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fans manger, & il leur donnoit la connoiffance des Lettres & des Sciences, & leur enfeignoit la pratique des Arts, à bâtir des Villes & des Temples, à établir des Loix, à s'appliquer à la Géometrie, à femer & à recueillir les grains & les fruits; en un mot, tout ce qui pouvoit contribuer à adoucir leurs mœurs. Au foleil couchant, il fe retiroit dans la mer, & paffoit la nuit dans les eaux. Il en parut dans la fuite d'autres femblables à lui, & Berofe avoit promis de reveler ces mysteres, dans les Hiftoires des Rois, mais il ne nous en eft rien refté. Le même Auteur ajoute qu'Oannès avoit laiffé quelque Ecrit fur les origines, dans lequel il enfeignoir qu'il y avoit eu un temps où tout n'étoit que tenebres & eau, & que cette eau & les tenebres renfermoient des animaux monftrueux; des hommes avec deux ailes, d'autres qui en avoient quatre, avec deux têtes dans un même corps, l'une d'homme & l'autre de femme, avec les deux fexes. Qu'on en voyoit avec des jambes & des cornes de chèvre ; que d'autres avoient ou la partie antérieure, ou la poftérieure du cheval, comme les Hippocentaures. D'autres naiffoient avec la tête d'un homme & le corps d'un Taureau; que les chiens avoient quatre queuës, ayant les parties de derriere comme les poiffons. Enfin, que tous les animaux étoient d'une figure monftrueuse & irréguliere, & tels qu'on en voyoit les representations dans le Temple de Bel. Cet Auteur ajoutoit encore, qu'une femme nommée Omorca (a), étoit la maîtreffe de l'Univers, & que Bel la divifa en deux : que d'une de fes parties il avoit formé la terre, & de l'autre le ciel & avoit donné la mort à tous ces monftres. Ce Dieu partagea enfuite les tenebres, fepara la terre d'avec le ciel, & arrangea l'Univers ; & après avoir détruit les animaux qui ne pouvoient foutenir l'éclat de la lumiere, & voyant le monde defert, il ordonna à un des Dieux de lui couper la tête à lui-mème, de mêler avec de la terre le fang qui cou

(a) Les Sçavans ont cherché plufieurs étymologies du nom de cette Omorca. Je m'en tiens au Syncelle qui le dérive de Thaleth, nom, dit-il, que les Grecs donnent à la mer, ce qui a rapport à une des plus anciennes opinions, celle-là même qu'avoit adopté Thalés de Milet, que l'eau étoit le principe de toutes chofes ; ou pour dire la même chose poëtiquement avec Homere, que l'Ocean étoit le pere des Dieux.

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leroit de la playe, & d'en former les hommes & les animaux après quoi il forma les aftres & les planetes, & acheva ainfi la production de tous les êtres.

Voilà, felon Alexandre Polyhiftor, ce que renfermoit le premier Livre de Berofe; c'est-à-dire, une Phyfique groffiere, & une Theogonie qui ne l'eft pas moins. Il eft vrai que cet Auteur a penfé que tout ce fyftême étoit allegorique; mais quelles allegories pourroient le rendre fupportable? Difons cependant que quelque monftrueux qu'il foit, il paroît n'être qu'une tradition defigurée de l'Hiftoire de la création, tirée des écrits de Moyfe, ou puisée dans une tradition encore plus ancienne. Il eft inconteftable que l'endroit où il eft parlé des tenebres qui couvroient la terre, mêlée alors avec l'eau, & tenebræ erant fuper faciem abyffi (1), eft le fonde- (1) Gen. C. 1. ment de toute cette Cofmogonie, dans laquelle les Chaldéens avoient imaginé les monftres dont on vient de voir l'Hiftoire, pour décrire d'une maniere plus fenfible & plus effrayante, cet état de confufion qui regna dans le monde immédiatement après la création.

pour cela

que

Pour ce qui regarde la formation de l'homme, on voit bien que l'Hiftoire en eft prife auffi de la defcription de Moyfe, qui dit que Dieu, après s'être comme exhorté lui-même à la production de ce chef-d'œuvre, prit de la terre qu'il détrempa avec de l'eau, & lui souffla un efprit de vie. Ces dernieres paroles ont apparemment donné occasion à l'Auteur du fyftéme Chaldéen, de dire que Bel s'étoit fait couper la tête; ou, fuivant une autre tradition, qu'il avoit coupé lui même celle d'Omorga, d'où Berofe conclut que c'eft l'homme fut doué d'intelligence. Pour ces hommes monftrueux. qui avoient deux têtes quatre bras, & les deux fexes, on peut penfer que l'idée en étoit prife auffi dans ces paroles de Moyfe, où cet Historien faifant au Chapitre II. une recapitulation de ce qu'il avoit dit dans le premier, ajoute en parlant d'Adam & d'Eve, maf culum & feminam creavit illos: & c'est cette idée des Chaldéens, pour le dire en paffant, qui a donné lieu à la fable des Androgynes, fi celebres dans le Dialogue de Platon, intitulé le Banquet ; fable que ce Philofophe fait debiter à Arif

V. 2.

'dans le Banquet.

(1) Platon tophane, un des interlocuteurs. Les Dieux, dit-il (1), avoient d'abord formé l'homme d'une figure ronde; avec deux corps, deux vifages, quatre jambes, quatre pieds, & les deux fexes. Ces hommes étoient d'une force fi extraordinaire qu'ils refolurent de faire la guerre aux Dieux. Jupiter que cette entreprife irrita, alloit les faire perir, comme les Géants qui avoient voulu efcalader le Ciel; mais voyant qu'il faudroit entiérement détruire le genre humain, il fe contenta de les partager en deux, afin qu'ainfi feparés en deux parties, ils n'euffent plus deformais ni tant de force, ni tant d'audace. Il donna en même temps ordre à Apollon d'ajufter ces deux demi-corps, & d'étendre fur la poitrine & fur le refte, cette peau qui y eft encore, & qui porte dans le nombril la marque qu'elle y a été arrêtée, & nouée, comme lorfqu'on ferme un fac ou une poche : ces deux parties d'un corps ainfi feparées cherchent à fe réunir, & voilà l'origine de l'a

mour.

Il eft aifé de juger que la fiction de ces hommes partagés en deux, eft tirée de l'Hiftoire que raconte Moyfe de la formation de la femme qui fut tirée d'une des côtes d'Adam, & (2) Gen. 2. qui étoit os de fes os, & chair de fa chair (2). L'efprit humain fait en vain tous fes efforts pour corrompre la verité; elle laiffe toûjours quelque trace lumineufe qui la fait reconnoître.

Il y y a eu quelques Rabbins qui ne fe font pas fort éloignés de l'opinion des Chaldéens, en difant que le corps d'Adam avoit été créé double, mâle & femelle, & que ces corps étant joints ensemble par les épaules, Dieu les avoit fepa(3) Voyez rés. (3) Heifeg. Hift.

des Patr. T. 1. P. 35.

Pour dire maintenant ce que je pense d'Oannès & du fragment de Berofe, il eft bon d'obferver que cet Auteur, après avoir fait la description du pays de Babylone, 10. ajoute immédiatement après, que la premiere année parut cet homme extraordinaire, fans que cette année foit relative à aucune autre; ainfi on ne peut rien conclure pour le temps où il parut. 2o. Le nom d'Oannès, ou Oès, comme le nomme Helladius, paroît être formé du mot Syriaque Onedo, qui fignifie un Voyageur ou un Etranger. Ainfi tout fe reduit à dire, que dans un temps qu'on ne fçauroit determiner, il arriva par mer

Cod. 279

un homme qui donna aux Chaldéens quelques principes de Philofophie, & quelque connoiffance des anciennes traditions, & leur laiffa des memoires fur ce fujet. On ne l'a representé comme une efpece de monftre, moitié homme, moitié poiffon, que parce qu'il étoit couvert d'écailles : on n'a dit qu'il fe retiroit la nuit dans la mer, que parce qu'il rentroit tous les foirs dans fon vaiffeau qu'il ne mangeoit point, parce qu'il prenoit fes repas dans fon bord; ainsi du refte. Ce que dit Helladius, dont nous avons un fragment que Photius nous a confervé (1), d'Oès, ou Oen, confirme (1) 2. Bibi l'explication que je viens de donner de cette fable: car cet Auteur, dont le recit convient affez avec ce qu'en a rapporté Berofe, ajoute qu'Oen, qui avoit des mains, des pieds, & une tête d'homme, étoit reellement un homme, & n'avoit été pris pour un poiffon, que parce qu'il étoit couvert depuis la tête jufques aux pieds, de peaux de poiffon, Ce qu'il dit enfuite, qu'on publioit qu'il étoit forti de l'oeuf primitif, d'où tous les autres êtres avoient été tirés, n'eft fondé que fur la reffemblance de fon nom, avec le mot grec Oon, qui fignifie un Oeuf; ou plutôt fur l'ancienne fable qui fuppofoit que tout étoit forti d'un oeuf. Remarquons en paffant qu'Hygin dit auffi, apparemment d'après ces deux Auteurs, qu'Eauhannés, ou comme portent les Imprimés, Euhadnés, dont le nom est une corruption de celui d'Oannès, étoit venu par mer en Chaldée, & y avoit enfeigné l'Aftrologie.

George Syncelle qui nous a confervé les fragmens de plufieurs Anciens, dit que felon Abydene, un fecond Annedotus ou un animal reffemblant à Oannès, étoit forti auffi de la mer fous le regne d'Amillarus, qui habitoit dans la ville de Pantibibla (a), vingt & fix Sares après le commencement de la Monarchie des Chaldéens: mais Apollodore le Chronographe difoit, fuivant la même Syncelle, qu'il n'avoit paru

(4) Scaliger fur Eufebe, p. 406. remarque très-bien que les Anciens n'ont rien dit de la ville nommée Pantibibla. Seroit elle la Sipphara de Ptolomée, dans laquelle Xixutrus, qui eft le même que Noé, depofa les Mémoires qu'il avoit compofés avant le Deluge? puifque ce nom peut étre derivé du mot Chaldéen Sepher, ou Spher, Livre, Recueil; & c'eft là le fens qu'a en Grec le mot Pantibibla. Le Che valier Newton, dans fa Chronologie, prend cette ville pour la Sepharvaïm dont il eft parlé au fecond Livre des Rois, Chap. 19. v. 13. ·

que fous le regne fuivant, c'eft-à-dire, du temps d'Amenon. En quoi on blâmoit Polyhiftor, d'avoir introduit après Berofe, fon Oannès à la premiere année; c'est-à-dire, vraifemblablement, au commencement de cette même Monarchie. Le même Apollodore parle d'un quatriéme Annedotus, qui étoit aussi forti de la mer, fous le regne de Daonus; & Abydene nomme quatre perfonnes qui vinrent alors par mer, pour enfeigner plus en détail ce qu'Oannès n'avoit appris aux Chaldéens, que d'une maniere abbregée; il nomme ces quatre Docteurs, Euhedochus, Eneugamus, Eneubalus, & Anembotus.

Telle étoit la Tradition des Chaldéens fur l'origine du monde, dans laquelle il paroît qu'on fuppofe les Dieux antérieurs à la formation du monde. On voit qu'il n'y eft nullement parlé de leur naiffance, comme dans celle des Pheniciens & des autres Peuples dont je parlerai dans le chapitre fuivant. Quoiqu'il en foít, voici les dix premieres generations, fuivant l'opinion des Chaldéens, & la durée de leurs regnes par Sares (a).

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(a) Les Anciens divifoient le temps en Sares, en Neres, & en Sofes. Le Sare; fuivant Syncelle, marquoit trois mille fix cens ans; le Nere, fix cens, & le Sofe foixante; ce qui donnoit à la durée des premiers regnes, un nombre infini d'années, chaqueRoi ayant regné plufieurs Sares; mais lorsqu'on ne regarde les Sares que comme des années de jours, le calcul de ces anciens Auteurs fe rapporte affez exactement aux années données par Moyfe aux premiers Patriarches. Voyez fur cela Scaliger, Petau, & les autres Chronographes, & en particulier l'Hiftoire univerfelle donnée par une Societé d'Anglois.

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