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Clerc, pour prouver cette opinion rapporte plufieurs raifons qu'on peut voir dans le troifiéme Tome de fa Bibliotheque Univerfelle. Les principales font, que pendant qu'on celebroit en Egypte la fête d'Ofiris, on en celebroit une femblable dans la Phenicie pour Adonis. On pleuroit l'un & l'autre, comme morts, & on fe rejouiffoit enfuite comme s'ils étoient reffufcités mais ce qui eft encore plus décifif, d'anciens Auteurs affùrent que les Egyptiens pendant la celebration de leur fête, mettoient fur le Nil dans un panier d'ofier une Lettre que les flots de la mer portoient en Phenicie, près de Byblos, où dès qu'elle étoit arrivée on ceffoit de pleurer Adonis, & on commençoit à fe réjouir de fon retour. C'étoit donc la même fête ; & comme il n'eft pas douteux qu'elle ne fût celebrée en Egypte en l'honneur d'Ifis & d'Ofiris, on en doit conclure que c'étoit pour eux-mêmes que les Syriens la celebroient.

On pourroit ajouter à ces preuves, qu'Adonis & Aftarté étoient parmi les Pheniciens le fymbole du Soleil & de la Lune, comme Ofiris & Ifis l'étoient en Egypte, & qu'Af tarté étoit reprefentée fur les monumens, avec une tête de vache; ou du moins avec fa dépouille, comme Ifis l'étoit parmi les Egyptiens. Enfin que dans les fêtes d'Adonis & d'Aftarté, on portoit des reprefentations infames, ainfi que dans celles d'Ifis & d'Ofiris. Voilà les preuves de ceux qui foutiennent ce sentiment expofées dans toute leur force. Cependant je fuis perfuadé qu'il faut diftinguer ces quatre perfonnages, dont deux ont regné en Egypte, & les deux autres en Phenicie; quoiqu'après leur mort ils foient devenus les uns & les autres, par les biens dont ils avoient comblé leurs Peuples, le fymbole du Soleil & de la Lune. Je ne nie pas qu'il n'y ait pu avoir un grand commerce de Religion entre deux Peuples auffi voifins que l'étoient les Egyptiens & les Pheniciens; mais ce commerce ne prouve pas l'identité de leurs Rois & de leurs Dieux ; & fi l'on trouve quelques traits de leur hiftoire qui fe reffemblent, il y en a un plus grand nombre encore qui ne peuvent pas convenir aux uns & aux autres. Car enfin, que peut avoir de commun avec l'hiftoire d'Ifis ce qu'on raconte de Cinyras & de fon incefte; trait d'hiftoire évidemment imité de ce que l'Ecriture Sainte

raconte de Noé & de fon fils? Voit-on dans l'hiftoire d'Ifis qu'elle ait été obligée de fuir la colere de fon pere, & de fe retirer en Arabie, comme Myrrha & Adonis? D'ailleurs toute l'Antiquité (a) convient qu'Ofíris étoit le frere & le mari d'Isis, & M. le Clerc eft obligé de dire qu'Adonis n'étoit que le fils d'Aftarté. Oliris eft tué par Typhon fon frere, de la maniere que je l'ai dit Adonis eft tué, ou par un fanglier, ou dans une bataille. Ifis raffemble les membres épars de fon époux, & leur éleve des tombeaux dans tous les lieux où elle les trouve ; raconte-t'on rien de pareil d'Aftarté ? Le retour d'Adonis qui revient des Enfers, etoit une marque fymbolique de fa guérifon, comme je le dirai dans la fuite; celui d'Osiris n'étoit que l'apparition d'un boeuf femblable à celui qu'on venoit de noyer. En Egypte on fe rejouit lorfqu'on a retrouvé un jeune Taureau diftingué par de certaines marques; en Phenicie on s'abandonne à la joye, lorfqu'Adonis, qu'on croyoit mort, eft veritablement gueri par les foins du Medecin Cocytus (b). Adonis, fuivant l'Arrêt de Jupiter, demeure fix mois aux Enfers avec Proferpine, & fix mois fur la terre avec Venus ; les Egyptiens ne difent rien de semblable de leur Ofiris. Venus ne pouvoit être un moment separée de fon cher Adonis ; Ofiris quitta Ifis pour aller aux Indes & dans differens autres pays. Ifis & Ofiris regnoient en Egypte, comme tout le monde en convient; Aftarté, Adonis, & fon grand-pere Cinyras étoient Rois de Phenicie, dont la ville capitale, felon Strabon & Lucien, étoit Byblos, où ces deux Auteurs difent que fe pafferent les évenemens qui font le fujet de cette Hiftoire. Enfin, l'un étoit un Prince conquerant, l'autre un Roi pacifique qui n'aimoit que la chaffe. Mais ce que je vais dire du culte rendu à Adonis & à Aftarté, comparé à celui d'Ifis & d'Osiris, prouvera encore mieux qu'ils étoient differens les uns des autres.

Quoique j'aye traité ce fujet dans une Differtation particuliere (c), je crois qu'on ne fera pas faché d'en trouver ici l'abregé.

(a) Ciceron dans le paffage qu'on a cité; Theocrite Id. 3. & Bion dans l'Epitaphe d'Adonis fans parler des autres Auteurs anciens qui difent la même chose.

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(b) Voyez la fuite de cette Hiftoire.

(c) Voyez les Memoires de l'Academie des Belles-Lettres, Tome III.

Adonis

Adonis aimoit paffionnément la chaffe ; & un jour qu'il étoit dans les forêts du mont Liban, un fanglier le bleffa à l'aine: on vint auffi-tôt porter à Aftarté la nouvelle de la mort de ce Prince. Rien ne peut égaler l'affliction qu'elle en concut, ainfi que je viens de le dire. Elle fit retentir toute la ville de fes gemiffemens, & tout le Royaume prit le deuil. Pour rendre immortelle la memoire de ce jeune Prince, & adoucir en quelque forte l'affliction de la Reine, on établit en l'honneur d'Adonis un culte, & des fêtes folemnelles : c'étoit la reffource ordinaire des flateurs, & l'Antiquité doit prefque tous fes Dieux, au foin qu'on a eu d'honorer les morts pour plaire aux vivans.

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Il y avoit, au rapport de Lucien, un fleuve près de Byblos, qui portoit le nom d'Adonis ; ce fut - là fans doute qu'on lava la playe de ce Prince, & comme l'eau en devenoit rouge, par les fables que le vent y pouffoit du mont Liban dans certaine faifon de l'année, comme Lucien l'apprit d'un habitant du pays, on voulut bien croire que c'étoit le fang d'Adonis qui caufoit ce changement, & on prit même ce temps-là pour celebrer fes fêtes. Toute la ville commençoit d'abord à prendre le deuil, & à donner des marques publiques de douleur & d'affliction. On n'entendoit de tous côtés que pleurs & que gemiffemens : les femmes, qui étoient les Miniftres de ce culte, étoient obligées de fe rafer la tête, & de fe battre la poitrine, en courant par les rues ; & l'impie fuperftition obligeoit celles qui refusoient d'affister à cette ceremonie, à fe proftituer pendant un jour (1), pour employer (1) Lucien au culte du nouveau Dieu, l'argent qu'elles gagnoient à cet infame commerce. Au dernier jour de la fête, le deuil fe changeoit en joye, & chacun fe réjouiffoit comme fi Adonis étoit reffuscité. La premiere partie de cette folemnité s'appelloit Apaviouds, pendant laquelle on pleuroit le Prince mort, & la feconde, Euptors, la découverte, où la joye fuccedoit à la trifteffe.

1. cit.

Cette ceremonie étoit continuée pendant huit jours, & elle étoit celebrée en même temps dans la Baffe-Egypte. Lucien (2) (2) Loc. ci remarque à ce fujet une chofe fort finguliere, & dont il a été lui-même le témoin. Les Egyptiens expofoient fur la mer

Tome I.

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un panier d'ofier (a), qui étant pouffé par un vent favorable arrivoit de lui-même fur les côtes de Phenicie, où les fem mes de Byblos qui l'attendoient avec impatience, l'emportoient dans la ville; & c'étoit alors que l'affliction publique finiffoit, & la fête fe terminoit par les tranfports de joye qu'on faifoit éclater de tous côtés. Simulatione luctûs peractâ, dit (1) Sat. L. I. Macrobe, celebratur lætitiæ exordium (1).

ch. 2.

C. 18.

C. 18.

Cette circonftance n'a pas été oubliée par les Ecrivains facrés, & c'eft au rapport de Procope de Gaze (2) & de S. (2) In Ifai. Cyrille (3), le fens qu'il faut donner à ce paffage du Prophete (1) In Ifai. Ifaïe, où il eft dit: Mittens per mare legatos, & in vafis junceis per fuperficiem aquarum. Les Septante, qui étoient eux-mêmes à Alexandrie, & qui devoient par confequent être bien informés de ce fait, ne laiffent aucun lieu d'en douter; ils ajoutent même, comme le remarque faint Cyrille, qu'il devoit y avoir dans ce petit vaiffeau des Lettres, qu'ils appellent Ε'πιςολές βυβλίνας.

Le culte d'Adonis ne fut pas renfermé dans la Syrie, & il 44) Id. 15. penetra bien-tôt dans les pays voifins. Theocrite (4) raconte que les Dames de Syracufe s'embarquoient pour aller à Alexandrie, où la fête celebrée en fon honneur les appelloit. Rien n'étoit fi fuperbe que l'appareil de cette ceremonie. Arfinoé, fœur & femme de Ptolemée Philadelphe, portoit ellemême la Statue d'Adonis. Elle étoit accompagnée des femmes les plus confiderables de la ville, qui tenoient à la main des corbeilles pleines de gâteaux, des boëtes de parfums, des fleurs, des branches d'arbres, & toutes fortes de fruits. La pompe étoit fermée par d'autres Dames qui portoient de riches Tapis, fur lefquels étoient deux Lits en broderie d'or & d'argent, l'un pour Venus, & l'autre pour Adonis. On y voyoit la Statue de ce jeune Prince avec une paleur mortelle fur le vifage, qui n'effaçoit pas les charmes qui l'avoient rendu fi aimable. Cette Proceffion marchoit ainsi du côté de la mer, au bruit des trompettes & de toutes fortes d'inftrumens qui accompagnoient la voix des Muficiens. Ce même culte s'éten(5) Sat. L. 1. dit dans toute l'Affyrie, comme Macrobe nous l'apprend (5): (a) Lucien croit qu'il étoit fait de ce bois dont on fe fervoit pour faire le papier, & il l'appelle xsqálu pobatilu..

cap. 21.

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Infpecta religione Affyriorum, apud quos Veneris Architidis &
Adonidis maxima olim veneratio viguit.

▼. 30. & 31.

C'est fans doute à la même fête, celebrée à Babylone, que fait allufion le Prophete Baruch (1), lorfqu'il dit que les Prê- (1) Chap. 7. tres de cette ville étoient affis dans leurs Temples la tête nue & rasée, avec des habits déchirés, pleurants comme dans un feftin pour un mort. Les Interpretes de l'Ecriture Sainte font perfuadés que lorfque Moyfe défend aux Ifraëlites (2) de fe (2) Levit. 16, rafer la tête pour le mort, il fait allusion au deuil & aux fêtes d'Adonis; & que dans le confeil que Balaam donna à Balac, Roi des Moabites, d'attirer les Hebreux aux fêtes de fes Dieux, dans lesquelles après le feftin on s'abandonnoit à toutes fortes de defordres, il s'agit de celles du même Dieu, dont le culte avoit penetré dans les Etats de ce Prince. Ammian Marcellin (3) le dit en particulier de la ville d'Antio- (3) Liv. 19. & che. Evenerat autem iifdem diebus annuo curfu Adonia ritu veteri celebrari ; & cet Auteur fait voir en même temps que les ceremonies qu'on pratiquoit dans cette ville, étoient les mêmes que celles des funerailles des perfonnes de confideration, comparant la pompe funebre d'un jeune Prince tué dans un combat, à celle de la fête d'Adonis, que les femmes celebroient avec tant de pleurs & de gemiffemens.

22.

La Judée étoit trop voifine de l'Affyrie & de l'Egypte, & les Juifs avoient trop de penchant pour les fuperftitions étrangeres, pour n'avoir pas à leur tour celebré les Fêtes de cette fauffe Divinité. Le Prophete Ezechiel (4), dans l'un de ces (4) Chap. 8. divins transports, où Dieu lui reveloit les abominations d'If- ▾. 15. raël, vit près de la Porte du Temple, qui regardoit du côté du Septentrion, des femmes affifes qui pleuroient Thammus (a). Les Interpretes font partagés fur la fignification de ce nom, & les Rabbins ont debité à cette occasion plusieurs fables ridicules; mais il faut nous arrêter à l'autorité de Saint Jerôme & de quelques autres Peres de l'Eglife, qui ont traduit le mot Thammus par celui d'Adonis; & ecce fedebant ibi mulieres, plangentes Adonidem, & ont cru avec beaucoup de raison , que ces femmes de Judée pleuroient la mort de ce Prince, & en celébroient la fête, à peu près comme les Peu(a) Les Septante le nomment Thammos.

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