rez pas. C'eft de remettre au jour ce qu'on y a remarqué de paffable, & qui pourroit être de quelque utilité. L'occafion en eft favorable. Voici une nouvelle édition; elle me paroît plus litterale & plus éxacte que celles qui ont précédé; peut-être qu'on la lira plus volontiers, quand on la verra égaïée de nouveau par les trois caracteres que je vous ai faits autrefois des trois anciens Poëtes fatiriques tous differens, chacun felon fon humeur. Je les ai étudiés tous trois, & je les ai examinés de plus près, que je n'avois fait, afin de vous les mieux peindre. Généralement parlant Horace eft un Epicurien délicat, des plus déliés folide néanmoins dans de louables & bonnes maximes prifes abfolument & en elles-mêmes : il eft du refte fort plaifant & fort enjoué. Perfe eft obfcur, férieux & poli, d'un ftile vif & preffé, il dit beaucoup en peu de mots, il eft d'une fevere morale, & prétend néanmoins être grand rieur ; je ne vois pas pourquoi. Pour Juvénal, il m'a paru depuis vingt ans s'humaniser un peu: je ne fçai d'où cela vient peut-être que, comme il y a long-tems que je le connois, & que je me fuis, pour ainfi dire, familiarifé avec lui à force de retoucher cette traduction, il eft devenu infenfiblement d'un plus facile accès à mon égard. Dans le fond, quand je l'éxamine, fon humeur n'a guére change; il a toujours l'air chagrin, & fon portrait gravé au commencement de ce Livre, & animé de ce joli mot qui vient de lui. Facit indignatio verfum, le repréfente affez dans fon naturel. Je ne laifferai pas cependant de l'adoucir, & de le rendre un peu moins mifantrope; auffi-bien- feu Monfieur des Préaux trouvoit, à ce qu'il me dit une fois, que j'avois trop outré le caractere de ce Poëte: Vous fçavez que ce fameux fatirique de nos jours le connoiffoit parfaitement, & qu'il étoit juge équitable en telles affaires, & fur-tout excellent critique. Pour commencer donc par l'aîné de Juvénal, Perfe étoit de qualité, riche, beau, de fort bonne mine; ce qui ne fait pas toujours le vrai mériil s'en faut bien; rien n'y eft même quelquefois plus contraire ; vous voïez cela tous les jours. Il avoit avec ces avantages, le naturel admirable & les meilleures inclinations du monde"; car outre que fa complexion le réduifoit à être fobre & tempérant; une certaine pudeur répandue fur fon vifage & dans toutes fes manieres, le rendoit aimable. Oui, Monfieur, il étoit chaste & modefte naturellement & par choix tout enfem ble; zelé partifan de la vertu, ennemi déclaré du vice, il y paroît dans fes Satires; fort ménager de fon tems; inviolablement attaché à tous les devoirs de la vie civile, fage, difcret, officieux, complaifant, liberal & œconome à propos, obligeant, génereux, compatiffant aux chagrins des perfonnes qu'il fçavoit être dans l'indigence, & qui ne méritoient pas d'y être. Il étoit très-bon ami, encore meilleur fils, meilleur frere & meil te? leur parent. En effet, il avoit une amitié folide & effective pour fes fœurs, & une tendreffe refpectueufe pour Fulvia fa mere, quoique rema riée : & s'il étoit extrêmement pupille, quand fon pere mourut; s'il n'avoit que fept ou huit ans, lorfque Fulvia fit cette..... [le mot de foLie m'eft prefque échappé, mais il faut ufer de retenue à l'égard du fexe] il n'étoit déja que trop éclairé pour concevoir que cela n'étoit pas plaifant. Car la raifon s'ouvre beaucoup dans ces conjonctures; elle devient animée, & n'attend pas toujours le tems prefcrit pour faire fes réflexions, fur tout quand elle fe trouve dans un fujet affez bien difpofé pour la fatire. Mais il faut tout dire, Monfieur, le fecond mari mourut bientôt, & laiffa Perfe dans la fuite, en état de refpecter & d'aimer sa meré d'auffi bonne foi qu'il le faifoit n'étant encore qu'enfant. Je ne fçai fi Fulvia prie grand foin de l'éducation de fon fils, & fi elle ne s'aimoit point un peu trop, pour ne pas négliger une affaire de cette importance; c'eft de quoi je ne répondrois pas, car les fecondes noces des jeunes veuves détournent fort de ces fortes de foins. Mais de quoi je puis répondre, c'est que ce Chevalier Romain, quelque jeune qu'il fût, ne négligea rien pour fe rendre auffi accompli que je viens de vous le dépeindre; puifqu'il quitta Volterre d'où il étoit, & alla fe faire inftruire à Rome dans les belles lettres, pour lesquelles il avoit beaucoup de génie: auffi s'en fit-il fa prin cipale occupation, & s'y appliqua-t-il vivement. Il choifit, pour y réüffir, Rhemmius Palemon Grammairien, & Flavius Rheteur, tous deux excellents chacun en fon genre; perfuadé que les plus habiles dans leur art, ne font pas encore trop bons, parce qu'enfin ils font hommes. Ce fut par cette raifon, qu'étant extrêmement paffionné pour l'étude de la fageffe, il fe mit à feize ans, de fon propre mouvement, fous la conduite de Cornutus, fameux Stoïcien, & un des plus honnêtes hommes de fon fiècle. Quels égards! Quelle vénération n'eut-il pas pour ce grand Philofophe, avec qui il contracta depuis une liaison fi étroite, qu'il n'eut point de plus intime ami. Lifez fa cinquiéme Satire (où il ne laisse pas en paffant de fe louer un peu) vous y trouverez un difciple pénétré des fentimens de reconnoiffancs les plus tendres : & il fit bien voir à fa mort, que rien n'étoit plus fincére, puifqu'il donna à Cornutus, en vertu d'un codicile, vingt-cinq mille écus & fa, Bibliotheque compofée de fept cens volumes. Mais cet illuftre maître fe contenta des livres, & renvoya généreufement les vingt-cinq mille écus aux fœurs de Perfe, que cet aimable frere avoit déclarées fes héritieres dans fon testament. Combien aujourd'hui de Philofophes par état, auroient tout retenu, & fe feroient fervis de la force de leur efprit pour fe confoler de la mort de leur Eleve? Les habitudes prefque continuelles que notre Poëte eut avec Cornutus, lui 1 firent faire connoiffance avec quatre ou cing grands perfonnages du premier mérite; il les cultiva fort. Thrafea Poetus, vrai modéle de la vertu païenne, lui fut plus cher que pas un autre. Ce Thrafea avoit époufé la proche parente de Perfe, nommée Aria, fi célebre par l'action en ce tems-là prétendue héroïque qu'elle fit en fe plongeant un poignard dans le fein à la vûe de fon mari condamné à mort. J'ai dit, prétendue héroïque, car Perfe n'en jugeoit pas ainfi, puif qu'il s'avifa de compofer fur ce fujet des vers qui n'étoient point du tout à la louange d'une époufe fi généreuse & fi fidéle mais il fuivit confeil, fupprima les vers, & fit bien. Il connut auffi Séneque, dont il ne goûta pas plus le caractere d'efprit & les manieres, que Saint Evremont goûte les écrits de ce Philofophe qui avoit effectivement l'air un peu trop Magiftral. Perfe s'accommoda bien mieux de Lucain qui s'étoit peutêtre infinué dans fon efprit à force de fe récrier aux beaux endroits de fes Satires, en difant fouvent avec admiration. Voilà ce qui s'appelle d'excellentes pieces. Car, quelque modefte qu'on foit on fe laiffe aifément furprendre aux appas de ces applaudiffemens fi flatteurs donnés tout haut en pleine affemblée par un bon connoiffeur. Lucain n'avoit-il point en cela fes vûes? Ne s'attendoitil point au retour ? Les Poëtes & les Auteurs, vous le fçavez, donnent rarement en ce genre, rien pour rien ; & quand ils en viennent les uns |