maré» cageux »,

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Ceux de Meroé adorent Hercule, Pan, & Ifis, avec un » autre Dieu étranger. Quelques-uns d'entr'eux jettent leurs » morts dans le fleuve, pendant que d'autres les gardent → chez eux dans de grands Vafes de verre ; d'autres enfin les » mettent dans des Cerceuils de terre cuite, & les enterrent » autour des Temples

D.

On voit par ce paffage que les Ethiopiens, à l'exemple des autres Peuples, avoient des Dieux naturels, & des Dieux animés: qu'ils prenoient les derniers parmi leurs grands Hommes, qu'ils élevoient au rang des Dieux; & qu'ils avoient emprunté les premiers des Egyptiens leurs voifins, puifqu'ils adoroient comme eux la Lune fous le nom d'Ifis, & toute la nature fous celui de Pan.

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Pour le Soleil, il eft certain qu'ils l'honoroient au point qu'on regardoit comme Athées ceux qui ne le reconnoiffoient pas pour un Dieu, ainfi que nous venons de le dire après Strabon: cependant ils ne le nommoient pas Ofiris comme les (2) Egyptiens, mais Affabinus ; & parce qu'il étoit leur grande Divinité, les Grecs & les Romains lui donnoient le nom de

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Jupiter Ethiopien, & cela avec d'autant plus de raison, remar-
que le fçavant Voffius, que dans tout l'Orient & parmi les
Peuples d'Afrique, Jupiter ne reprefentoit pas feulement le
Ciel, mais auffi le Soleil.

Quoiqu'il en foit, les Ethiopiens confacroient au Soleil le cinnamome, plante odoriferante qui croiffoit dans leur pays. La maniere finguliere dont ils le cueilloient, eft rapportée, quoiqu'avec quelque difference, par Theophrafte, par Pline, & par Solin; elle fe reduit à ceci. C'étoit aux feuls Prêtres qu'il étoit permis de faire cette recolte, qui étoit toujours précédée de Sacrifices; & il falloit qu'ils ne commençaffent cet ouvrage qu'après le lever du Soleil, & qu'ils le finiffent avant fon coucher. La recolte faite, on la feparoit en trois parts avec une fleche, qui n'étoit employée que pour cet effet. On en emportoit deux portions, & on laiffoit fur le lieu même celle qui étoit échue au Soleil, & d'abord, dit-on, fi le partage avoit été fait avec équité, la portion du Soleil s'allumoit d'el le même, & étoit confumée. Theophrafte a bien jugé que (1) cette derniere circonftance n'étoit qu'une fable (1); mais μ-Pline & Solin ne joignent aucune reflexion à leur recit, com

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me on le voit dans les deux paffages de ces Auteurs, dont voici les propres termes :

Metitur non nifi permiferit Deus; Jovem hunc intelligunt aliqui, Assabinum illi vocant. Quadraginta quatuor boum capra rumque & arietum cafis, impetratur venia cædendi: non tamen aut ante ortum Solis, aut poft occafum, licet. Sarmenta hafta dividit Sacerdos, Deoque partem ponit; reliquum mercator in naffas condit. Eft & alia fama, cum Sole dividi, ternafque partes fieri: dein forte cremia difcerni ; quodque Soli cefferit, relinqui, (2) Plin. Liv. ac fpontè conflagrare (2).

12. C. 19.

(3) Solin. C. 31.

Ethiopes legunt Cinnamum; verùm legitur per Sacerdotes, hoftiis priùs cafis: quæ cum litaverint, obfervatur ut messis nec ortum Solis anticipet, nec egrediatur occafum. Quifquis principatum tenet Sacerdotum, acervos haftá dividit, quæ facrata eft in hoc minifterium: atque ita portio manipulorum Soli dicatur; quæ fi juftè divifa eft, fpontè incenditur (3).

Pour moi je croirois volontiers que les Prêtres mettoient fecrettement quelques charbons fous le tas qui étoit pour le

· ।

Soleil, & que ces charbons s'allumoient quelques momens après, dans le temps précisément qu'on se retiroit.

Voilà en peu de mots tout ce qu'on connoît par les Anciens de la Religion des Ethiopiens, encore ne fçait-on pas précifément de quels Ethiopiens ils parlent; & il y a toute forte d'apparence que c'étoit des Orientaux, & non de ceux d'Afrique. En effet, ce que Theophrafte dit du foin qu'avoient les Sabbéens, Nation Arabe, de recueillir l'encens & le cinnamome, pour l'offrir au Soleil, Strabon le dit des Ethiopiens.

Comme les Anciens ne connoiffoient pas l'interieur de l'Afrique, je ne dirai rien de l'Idolâtrie de ces Peuples. Il n'en étoit pas de même des Côtes de ce continent, elles leurs étoient fort connues, & ils parlent fouvent de la Religion des Peuples qui les habitoient: ce qui fera la matiere du Chapitre fuivant.

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CHAPITRE X.

Des Dieux des Carthaginois, & de quelques autres Peuples d'Afrique.

UE les Carthaginois fuffent une Colonie fortie de Phenicie fous la conduite d'Elife, furnommée Didon, c'eft un lait dont tout le monde convient ; & dès-là on ne fçauroit nier que les premiers Dieux de Carthage n'ayent été les mêmes que ceux qu'on adoroit à Tyr & à Sidon. Didon établit fans doute dans fa nouvelle Colonie le culte des Dieux de fes ancêtres: un changement fubit en fait de Religion auroit revolté fes Sujets; on eft naturellement attaché à celle qu'on a, pour ainfi dire, fuccée avec le lait. Malheureufement le peu que nous fçavons de la Religion des Carthaginois, nous vient des Grecs & des Romains, qui ont donné les noms de leurs Dieux à ceux de ce Peuple; ainfi nous trouvons à Carthage Saturne, Jupiter, Neptune, Apollon, Venus, Mars, Mercure, Hercule, Cerès, Proferpine, Junon & Efculape; tous Dieux adorés dans la Grece & dans l'Italie. On ne doit

Xxx iij

pas

(1) Liv. 10.

(2) Traité de

la Superft.

(3) Antiqui.

Romaines.

(4) Liv. 3.

c. 3.

(5) Sil. Ital.

cependant penfer que ces deux Pays les ayent reçus eux-mêmes des Carthaginois, puifque les Colonies Egyptiennes & Pheniciennes qui en porterent la connoiffance dans la Grece, étoient anterieures de plufieurs fiecles à celle de Didon : on devroit croire plûtôt que les Grecs, & enfuite les Romains au temps des guerres Puniques, communiquerent leurs Dieux aux Carthaginois, ce qui n'eft pas fans vraisemblance. Mais il s'agit des premiers Dieux de ce Peuple, qui étoient incontestablement les mêmes que ceux des Pheniciens.

Voici donc ce qui a pu tromper les Grecs & les Romains. Dans le commerce qu'ils eurent avec les Carthaginois, ils apprirent qu'ils immoloient des enfans à un de leurs Dieux, & dès-là ils ne douterent pas que ce ne fût Saturne ; au lieu que s'ils avoient fçu eux-mêmes l'origine de leurs Dieux, ils auroient vû que leur Saturne, leur Saturne, ainfi que celui des Carthaginois, étoit Moloch, la grande Divinité des Ammonites. Ils apprirent de même que les Carthaginois avoient un Dieu auquel ils adreffoient leurs ferments; & comme ils juroient eux-mêmes par Jupiter, ils ne douterent pas que ce ne fût le même Dieu, au lieu qu'à Carthage c'étoit le Baal-Berith de Phenicie, dont nous parlerons dans le Livre fuivant. On pourroit dire la même chofe de prefque tous les autres Dieux adorés à Carthage. Entrons maintenant dans quelque détail.

Toute l'Antiquité convient que les Carthaginois adoroient Saturne, qui étoit, comme nous venons de le dire, le même que Moloch, & qu'ils lui immoloient des enfans. Si je voulois m'étendre fur cet article, je rapporterois les paffages de Diodore de Sicile (1), de Plutarque (2), de Denys d'Halicarnaffe (3), de Quinte-Curce (4), & de plufieurs autres Anciens. La deteftable coutume d'immoler tous les ans des victimes humaines à ce Dieu, dura même après la defaite de ce Peuple, malgré les efforts que firent leurs vainqueurs pour la faire ceffer.

Urna reducebat miferandos annua cafus,
Sacra Thoantea ritufque imitata Diana (5).

(6) Liv. 19. Juftin raconte (6) que Darius fils d'Hyftafpès leur avoit ordonné de faire ceffer ces Sacrifices barbares; mais fes ordres

Num. vind.

furent mal executés. Plutarque ajoute (1) que Gelon, Tyran (1) De fera. de Syracufe, ne fit la paix avec eux, qu'en mettant la même defense comme la premiere condition du Traité ; & felon Tertullien (2) Tibere ordonna de pendre tous les Prêtres qui (2) In Apol. exigeoient ces barbares Sacrifices.

Nous avons déja dit que ce Dieu adoré à Carthage, étoit le même que Moloch; tous les Sçavans, parmi lesquels on peut confulter Bochart, Voffius, & Selden, en conviennent, & M. Fourmont a mis le fait hors de doute (a): le vers de Silius Italicus, où il eft parlé de Milicus, ne fçauroit, felon lui, être entendu que de Moloch. Il s'agit en effet dans ce vers, & dans les deux autres que nous venons de citer, des Carthaginois & de leur Religion. Les noms d'Amilcar, de Bomilcar, & d'Imilco, fuivant le même Auteur, font des allufions visibles à ceux de Moloch, de Milkom, & de Melech, Divinités Pheniciennes : mais je ne fçaurois être de fon avis fur le dernier article. Ces trois noms font ceux de trois Perfonnes Illuftres que les Carthaginois mirent au nombre de leurs Dieux; Herodote l'affûre formellement du premier. Amilcar, dit-il (3), ayant été vaincu par Gelon, difparut (3) Liv. 7. & ne put être trouvé ni vif ni mort, quelque foin que prît fon Vainqueur de le faire chercher. Les Carthaginois qui ont » une grande veneration pour lui, difent que durant le combat des Barbares & des Grecs Siciliens, Amilcar étant de» meuré dans le Camp, y faifoit des Sacrifices de toutes fortes d'animaux, & que voyant la deroute de fon Armée il fe jetta dans le feu; mais foit qu'il fût mort de cette forte, » comme le difent les Pheniciens, ou de l'autre, comme l'affûrent les Carthaginois & les Syracufains, ceux-là lui > offrent des Sacrifices, & ont dreffé des monumens en fon honneur, partout où il y a quelqu'une de leurs Colonies, & principalement dans Carthage

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၁၁.

On doit penfer la même chofe de Bomilcar & d'Imilco, quoique les anciens ne nous en disent rien. Car enfin, on ne fçauroit nier après ce que nous venons de rapporter d'Herodote, que les Carthaginois, à l'exemple des autres Peuples, n'ayent mis leurs grands Hommes au nombre des Dieux, & (a) Reflexions Critiques fur les anciens Peuples, Tome I. pag. 144. & fuiv.

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