Imágenes de páginas
PDF
EPUB

que je charge cet Article de toute l'érudition Orientale qu'on trouve dans cet Auteur; mais ils fe plaindroient avec justice, fi je ne leur apprenois pas en peu de mots ce qu'on doit penfer de ces Dieux (a). Je dis donc premierement que les Teraphims étoient des Dieux très-anciens, puifque leur culte étoit établi du temps de Jacob & de Laban. 2°. Que leurs Idoles étoient de figure humaine, & qu'il devoit y en avoir de grandes & de petites; de petites, puifque quoique Rachel en eût derobé plufieurs, Deos meos, elle les cachoit aux yeux de fon pere, fous le baft d'un chameau en fe tenant affife deffus de grandes, puifque Michol en mit une dans le lit de David, afin que ceux qui le gardoient puffent croire que c'étoit David lui-même qui dormoit. Aben Efrà, le plus celebre Theologien des Juifs, & en même temps un grand Aftrologue, dit que ces Idoles étoient reprefentées fous une figure humaine, afin qu'elles fuffent capables de recevoir les influences celeftes ; comme fi, fuppofé que ces prétendues influences agiffent fur les corps, les animaux & les autres êtres n'étoient pas auffi capables de les recevoir que les hommes. Quoiqu'il en foit, comme ces Idoles, dans le fentiment des Rabbins, fervoient à la Divination, Rachel ne les deroba, selon eux, qu'afin que Laban ne pût pas par leur moyen fçavoir le chemin qu'ils auroient pris en fortant de fa maison, & fût par-là hors d'état de les poursuivre. S. Augustin semble Queft. in favorifer le fentiment de ces Rabbins lorfqu'il dit (1): Quod Laban dicit, quare furatus es Deos meos; hinc eft illud fortafle quod & augurari fe dixerat. En effet Laban avoit déjà dit à Jacob; j'ai auguré que Dieu m'a beni pour l'amour de vous: Auguratus fum quod benedixerit mihi Deus propter te. Quelques Interpretes croyent que Rachel, quoiqu'inftruite par fon mari du culte du vrai Dieu, avoit encore quelque penchant à l'Idolâtrie; mais il s'en trouve d'autres & en plus grand nombre, qui jugeant plus favorablement de la pieté de Rachel, difent qu'elle n'enleva les Idoles de fon pere, que pour lui ôter l'objet d'un culte criminel.

Gen. 94.

(a) On ae parle point des differentes étymologies que les Sçavans donnent du mot Teraphim; la varieté & l'incertitude qui regnent dans leurs conjectures à ce fujet, m'en difpenfent; on peut confulter M. Fourmont, Ref. Critiques, T. I. p. 318.1

3.Les

3°. Les Auteurs ne font pas d'accord fur l'idée qu'on avoit des Teraphims. Il y en a parmi eux qui difent qu'on leur rendoit un culte religieux, pendant que les autres affûrent qu'on ne les regardoit que comme des efpeces de Talifmans, dont on fe fervoit pour la divination,; mais comme l'Ecriture Sainte les appelle des Dieux, il y a apparence qu'on les ho

noroit comme tels.

4°. Mais de quelle maniere fe fervoit-on des Teraphims pour decouvrir l'avenir ? Les confultoit-on comme des Oracles? D'où venoient les reponses aux demandes qu'on leur faifoit? Ce font autant de queftions que je ne trouve point decidées dans les Auteurs qui ont parlé de ces Idoles. Je ne rapporterai point ici les conjectures des Interpretes & des Rabbins. Ezechiel dit feulement qu'on les interrogeoit. Ce Prophete (1) racontant de quelle maniere Nabuchodonofor s'étant (1) Chap. 2ẩ arrêté dans un endroit qui aboutiffoit à deux chemins, voulut V. 21. apprendre par le fort de quel côté il tourneroit fes armes, dit qu'il avoit interrogé fes Teraphims. Stetit Rex Nabuchodonofor in bivio, capite fcilicet duarum viarum, divinationem quærens, commifcuit fagittas & interrogavit Teraphim (2). Mais il ne nous apprend pas de quelle maniere ces Idoles lui avoient répondu; & comme il ajoute qu'après cette operation des fleches & des Teraphims, le fort étoit tombé fur Jerufalem, ce qui l'avoit determiné à aller attaquer cette ville; & qu'on fçait d'ailleurs que le fort par les fleches (a) confiftoit à les mêler d'une certaine maniere, il paroît que les Teraphims étant des efpeces de Talifmans, fur lefquels étoient peut-être gravés les Signes & les Conftellations du ciel, on croyoit en les appliquant d'une certaine maniere aux afpects de ces Conftellations & de ces Signes, pouvoir deviner ce qu'on avoit envie d'apprendre. On trouve auffi dans le dix-huitiéme Chapitre du Livre des Juges, que l'on confultoit les Teraphims

(a) Cette forte de divination étoit fort ancienne dans la Chaldée, & elle confiftoit en ce qu'on écrivoir fur ces fleches les noms des lieux où l'on vouloit aller, ou quelques mots qui marquoient le deffein qu'on avoit dans l'efprit. On méloit ces fleches, on en tiroit une, & on prenoit pour une declaration de la volonté du Dieu qu'on adoroit, ce qui étoit écrit deffus. Ainfi Nabuchodonofor ayant trouvé le nom de Jerufalem dans celle qu'il tira la premiere, il alla affiéger cette ville, au lieu dé porter les armes contre les Ammonites dont le nom étoit écrit fur une autre ficche.

Tome 1.

Dddd

(2) La Vulment Idola

dit feule gate

Liv. 3.

[ocr errors]

pour connoître l'avenir, puifque les Députés qu'avoient envoyés ceux de la Tribu de Dan, pour découvrir le pays, étant arrivés chez Micha qui avoit des Teraphims & un Levite pour leur fervir de Prêtre, le prierent de les confulter pour fçavoir fi leur voyage feroit heureux.

que

Onkelos, le Syriaque, les Rabbins, & après eux Grotius & plufieurs autres Interpretes, ont donc cru avec beaucoup de raifon, que les Teraphims étoient des Talismans, c'est-àdire, des figures de metal, fondues & gravées fous certain afpect des Planetes, aufquels on attribuoit plufieurs vertus, & par le moyen defquels on croyoit pouvoir deviner l'avenir. () More rub. Maimonide (1) dit qu'on en fondoit anciennement d'or & d'argent ; que les premiers étoient confacrés au Soleil, & les feconds à la Lune : & qu'on leur attribuoit la vertu d'éloigner les maux & de prédire l'avenir. On affure les Anciens avoient de ces figures magiques, qui avoient du mouvement & qui rendoient des Oracles; ce qui étoit affez commun chez les Egyptiens & parmi les Arabes, qui fe vantoient d'avoir le fecret d'enfermer dans ces figures les Demons & les Dieux, & de les obliger de leur repondre lorfqu'ils les confultoient : c'eft fans doute à cet ufage que fait allusion le (2)C. 10.2. Prophete Zacharie, lorfqu'il dit, fuivant le texte Hebreu (2); Teraphim locuta funt vanitatem, & divini viderunt mendacium. Enfin l'Auteur du fecond Livre des Rois dit que Jolias détruifit entierement dans fon Royaume, l'efprit de Python, les difeurs de bonne avanture, & les Teraphims : ce qui ne laisse aucun lieu de douter qu'ils ne ferviffent à la divination.

[ocr errors]

Tout l'Orient eft encore entêté de cette vaine fuperftition; & fi elle eft une des plus anciennes, puifqu'elle fubfiftoit du temps de Laban, elle eft auffi une des plus generales. On ne voit point d'hommes dans la Perfe & dans les Pays voisins qui ne portent fur eux des Talifmans, & quelquefois ils en ont un très-grand nombre. Ces Amuletes, ou prefervatifs, confiftent en quelques mots myfterieux, écrits fur du papier, ou gravés fur du bois ou fur des pierres précieuses, avec quelques Signes ou Conftellations celeftes, fous lefquels ils ont été faits. Les Bafilidiens en faifoient grand ufage; & les Mahometans qui n'ont point de Statues, portent de ces

[ocr errors]

Talismans gravés fur des pierres, ou écrits fur du parchemin: mais je n'ai pas deffein de m'étendre fur ce fujet, qui a été traité par plufieurs Auteurs (a).

Si l'on pouvoit ajouter foi aux Rabbins, il faudroit convenir que la maniere de faire les Teraphims étoit également impie & cruelle, puifqu'ils difent que quand on vouloit fondre une de ces figures, on tuoit un homme, & après lui avoir coupé la tête, on l'embaumoit & on l'enfermoit dans le fond d'une muraille. On mettoit fous fa langue un lame d'or, fur laquelle étoit écrit le nom de quelque Dieu; & ces mêmes Auteurs ajoutent que quand on vouloit la faire parler, on allumoit des cierges devant elle, & on fe profternoit, & qu'alors elle rendoit fes Oracles. Mais en quoi reffemblent ces fortes de Teraphims, à ceux que Rachel deroba à fon pere Laban? enfin, de quelle maniere les Teraphims repondoient-ils à ceux qui les confultoient, puifqu'il eft für par le paffage du Prophete Zacharie que nous venons de rapporter, qu'ils ren doient des Oracles? On doit fe rappeller ici ce qui a été dit fur les differentes manieres dont les Oracles faifoient connoître leurs reponses (1), & il y a apparence que c'étoit de quel (1) Liv. 4. qu'une de ces manieres que les Teraphims inftruifoient ceux qui les confultoient; car je ne fuis pas du fentiment du Cardinal Bellarmin, qui étoit perfuadé que ces Idoles prenoient une voix humaine pour annoncer l'avenir. Il eft vrai qu'on trouve dans la Fable, & même dans l'Hiftoire, qu'il est arrivé quelquefois que des Statues ayent parlé. On dit en effet que dans le temps qu'on faccagea la ville de Veies, on interrogea une Statue de Junon, pour fçavoir fi elle vouloit venir à Rome, & qu'elle repondit, je le veux; que celle de la Fortune, qui fut confacrée aux femmes, & fur-tout à la mere de Coriolan, avoit prononcé ces paroles, ritè me dicaftis, il ne manque rien à ma dédicace ; que celle de Cybele qu'Attalus avoit refusée aux Romains, déclara qu'elle vouloit être tranf portée à Rome, ainsi que le raconte Ovide:

Mira canam; longo tremuit cum murmure tellus,

Et fic eft adytis dicta locuta fuis :

(a) Voyez Scaliger. Gaffarel, Selden, &c.

Dddd ij

P. 327.

(1) Faft. L. 4.

V. 265.

Ipfa peti volui, ne fit mora, mitte volentem ;

Dignus Roma locus, quò Deus omnis eat (1).

rap

Mais la plupart de ces faits font reconnus comme fabuleux par ceux mêmes qui les rapportent en effet Tite Live traite de pure fiction le premier des exemples que je viens de porter. Plutarque, dans la Vie de Coriolan, détruit par de judicieufes reflexions l'article de la Fortune des femmes, qu'on difoit avoir parlé; & on ne peut tirer aucune induction de celui qui eft rapporté par Ovide, puifqu'il dit feulement que la voix qui fe fit entendre, pour dire que la Déeffe approuvoit fon transport à Rome, fortit du fond du Temple; ce qui ne prouve pas que la Statue elle-même l'eût formée. Le temoignage du Prophete que j'ai cité sembleroit favoriser l'opinion que je combats, puifqu'il dit nettement que les Teraphims avoient parlé ; mais pourvû que l'on convienne qu'ils reveloient l'avenir de quelque maniere que ce fuft, ce paffage aura toujours toute fa force.

L'Auteur de l'Hiftoire Critique des Cultes anciens, croit que dans chaque maison où il y avoit des Teraphims, on les plaçoit aux deux extrêmités d'un Cenotaphe, à peu près comme les Cherubins étoient pofés fur les deux bouts de l'Arche d'Alliance, & que c'étoit près de cette efpece de tombeau qu'on fe profternoit, & qu'on offroit des Sacrifices & des prieres à ces Idoles; mais où a-t'il appris cette circonftance? Les Teraphims étoient connus long-temps avant la conftruction de l'Arche & du Tabernacle, puifqu'il en eft parlé dans l'hiftoire de Jacob & de Laban, anterieurs de quelques fiecles à Moyfe: & il ne fert de rien à cet Auteur de dire que les Idoles honorées dès les temps les plus reculés, ne devinrent des Oracles qu'après l'entrée des Ifraëlites dans la terre promife; car fur quelle autorité peut-on appuyer cette opinion finguliere?

Concluons de ce que nous venons de dire, que les Teraphims tiroient leur origine de Chaldée, & qu'ils étoient d'une grande antiquité. Qu'il y en avoit de bois & de metal (a);

(a) Cette circonftance eft rapportée dans le Livre des Juges à l'occafion des Teraphims de Micha.

« AnteriorContinuar »