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STANCES.

QUAND ie reuys ce que l'ay tant aymé,
Peu s'en fallut que mon feu rallumé
N'en fist l'amour en mon âme renaistre :
Et que mon cœur, autrefois son captif,
Ne ressemblast l'esclaue fugitif

A qui le sort fait rencontrer son maistre.

QUE de discours ma raison séduisants,
Que de pensers I'vn l'autre destruisants
Sentys-ie alors agiter mon courage!
Que mon esprit de ses laqs eschappé
Se repentit de s'estre détrompé !
Qu'il me dépleut d'estre deuenu sage!

O belles mains (ce dis-ie en gémissant)
Dont la beauté mille ames rauissant
Se glorifie en ses douces rapines,

Qu'il me déplaist d'auoir rompu vos fers

Pour les tourments qu'en aymant i'ay soufferts, Quittant les fleurs par haine des espines!

L'IRE du ciel, et le sort rigoureux

Qui rend mes ans dolents et malheureux,
Veuillent tousiours sans pitié me ponrsuiure,
Si depuis l'heure où me voulant guérir,
Pour vos beautés ie cessay de mourir,
Mon cœur ne pense auoir cessé de viure.

QUE maudit soit le dépit insensé
Qui, conseillant mon esprit offensé,
Vint amortir ces doux feux de mon âme
l'estois alors vn vif flambeau d'amour :
Ce fut m'oster la lumière et le iour,
Et me tuer, que d'esteindre ma flame.

MAIS ie la veux en mon cœur rallumer,
Se deust mon corps en cendre consumer,
Et deuant l'heure en la tombe descendre.
Que ma raison cesse de s'en douloir;
Car ie le veux, et le veux bien vouloir :
D'vn si beau feu belle sera la cendre.

DE tels discours prononcez en mon cœur,
Rendant l'Amour derechef mon vainqueur,
Te me faisois à moy-mesme la guerre,
D'un tel désir renchaisnant ma raison,
Qu'il me sembloit que rentrant en prison
le m'acquérois l'empire de la terre.

MAIS aussitost que ie fay repasser
Deuant les yeux de mon triste penser
La tyrannie exercée en mon âme,
Le souuenir de tant de cruautés,
Ostant la force aux coups de ses beautés,
Contre ce traict me seruit de dictame.

Quor! (dis-ie alors) imprudent que ie suis,
Voudrois-ie bien ressentir les ennuis
Qui se paissoient du pur sang de mes veines,
Quand égaré i'errois dans les destours
Où me cherchant i'ay perdu tant de iours,'
Où me perdant i'ay trouué tant de peines?

O MON esprit, contente-toy d'auoir

Quatre ans entiers languy sous le pouuoir.
De la fureur troublant ma fantaisie

Mon cœur, ce piége est trop plein de tourment:
T'y laisser choir, ce fut aueuglément :
T'y rejeter, ce seroit frénaisie.

Si fièrement cest esprit sans pitié
Fouloit aux pieds ma constante amitié
Quand ie portois le joug de son seruage,
Qu'en ses liens derechef m'enfermer,
C'est plus qu'assez pour me faire estimer
Ou sans mémoire, ou du tout sans courage.

PUISQUE i'ay peu de ses laqs m'affranchir,
Sous son pouuoir ie ne dois plus fléchir,
Quoy que partout sa beauté se renomme.[
Elle a destruit vn amour trop parfaict :
Elle a monstré qu'elle est femme en effect,
Il faut aussi monstrer que ie suis homme.

AINSI parlay-ie en sentant revenir
Dedans mon âme vn poignant souuenir
Qui conuertit ma complainte en blaspheme:
Et tellement ie m'allay résistant,

Que ie me vy, presque en vn mesme instant,
Vaincu d'amour et vainqueur de moy-mesme.

AUTRES.

IE ne l'aimoy qu'à fin de me guérir
Du cruel mal qui me faisoit mourir,
Ensorcelé des yeux d'vne autre dame :

1.

134

Mais à la fin, deceuant ma raison,
Ce que ie prins pour vn contre-poison,
S'est faict luy-mesme vn venin à mon âme.

AINSI, voulant du ioug se descharger,
Souuent vn peuple arme vn prince estranger
Contre celuy sous qui Dieu l'a fait naistre
Mais, rendu serf du pouuoir emprunté,
Enfin il voit que pour la liberté

Il n'a que l'heur d'auoir changé de maistre.

MAIS tant s'en faut qu'il déplaise à mon cœur
Qu'vn si bel oil s'en soit rendu vainqueur,
Mon cœur luy-mesme à toute heure en fait gloire :
Estant le feu dont ie suis consumé,

Vn feu de ioye en mon âme allumé,
Dont ie célèbre et bény sa victoire.

QUE S'il falloit qu'vn malheur auenu
Rompist les fers où l'estois détenu,
Pour me lier d'vn si rare cordage;
Bien puis-ie dire en ce change amoureux,
Que mon malheur m'a rendu bienheureux,
Et que mon bien est né de mon naufrage.

NON que mon âme ose rien espérer,
Fors les douleurs que peut faire endurer,
Vne beauté si belle et si cruelle :

Mais ie m'en sens gesner si doucement,'

Que ce qui m'est pour toute autre vn tourment,
M'est vn plaisir en le souffrant pour

elle.

Aussi faisant de mon mal mon honneur,

Ne crains-ie plus qu'en gloire et qu'en bonheur

Ame du monde à la mienne s'égale,''

Puis que mon cœur sent du contentement
Quand pour ses yeux il souffre du tourment,"
Et que la belle en est si libérale.

AUTRES.

NON, Corydon, i'ay tort: ta flamme pure et sainte
N'a point esteint l'ardeur dont tu soulois brusler:
Non, tu m'aimes tousiours et sans fraude et sans feinte,
Mais peut-estre il te plaist de le dissimuler.

Il est vray que ton cœur trop bien le dissimule
Pour vn vrayment épris d'vn vif embrâsement :
Et ie n'eusse pas creu, quoyque ie sois crédule,
Qu'on se peust tant forcer quand on ayme ardemment.

AUSSI sens-ie après tout ce bien-lå me déplaire,
Et faire que ma plainte en larmes se résout:

Car quand on feint si bien que l'on n'aime plus guère,
Il ne s'en faut qu'vn peu qu'on n'aime plus du tout.

CHANSONS.

LAS! ie meurs d'vn secret martyre 1.

Et d'vne muette douleur.

Heureux qui librement souspire!

S'oser plaindre est l'heur d'vn malheur.

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