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mais qui eut peu d'effet, parce que Koséila se retirait toujours devant lui. Les Berbères, ne comprenant rien à la tactique de leur chef, finirent par l'interpeler en lui disant : « Et pourquoi donc reculer toujours, ne sommes-nous pas cinq mille? - Chaque jour, leur répondit Koséila, va grossir notre nombre et diminuer le sien; une grande patie de ses forces l'a déjà quitté, et j'attends pour l'attaquer qu'il retourne vers l'Ifrikia. » En effet, Ok'ba, arrivé aux environs de Tchanda, fut attaqué à l'improviste par les Berbères, qui le suivaient depuis quelque temps. Ses troupes mirent pied à terre, dégainèrent leurs épées et en brisèrent les fourreaux qu'ils prévoyaient bien ne devoir plus leur servir un combat acharné s'en suivit, dans lequel Ok❜ba succomba avec presque tous les siens; ils étaient environ trois cents individus, les uns anciens compagnons de Moh'ainmned (le prophète), les autres disciples des premiers. On voit encore leurs tombeaux dans l'oasis qui a gardé le nom de leur valeureux capitaine, à 20 kilomètres au sud-est de Biskra (province de Constantine). Quand la nouvelle de ce désastre parvint à K'airouan, Zohéir-IbnK'aïs quitta la ville précipitamment avec les débris de l'armée musulmane et s'enfuit à Burk'a. Tous les peuples du Maghreb, tant Franks que Berbères, se joignirent aux bandes de Koséila et marchèrent sur K'airouan. A leur approche les Arabes évacuèrent la ville pour rejoindre Zohéir, à l'exception de ceux qui avaient des enfants et des bagages. Koséila leur accorda sa protection, et fit son entrée à K'aïrouan, où il continua, pendant cinq ans, à gouverner l'Afrikia et les Arabes restés dans le pays. Sur ces entrefaites eurent lien la mort du khalife lézid Ibn-Moaonia, la bataille de Merdje-Rahet entre les Oméiades et Dahhak Ibn-K'aïs et les troubles suscités par la famille d'Ez-Zobéir. L'autorité du khalifat en fut sensiblement ébranlée; la guerre se propagea dans le Maghreb, l'apostasie devint générale parmi les Zenata et les tribus descendues de Bernès. Mais l'avénement d'Abd el Melek, fils de Merouan, mit un terme aux insurrections dont l'Orient était le théâtre, et Zohéir Ibn-Kaïs, qui était toujours à Barka, reçut, avec des renforts, l'ordre d'attaquer les Berbères et de venger la mort d'Ok'ba. En l'an 67 de l'hégire ( 686-687), il se mit donc en marche avec une armée de plusieurs milliers d'Arabes. Les Berbères, sous les ordres de Koséila, lui livrèrent bataille à Mems, dans la province de K'aïrouan. Des deux côtés on soutint le combat avec un égal acharnement; mais enfin la mort de Koséila et d'une foule de Berbères décida le reste à prendre la fuite. Les Arabes les poursuivirent jusqu'à la Milouïa, forçant les indigènes à s'enfermer dans leurs châteaux et leurs forteresses. Les Aouréba, dont cette campagne avait brisé la puissance, se retirèrent dans le Maghreb et Ak'sa ( le Marok ) et ne firent plus parler d'eux pendant quelque temps.

O. MAC CARTHY.

Ibn Khaldoun, Hist. des Berbères, trad. par M. de Slane, t. II.

KOSINSKI ( Amilcar), général polonais, né vers 1770, mort en 1823. Après s'être distingué dans les campagnes de 1792 et 1794 sous Kosciuszko, il fit partie des légions polonaises d'Italie sous Dombrowski, et plus tard il combattit dans les rangs de l'armée du grand-duché de Varsovie, en 1807, 1809, 1810 et 1812.

Son fils Wladistas prit une part active aux événements de Posen en 1846 et en 1848, et publia des écrits remarquables dans l'intérêt de la Pologne. L. C.

L. Chodzko, Histoire de Pologne. - André Moraczewski, Relation des événements de 1848; Posen, 1850.

KOSINSKI, Voy. KUZMA,
KOSLOF. Voy. KOZLOF.

KOSŁOWSKI, Voy. KozlowSKI,

KOSSAKOWSKI (Simon), général polonais, né en 1742, pendu à Vilna, le 23 avril 1794. Attaché d'abord à la cour de Courlande, il embrassa en 1768 la cause de la confédération de Bar; mais en 1792 il se dévoua à la Russie, dans la confédération de Targowiça, et s'attribua le titre de grand-général de Lithuanie, c'est-à-dire de connétable, qui appartenait au prince MichelKasimir Oginski, proscrit par la Russie et réfugié à l'étranger. Aussi, lorsque Madalinski et Kosciuszko levèrent en Pologne l'étendard de l'indépendance, Jasinski arrêta Kossakowski, caché dans les combles de son château, et le fit pendre sur la place publique, en vertu d'un décret rédigé par Georges Bialopiotrowicz.

Son frère, Joseph Kossakowski, évêque de la Livonie-polonaise, né en 1750, pendu à Varsovie, le 9 mai 1794, se dévoua aussi aux intérêts de la Russie (1788-1792); il joua un rôle actif dans la confédération de Targowiça, qui renversa l'oeuvre patriotique de la diète de Varsovie. Aussi, lorsqu'en 1794 les Polonais expulsèrent les Russes de Varsovie, l'évêque Kossakowski subit la peine du gibet.

Un de ses parents; Joseph KOSSAKOWSKI, COMbattit les Russes, les Prussiens et les Autrichiens pendant les guerres de l'empire, et assista aux adieux de Napoléon 1er à Fontainebleau en 1814. L. CHODZKO.

Documents particuliers.

KOSSOF (Sylvestre), métropolite de Kief en 1647, mort occupant ce siége, le 13 avril 1657. Il a tracé en polonais la chronologie de tous ses prédécesseurs depuis le commencement du christianisine en Russie, dans un volume intitulé Patériik Pélcherskii; Kief, 1635, in-4°. Il a aussi écrit en russe détestable un traité Sur les sept Sacrements (Koutéinsk, 1653, in-4°), qui a été déclaré hérétique au concile de Moscou de 1690. Zalouski, bibliographe polonais, signale le premier de ces deux livres comme introuvable: opusculum stupendæ raritatis. A. G.

Slovar o pisateliakh doukhornago techina gréko rossiskoi Tzerkvi (Dictionnaire des Ecrivains ecclésiastiques de l'Eglise gréco-russe).

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ses

*KOSSUTH (Louis), chef de la révolution hongroise, est né le 27 avril 1806 (1) à Monok, dans le comitat de Zemplin. Son père, gentilhomme de petite noblesse, occupait chez le baron Vecsey la place d'intendant ou de procureur fiscal. Cette circonstance ne fut pas d'une médiocre influence sur l'avenir du jeune Kossuth; car le baron, homme libéral, voulut se charger de l'éducation de l'enfant, et dirigea de bonne beure ses pensées vers les rêves d'indépendance que caressait encore le vieux parti magyar. Placé aux frais du baron Vecsey au collège de Satorlja-Ujhely, Louis Kossuth, qui se distinguait déjà par un caractère fier et indépendant, refusa énergiquement d'y continuer ses premières études, à la suite d'une punition sévère, yeux injustement appliquée, et qui, disait-il, l'avait déshonoré dans l'esprit de ses condisciples. Son éducation n'en souffrit pas néanmoins, et, grâce aux libéralités du baron Vecsey, il put la terminer sur une plus large échelle sous la direction de maîtres particuliers. Après avoir achevé son cours de droit à l'école réformée de Sarospatak, il se prit d'une belle ardeur pour l'étude de l'histoire, et s'attacha surtout à la grande époque où son pays était encore indépendant. Dès lors on le vit saisir toute occasion propice de rappeler un passé si cher à ses compatriotes et de flétrir avec force la politique de l'Autriche vis-à-vis d'un peuple qu'elle ne gouvernait pas par droit de conquête, mais qui s'était librement donné. Aussi fut-il bientôt classé parmi les patriotes, gens notés par la police impériale comme éminemment dangereux; et lorsqu'il s'avisa de solliciter le modeste emploi de secrétaire à la chancellerie hongroise, on lui déclara nettement qu'avec ses opinions il ne devait rien attendre de l'administration. Kossuth se décida alors à suivre la carrière de son père, et entra comme procureur fiscal dans la maison de la comtesse Szapary; bientôt une querelle fâcheuse l'ayant obligé de se démettre de ces fonctions, il alla s'établir à Pesth pour trouver un champ plus vaste à son activité (1831).

L'année suivante, il accepta avec empressement l'occasion d'aborder la carrière politique, à laquelle il s'était préparé par de sérieuses études, et vint siéger, en qualité de représentant d'un magnat absent, aux états de Presbourg. Mais il se hâta trop

(1) Le Conv.-Lex. donne par erreur la date de 1802.

d'essayer ses facultés oratoires, et soit émotion, soit faiblesse, il échoua complétement à son début: Comprenant alors qu'il avait dépassé le but par une ardeur mal calculée, il s'abstint, jusqu'à la fin de la session, de paraître à la tribune. D'ailleurs la condition même de son mandat lui imposait en quelque sorte le silence et l'expectative: en sa qualité de suppléant, il n'avait point voix délibérative et n'assistait pour ainsi dire que passivement aux travaux de la chambre. Ce n'était donc pas là qu'il pouvait être de quelque secours à son parti. D'un autre côté, en dehors de cette enceinte privilégiée, la vie politique n'existait pas en Hongrie; la presse devait être muette, à moins de se faire complaisante. A part les membres de la haute noblesse et quelques fonctionnaires qui avaient communication des actes officiels moyennant un abonnement fort élevé, on vivait dans l'ignorance la plus complète des affaires du pays. L'opposition avait, en 1830, par la voix du comte Andrassy, tenté un effort en demandant à la diète d'autoriser la publication de ses travaux; mais cette proposition avait été repoussée, et le gouvernement, craignant de la voir adopter plus tard, l'avait octroyée comme une grâce, en permettant aux deux journaux hongrois de Pesth de rendre compte des débats parlementaires. Quelques mois après, ces journaux furent accusés d'avoir tronqué le sens d'un discours; et pour qu'ils ne retombassent plus dans la même faute, l'autorisation de rendre compte des débats leur fut retirée.

Tel était l'état de la presse lorsque Kossuth résolut, en 1832, d'en faire un moyen d'action pour reconstituer le parti patriotique. Sa première tentative fut couronnée d'un plein succès. Le journal qu'il consacra à la publicité des comptes-rendus de la diète avait pour titre : Orszaggyülési-Tudositasok; il consistait en feuilles volantes, écrites à la main et d'après une rédaction uniforme, et expédiées sous forme de lettres. Les agents de la poste ayant reçu l'ordre d'arrêter cette propagande, on eut recours aux heiduques des comtés, qui échappaient à la surveillance du gouvernement. Après la clôture de la session, Kossuth, au lieu de suspendre l'envoi de ses feuilles manuscrites, qui, malgré un prix élevé, comptaient déjà un grand nombre d'abonnés, s'occupa des assemblées comtales et municipales, et réussit, par ses nombreux correspondants, à établir entre elles une entente et une solidarité dont on n'avait point encore vu d'exemple. En lui intimant l'ordre de cesser cette publication, le gouvernement fut surpris d'avoir affaire, non plus à un journaliste audacieux, mais à tout un parti ayant conscience de sa force et de son droit. Kossuth refusa d'obéir, alléguant que la censure n'avait jamais été légalement introduite en Hongrie, et se plaça sous la protection du conseil municipal de Pesth. Surpris quelque temps après dans sa maison de campagne et arrêté de nuit, il fut condamné, ainsi que d'autres

patriotes, à quatre années d'emprisonnement. Cet acte souleva l'indignation du peuple, et faillit amener de graves désordres; plusieurs fonctionnaires haut placés, soupçonnés de l'avoir conseillé, le comte Palfy, le comte Cziraky, le président de la cour Somsich, donnèrent leur démission, et se rendirent à Vienne pour se trouver en lieu de sûreté (1839).

Les élections de 1840 furent favorables au parti national. Il se forma une opposition ferme et courageuse, qui déclara tout d'abord qu'il était du devoir de tous les députés de refuser à l'Autriche de l'argent et des soldats si l'on ne rendait justice aux prisonniers politiques. Une amnistie générale fut la conséquence de ce vote; Lovasy, Wesselenyi et Kossuth furent mis en liberté. Le premier était devenu fou, le second aveugle; quant au dernier, quoique physiquement affaibli, il avait puisé de nouvelles forces dans l'adversité, et, plus énergique que jamais, il éleva la voix contre l'Autriche. La même année, pour rétablir sa santé, il se rendit aux eaux de Parad, et y épousa Thérèse Meszlényi, fille d'un gentilhomme de Raab. Bientôt après, sur les sollicitations du libraire Landerer, il prit la direction du Pesti-Hirlap (Journal de Pesth), qui débuta le 2 janvier 1841, avec 60 abonnés. Deux mois plus tard cette feuille se tirait à 6,000 exemplaires, chiffre considérable si on le compare à la faible population de la Hongrie, et qui prouve suffisamment combien le langage de Kossuth éveillait de sympathies. La ligne politique que suivit le Pesti-Hirlap mérite d'être signalée; elle montre Kossuth hongrois avant tout et plutôt libéral que démocrate. « La nation, écrit-il, salue avec acclamations ceux dont le nom, illustre dans l'histoire, inspire déjà la confiance. Volontiers elle les prendra pour guides, et se dévouera à eux si elle les voit porter le drapeau du progrès. Mais si au contraire la nation acquiert la conviction que les descendants de ses anciens chefs n'écoutent que leur intérêt particulier et s'opposent au mouvement national, alors elle saura marcher sans eux sur le chemin de son bon droit. Nous agirons avec vous, nobles de la Hongrie, et sous vos ordres, si vous le voulez; mais nous avancerons aussi sans vous, et même malgré vous, s'il le faut. » Ces paroles donnent la clef de toute la conduite de Kossuth.

Le premier adversaire que Kossuth eut à combattre fut le comte Étienne Széchenyi, ancien chef du parti national, qui écrivit contre lui le livre : A Kelet Népe (Le Peuple de l'Orient), dans lequel il fit valoir les anciens droits et priviléges de la noblesse hongroise. « Nous sommes prêts à faire des concessions, dit-il; mais si l'on exige quelque chose, soit d'en haut, soit d'en bas, nous lutterons contre la fourche du paysan tout aussi bien que contre les baïonnettes. » Kossuth répondit à cette violente déclamation par la brochure intitulée: Felelet Gróf Széchényi Istvánnak (Réponse au comte E. Sze

chényi), et réfuta d'une manière calme et digne les accusations de son adversaire. Il eut également raison du journal Világ (Lumière), rédigé au point de vue autrichien par les comtes Dessewffy, et devint le véritable dictateur de la presse hongroise. La question la plus grave qu'il mit en avant fut la proposition faite à la noblesse de renoncer d'elle-même à l'exemption d'impôts dont elle jouissait et de rentrer dans le droit commun (1843). Un an plus tard, des difficultés, suscitées par son éditeur Landerer, l'amenèrent à quitter la rédaction du Pesti-Hirlap (30 juin), et toutes ses tentatives pour fonder une nouvelle feuille échouèrent contre l'opposition absolue du gouvernement. Les trois ans et demi cependant que Kossuth avait consacrés aux travaux de journaliste forment une époque importante dans l'histoire de sa vie et même dans celle de sa patrie; car il avait été le premier qui, en signalant les abus et en réclamant des réformes, avait habitué le peuple hongrois aux questions politiques et soumis les actes du gouvernement à la critique de l'opinion.

La carrière de la presse étant fermée à Kossuth, il s'occupa de fonder des associations nationales; la première et la plus connue fut le Védegylet, inaugurée le 6 octobre 1844, sous la présidence du comte Casimir Batthyanyi, et qui, dans sa seconde assemblée générale, du 20 août 1846, ne réunit pas moins de 154 membres, représentant un nombre égal de succursales établies sur tous les points de la Hongrie. Le but de cette ligue était d'arrêter le développement industriel de l'Autriche en Hongrie; tous ses adhérents s'engageaient à faire usage exclusivement des produits nationaux. Le gouverne. ment autrichien, prévoyant qu'une telle associa tion ne pouvait manquer d'acquérir sous l'influence de Kossuth, qui en était l'âme, une grande importance politique, s'en préoccupa sérieusement, comprenant que l'indépendance industrielle entraînerait à sa suite l'indépendance politique. Bientôt en effet le Védegylet devint, pour ainsi dire, la pierre de touche du patriotisme hongrois. Presque tous les membres du parti national y adhérèrent, et Kossuth put compter ainsi les hommes véritablement dévoués à la cause dont il était devenu le plus ardent champion.

Le 17 octobre 1847, jour des élections, commence une nouvelle phase dans la vie de Kossuth. Il aurait été facile de le faire nommer député d'un petit comté; mais l'opposition, voulant donner au gouvernement une preuve éclatante de sa force, le porta candidat à Pesth même, et le fit élire par une majorité de 2,948 voix contre 1,314, Kossuth se trouvait alors dans toute la maturité de sa force. Agé de quarante-et-un ans, inspirant la confiance et commandant le respect par son maintien ferme et digne, entraînant jusqu'à ses ennemis par son éloquence irrésistible, il ne laissa passer aucune question importante sans combattre pour l'intérêt de son parti, dont le programme avait été formulé par l'Ellenzékikor, club de l'opposition

sous la présidence du comte Louis Batthyanyi (1).

Sur ces entrefaites, éclata la révolution de février. Au milieu de l'agitation générale, la Hongrie resta calme et fidèle à son roi, n'attendant que des mesures légales l'accomplissement de ses espérances. Le 3 mars 1848, Kossuth demanda aux états, comme garantie des réformes à venir, l'établissement d'un ministère hongrois responsable; cette proposition ayant été adoptée par acclamation, il partit pour Vienne, le 15 mars, avec le comte Louis Batthyanyi, afin de soumettre ce vote à l'approbation de l'empereur. La députation, composée de 80 députés et escortée par 300 étudiants, fit dans la capitale de l'Autriche une entrée triomphale. Toutes les rues par lesquelles passait le cortége étaient encombrées de spectateurs avides de voir les traits, de presser les mains du célèbre agitateur dont l'éloquence avait hâté l'explosion de la révolution de Vienne. Toutes les fenêtres étaient remplies de femmes qui jetaient des fleurs, et les cris de : « Vive Kossuth! Vive la Hongrie! » retentissaient partout. Le jour suivant (16 mars), la députation se rendit au château, et remit à l'empereur l'adresse de la nation hongroise. La demande d'un ministère responsable fut accordée, et Batthyanyi dut à son grand nom et à ses sentiments libéraux d'en devenir le premier président.

Jusque alors Kossuth en demandant des réformes utiles n'avait attaqué que des abus administratifs; mais, contraint par les circonstances ainsi que par la diplomatie temporisante et fallacieuse de l'Autriche, il va se tourner contre le gouvernement central lui-même. Kossuth se serait encore contenté de voir la Hongrie rester sous la dépendance de la maison de Habsbourg si les promesses du cabinet de Vienne avaient été loyalement tenues. Un examen impartial des faits établira ce point, que nous savons fort contesté.

Kossuth ne se vantait pas lorsqu'à la diète, dans la séance du 31 mars, il dit que pendant quelques heures il avait eu entre ses mains les destinées de la maison de Habsbourg. Pourtant en ce moment critique il n'abusa ni de sa force ni de la faiblesse de ceux qu'il avait combattus.

(1) Les principaux points de ce programme étaient : 1o L'union de la Transylvanie à la Hongrie; 9o Égale répartition des charges publiques entre tous les citoyens; 3° Participation de tous les citoyens à la législation et aux droits municipaux; 40 Égalité civile; 5° Abolition du travail et des redevances exigès des paysans, avec indemnité aux propriétaires; 6o Garanties à la propriété et au crédit par l'abolition de l'aviticite (droit qu'avaient les heritiers de rentrer en possession des terres alicnées par vente). Enfin, le programme déclarait que les membres de l'opposition n'oubliaient point les rapports existant entre la Hongrie et l'Autriche, et qu'ils tenaient fermement au statut de 1790, par lequel la parole royale garantissait l'indépendance de la Hongrie; qu'ils ne dé siraient pas mettre les intérêts du pays en opposition avec l'unité et la sécurité de l'Autriche, mais qu'ils regardaient comme contraires aux lois et à la justice que les intérêts de la Hongrie fussent subordonnés à ceux des autres pays de la monarchie autrichienne.

Alors qu'il était impossible de lui rien refuser, il ne sollicita que ce qu'il avait demandé à une époque où le gouvernement pouvait tout lui refuser et lui refusait en effet tout. Chef d'un parti puissant et bien uni, ses vœux sont encore ceux du simple journaliste écrivant sous la surveillance d'une police ombrageuse; au lieu de pousser à des actes de violence, il garde une telle modération que quelques libéraux impatients l'accusent de tiédeur pour les intérêts nationaux; victime de la censure, il appuie la proposition de B. Szemere sur le cautionnement des journaux; il congédie la députation de Pesth qui lui apportait les douze articles connus sous le nom de « Vœux de la nation, » et déclare qu'aux représentants seuls il appartenait de régler les affaires politiques d'une manière légale; il fait échouer la proposition des députés Bonis et Vidos, qui, dans le but de démocratiser la garde nationale, voulaient y incorporer les ouvriers et paysans non censitaires; c'est lui enfin qui à la tribune ose défendre la maison de Habsbourg; lorsque Kende proposa, le 20 mars, une série de mesures pour prévenir la dissolution de la diète par le roi, c'est Kossuth qui parle en faveur de la couronne et parvient, malgré l'opposition, à en faire respecter les anciennes prérogatives. Toute sa conduite prouve que la concession d'un ministère responsable lui semblait une garantie suffisante du bonheur de la Hongrie, et en demandant ce ministère il n'avait, pour ainsi dire, que rétabli l'ancien droit formellement accordé par Léopold II dans l'acte de 1790, ainsi conçu : « La Hongrie est un pays libre et indépendant dans tout son système de législation et d'administration; elle n'est subordonnée à aucun autre peuple ou à aucun autre État; mais elle aura toujours son existence propre et sa propre constitution, et sera par conséquent gouvernée par des rois, couronnés d'après les lois et coutumes nationales. » D'ailleurs, et ceci est une nouvelle preuve à l'appui de la légalité de la conduite politique de la Hongrie, et particulièrement de Kossuth, il y avait des lois d'après lesquelles aucun étranger (tout Autrichien était considéré comme tel) ne pouvait occuper d'emploi dans l'administration hongroise. Ces lois avaient été respectées, et aucun acte du gouvernement de la Hongrie n'avait été contre-signé par un ministre autrichien. Si la Hongrie ne pouvait être annexée à l'Autriche, il fallait donc qu'elle eût un ministère indépendant, et Kossuth, ayant le droit de combattre l'annexion, avait donc agi légalement en réclamant l'institution d'un ministère responsable. En résumé, la conduite de Kossuth depuis le 17 mars jusqu'au 11 avril le montre comme un homme qui use de la liberté qu'il vient de conquérir, mais qui ne dépasse point les limites du droit et qui n'a d'autre intention que d'élever sur des bases légales un édifice politique national.

Les représentants du peuple acquiescèrent avec enthousiasme à ce qu'il leur demandait.

vint en personne à Presbourg, où il donna la sanction royale à tous les actes précédents, qui devinrent dès lors statuts du royaume (11 avril 1848). Ce fut en vertu de ces statuts que se forma le ministère, du plein gré de l'empereur et avec le concours de l'archiduc palatin Étienne (1).

L'avénement de l'indépendance hongroise s'accomplissait donc avec un ordre et une régularité parfaites. La sanction royale donnée, Ferdinand prononça lui-même la clôture de la diète; le nouveau ministère quitta Presbourg, et fit le 14 avril 1848 son entrée solennelle à Pesth (2). Mais bientôt la mésintelligence éclata parmi ses membres. Batthyanyi, le chef de l'op

Par les votes unanimes des deux chambres, la diète établit non-seulement une parfaite égalité de droits civils et de charges publiques entre les citoyens de toutes classes, sans distinction, mais, avec une générosité qui dans l'histoire n'a d'autre exemple que celui de la noblesse française en 1789, les nobles hongrois renoncèrent au droit qu'ils avaient d'exiger certaines redevances, transférant ainsi aux paysans la propriété absolue et perpétuelle de près de la moitié des terres cultivées du royaume, et n'exigeant en retour qu'une faible indemnité. Plus de 500,000 familles de paysans se trouvèrent ainsi maîtresses de 30 à 60 acres de terre chacune. Le droit électoral fut étendu à tout citoyen possé-position aristocratique, le descendant d'une des dant un fonds ou une propriété valant 750 francs ou 250 francs de revenu, à tout individu porteur d'un diplôme d'université, à tout artisan employant un apprenti. Proposées à l'unanimité par la chambre des représentants, ces lois, qui établissaient l'égalité civile, furent votées à l'unanimité par la chambre des magnats, sur l'invitation expresse du palatin, représentant de l'empereur.

Cependant, le cabinet de Vienne, qui voyait avec défaveur s'opérer cette transformation sociale, saisit la première occasion d'y apporter des entraves. Huit jours ne s'étaient pas écoulés que la réaction se mit à l'œuvre. Le 24 mars 1848 un décret impérial exigeait en substance « 1o que les impôts seraient versés au trésor central; 2° que tout ce qui était relatif aux douanes, aux finances et au commerce serait réglé à Vienne; 3° que l'armée continuerait d'y être administrée; 4. qu'enfin la chancellerie hongroise exercerait les mêmes attributions que par le passé ». C'était supprimer du même coup les ministères à peine créés des finances, de la guerre et de l'intérieur, et rendre illusoire l'indépendance promise à la Hongrie. Ce fut alors que Kossuth dut, dans l'intérêt de la patrie, attaquer de nouveau le cabinet autrichien. « Je déclare, dit-il en terminant son discours, que la chambre avait écouté dans un silence religieux, je déclare que j'ai pleine confiance dans la fermeté de notre palatin, qui nous a promis de régler cette affaire, et qui, je l'espère, fera honneur à sa parole. Mais s'il n'y réussit point, que les conséquences de la conduite du cabinet de Vienne retombent sur la tête de ceux qui le dirigent! » Le comte Louis Batthyanyi, chargé de la formation du ministère, et le palatin lui-même annoncèrent à la diète qu'ils allaient faire dépendre leur attitude respective de la solution de la question. Quant à la diète, elle fit savoir au cabinet de Vienne « que les états de la Hongrie considéraient la parole impériale qui leur avait assuré un ministère hongrois responsable et indépendant de l'Autriche comme une parole sacrée et inviolable, et qu'ils ne voyaient dans les tentatives de diminuer la portée de cette parole solennelle que les machinations d'un parti aussi dangereux au souverain qu'à la nation. » Vienne dut céder, et l'empereur

plus illustres familles de la Hongrie, ne pouvait s'accorder longtemps avec Kossuth, pauvre et obscur gentilhomme, avocat et journaliste, arrivé au pouvoir par son seul mérite. Batthyanyi, dont la carrière politique avait été brillante, mais facile, agréable et sans dangers, s'endormit dans le succès, et montra une confiance aveugle dans le cabinet de Vienne. Kossuth, au contraire, qu'une triste expérience avait rendu méfiant, surveillait l'Autriche avec une attention dont rien ne put le distraire. Cependant sa santé s'altérait. D'un tempérament nerveux, les émotions des dernières semaines, les travaux incessants auxquels il se livrait avaient fini par briser ses forces. Il demanda donc un congé, et se retira pour quelque temps à la campagne, sans cesser de diriger les finances de la Hongrie. Il donna dès lors plus d'une preuve de son intelligence des

(1) Nous croyons nécessaire, pour l'intelligence des faits, de citer ici un extrait de l'article III de la diete de 1847-1848 et le texte de la sanction royale donné à cet article: « § 3. S. M. et en son absence le palatin et lieutenant royal exercent le pouvoir exécutif, dans le sens des lois, par l'organe du ministère hongrois indépendant; et leurs décrets, ordres et arrêtés, quels qu'ils soient, ne seront valables qu'après avoir été contre-signés par un des ministres résidant à Bude-Pesth. § 6. Toutes les affaires civiles, militaires et ecclésiastiques, de mème que tout ce qui concerne les finances et la défense du pays, entreront désormais dans les attributions du ministère hongrois, et S. M. exercera le pouvoir exécutif exclusivement par le moyen de ce ministère. § 8. L'emploi de l'armée hongroise hors des frontières du royaume sera arrête par S. M., sous le contre-seing du ministre hongrois responsable. {» - Texte de la sanction royale: «Ayant gracieusement écouté et gracieusement agréé les prières de nos aimés et fidèles les dignitaires de l'Eglise et de l'État, les grands et les nobles de la Hongrie et des pays y annexés, nous ordonnons que les articles des lois susmentionnées, qui nous ont été présentés, soient dûment enregistrés. Nous les adoptons et séparément et dans leur ensemble. Nous leur donnons notre assentiment royal, les approuvons et les sanctionnons par le témoignage de la présente lettre, en assurant à nos fidèles états que nous respectons lesdites lois et les ferons respecter par nos fidèles. » Signé : Ferdinand, Contre-signe: Batthyanyi.

(2) Voici la liste de ce premier ministère independant de la Hongrie comte Louis Batthyanyi, président du conseil; Louis Kossuth, finances; prince Charles Esterházy, affaires étrangères; Bertalan Szemere, intérieur; François Deak, justice; colonel Lazar Mészáros, guerre; baron Joseph Eötvös, instruction publique et cultes; Gabriel Klauzál, commerce; comte Etienne Széchényi, agriculture.

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