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d'animaux qu'on trouvoit dans un pays, lui faifoit donner un nom qui y faifoit allusion. Ainfi l'Espagne prit le fien des lapins dont elle étoit remplie; l'Ile de Rhodes, des ferpens; la ville de Lyon, des corbeaux; l'Ile d'Icare, des poiffons quelquefois auffi ces noms provenoient des bois & des forêts dont un pays étoit couvert, comme les Pyrenées; ou des pâturages, comme le Parnaffe : enfin des fruits qu'on y trouvoit, comme Saïs en Egypte, des oliviers qui y venoient en abondance. : le Portugal, de fon grand nombre d'amandiers; ou quelque fois des Volcans qui for toient des montagnes, comme le Mont - Etna; ainfi des

autres.

Les moindres équivoques donnoient lieu à une Fable. Plutarque dans la vie de Licurgue, dit fur la foi d'un Ancien, qu'Apollon ayant donné à quelques Cretois un Dau phin pour conducteur, ils allerent dans la Phocide, où ils bâtirent la ville de Cyrrha on voit bien qu'ils y furent con duits fur un Vaiffeau nommé le Dauphin. Ce n'eft donc pas parmi les Ecrivains Grecs, qu'il faut chercher l'origine des anciens Peuples, ni des autres monumens de l'Antiquité; ils n'ont fait que copier les Egyptiens & les autres peuples d'Orient, qui eux mêmes avoient rempli de Fables leur ancienne Hiftoire.

Lorfqu'il s'agiffoit de chercher l'origine des Villes & de leurs Fondateurs, c'étoit toûjours quelque Heros, quelque fils de leurs Dieux qui les avoit bâties. La ville de Cypariffe dans la Phocide, étoit environnée de cyprès qui lui avoient fait donner ce nom; & celle de Daulis dans le même Pays, (1) Eufth. étoit entourée d'arbres (1), dont elle avoit pris le fien. Ces fur le deuxié- origines étoient trop fimples, ils aimoient mieux avoir recours à un certain Ċypariffus, & au prétendu Tyran Daulis, qui donnerent leur nom à ces deux Villes. Lycoreus avoit bâti celle de Lycorée fur le Parnaffe, qui avoit pris fon nom de la quantité de loups qui y étoient. On pourroit joindre ici un nombre infini d'autres exemples, mais ceux-là suffisent pour prouver ce que je viens d'avancer.

me Livre de l'Iliade.

C'est donc dans l'Ecriture Sainte qu'il faut chercher la ve xitable Antiquité ; les Hiftoriens profanes ne commencent

qu'au

qu'au temps d'Efdras, c'eft-à-dire, du dernier Hiftorien facré, fi vous exceptez l'Auteur des Machabées : Homere même & Hefiode, leurs plus anciens Poëtes & leurs plus grands Theologiens, n'ont vécu que long-temps après la guerre de Troye. Pour ce qui regarde Darès Phrygien, Dictys de Crete & quelques autres, quand même ils ne feroient pas des Auteurs fuppofés, comme ils le font en effet, ils n'auroient vécu que vers le temps de la guerre de Troye, époque qui répond au temps des Juges; & feroient toûjours bien pofterieurs aux évenemens dont parle Moyfe. Les Grecs n'étoient donc nullement inftruits des temps un peu reculés, & leur Histoire ne commença à devenir raisonnable, que du temps des Olympiades, avant lequel Varron avoue qu'on n'y voyoit que confufion & que chimere.

Mux is

Mais pour bien éclaircir tout ceci, & fçavoir en quel temps les Fables ont pris naissance, il faut diftinguer trois fortes de temps; les temps inconnus, les temps temps fabuleux, & les temps hiftoriques (1). Les premiers, qui font comme l'enfance & (or, le berceau du monde, comprennent ce qui s'eft paffé depuis, Voyez le Chaos, ou plutôt depuis la création, jufqu'au Déluge d'O- Cenforin. gygès, arrivé vers l'an 1600. avant J. C. Les temps fabuleux renferment ceux qui fe font écoulés depuis ce Deluge, jufqu'à la premiere Olympiade, où commencent les temps hiftoriques. Il eft bon de remarquer que cette celebre divifion de Varrou, ne regarde que l'Hiftoire Grecque; car non-feulement les Ifraëlites, mais les Egyptiens même & les Pheniciens, avoient connoiffance des temps les plus reculés, par la Tradition & par des Annales, quoique fouvent mêlées de Fables; mais il ne s'agit ici que des Grecs, qui n'avoient qu'une connoiffance très-confufe des premiers fiecles du monde ; & c'eft dans l'espace du fecond intervalle qu'on doit placer l'origine de ce nombre_prodigieux de Fables qu'on trouve repanduës dans leurs Poëtes. Il faut avouer cependant, que tous les fiecles des temps fabuleux, n'ont pas été également feconds en Fables & en Heroïfme: celui fans doute d'où nous en eft venu la plus grande quantité, a été celui de la prise de Troye.

Cette celebre Ville fut prife deux fois ; la premiere fois
Tome I.

H

par Hercule, & 30. ou 35. ans après, c'est-à-dire, l'an avant Jesus-Chrift 1282. par l'Armée des Grecs fous la conduite d'Agamemnon. Au temps de la premiere prife, on voit paroître Telamon, Hercule, Thefée, Jafon, Orphée, Caftor & Pollux, & tous ces autres Heros de la Toifon d'Or. A la feconde prife, paroiffent les fils ou les petits fils des premiers, Agamemnon, Menelaüs, Achille, Diomede, Ajax, Hector, Paris, Enée, &c. & dans le temps qui s'écoula entre ces deux époques, arriverent les deux guerres de Thebes où parurent, Adrafte, OEdipe, Eteocle, Polynice, Capanée, & tant d'autres Heros, fujets éternels des Fables des Poëtes. Heureux fiecle pour les Poëmes & les Tragédies! Auffi les Théatres de la Grece, ont ils retenti mille fois de ces noms illuftres. On peut ajoûter que ceux de la France en retentiffent encore tous les jours; enforte que les Heros de notre fiecle, fouvent plus Heros que ceux de l'Antiquité, n'ofent y paroître que fous des noms empruntés. Ce n'eft pas là ce qui furprend le plus; c'eft de voir qu'on y fait paroître tous les jours les Divinités ufées du Paganifme, & que dans une Ville Chrétienne on voye ces Divinités déplorables y donner l'affreux fpectacle de leurs débauches: enforte qu'on eft également fcandalisé de voir l'ancienne idolatrie paroître avec autant de pompe & d'appareil, qu'on la voyoit autrefois à Rome & à Athenes, comme des leçons dangereufes qu'une morale toute payenne inspire à la jeunesse. Mais revenons à notre fujet.

Enfin l'Hiftoire Grecque, jufques-là fi fabuleufe, prit une nouvelle forme par le retabliffement des Olympiades : l'on commença alors à placer les évenemens fous leurs épo

ques.

On ne convient pas trop du temps où les Jeux Olympiques, qui y donnerent lieu, furent inftitués. Leur origine fe trouve cachée dans la plus profonde obfcurité : Diodore de Sicile dit feulement que ce fut Hercule de Crete qui les inftitua, fans nous apprendre ni en quel temps, ni à quelle occafion; mais l'opinion la plus commune parmi les Sçavans, (1) Voyez (1) eft que Pelops en fut l'Auteur, & que la premiere céScaliger après lebration en fut faite dans l'Elide, la vingt-neuvième année

Lulebe.

du regne d'Acrife, la trente-quatriéme du regne de Sicyon,
dix-neuviéme Roy de Sicyone; & pour concilier les époques
profanes avec la Chronologie de l'Ecriture Sainte, ce fut l'an-
née vingt-troifiéme de la Judicature de Debbora. Atrée, fils
de Pelops, les renouvella, & en ordonna la feconde céle-
bration, l'an avant JESUS-CHRIST 1418. Enfin Hercule, au
retour de la conquête de la Toifon d'Or, affembla les Ar-
gonautes fur les bords du Fleuve Alphée près de la ville
de Pife dans l'Elide, pour y celebrer ces mêmes Jeux, en
action de grace
de l'heureux fuccès de leur voyage; & l'on
promit de s'y raffembler au bout de quatre ans pour le mê-
me fujet. Cependant ces Jeux furent difcontinués, jusqu'à
ce que Iphitus Roi d'Elide les rétablit 442. ans après, l'an
avant l'Ere chrétienne 777. La Grece en fit fon époque, &
on ne compta plus que par Olympiades ; & depuis ce temps-
là l'Hiftoire Grecque n'eft plus fi remplie de Fables.

Cette divifion, comme je l'ai déja remarqué, nous vient des Grecs qui ignoroient les Antiquités; & ces mêmes temps qu'ils appellent ou inconnus ou fabuleux, font des temps fort connus lorfqu'on les concilie avec l'Hiftoire Sainte, & même avec celle d'Egypte, & de plufieurs autres peuples de l'Afie, ce que les Sçavans n'ont pas negligé; & c'est ce qui fait que Scaliger (1) fe plaint fouvent, & même avec (1) Can. Ifagdes fentimens de douleur, de ceux qui leur ont donné le 1· 3. nom de Fabuleux, au lieu de celui d'Heroïques, qui leur conviendroit mieux. Diodore de Sicile avoit dit avant lui, que quoiqu'on ne puiffe pas ajouter la même foi à ce qu'on nous raconte de ces anciens temps, qu'à ce qui fe paffe de nos jours, on ne doit pas pourtant regarder comme des Fables, tout ce qu'on en raconte, puifqu'on y trouve les actions de ces Heros qui font devenus fi celebres.

Quoiqu'il en foit, les Olympiades ont repandu une grande clarté fur le Chaos de l'Hiftoire. Auffi les Sçavants leur ont des obligations infinies; mais perfonne, que je fçache, ne leur a témoigné fa reconnoiffance avec plus d'affection que le même Scaliger, que nous venons de citer. Il leur fait le plus joli compliment, qu'un Sçavant puiffe faire: » Je vous salue, dit-il, divines Olympiades, facrées dépofitaires de

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» la verité; vous servez à reprimer l'audacieuse témerité des Chronologues; c'eft par vous que la lumiere s'eft repandue dans l'Hiftoire; fans vous, que de verités feroient enfevelies dans les tenebres de l'ignorance! Enfin c'est par » votre moyen que nous fçavons avec certitude, les chofes (1) Animad,» mêmes qui fe font paffées dans des temps fi éloignés (1); in Euf. Chron. Mais en voilà affez pour cet article; venons à la treiziéme fource, qui eft tirée de l'ignorance des langues.

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L'

CHAPITRE VI.

Continuation de la même matiere.

'IGNORANCE des Langues, fur tout de la Phenicienne, a été auffi la source d'une infinité de Fables. Il eft für que les Colonies forties de Phenicie, allerent peupler plufieurs contrées de la Grece. Sans doute que leur Langue fe mêloit avec celle des pays où ils alloient (a): & comme la Langue Phenicienne a plusieurs mots équivoques, les Grecs qui dans la fuite lurent leur ancienne Hiftoire, qui étoit remplie de phrases Pheniciennes, y ayant trouvé ces mots équivoques, ne manquerent pas de les expliquer dans le fens qui étoit le plus felon leur goût. Il ne faut pas douter même, que lorfqu'ils confultoient les Pheniciens, qui connoiffoient le chant qu'ils avoient pour les fictions, ceux-ci ne leur en ayent fouvent impofé. De là ont pris naissance une infinité de Fables: en voici plusieurs exemples, tirés pour la plûpart de Bochart. Le mot alpha, ou ilpha, dans la Langue Phenicienne fignifie également un Taureau, ou un navire : les Grecs au lieu de dire qu'Europe avoit été emmenée fur un vaisseau dans l'Ifle de Crete, publierent que Jupiter changé en Taureau l'avoit enlevée. Dans la même Langue, les Pheniciens s'appelloient Hevéens, ou Achiviens; & comme le mot Chiva fignifie un ferpent, les Grecs l'ayant trouvé dans les Annales

pen

(a) Bochard & Voffius ont prouvé fans replique, que l'alphabet que Cadmus porta en Grece, étoit Phenicien; celui dont on s'y fervoit étoit Pelafgien, & il fe forma une Langue des deux.

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