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ESOPE.

Les Rois prefque toujours y vont par la victoire :
Leurs plus nobles travaux font les travaux guerriers.
Eh! quel Prince a-t'on vû plus couvert de lauriers?
Après avoir deux fois mis Samos dans vos chaînes,
Vaincu cinq Rois voifins, & fait trembler Athenes,
Pour en vaincre encore un qui les surpasse tous,

Vous n'avez plus, Seigneur, à furmonter que vous.
Sans être conquérant un Roi peut être auguste.
Pour aller à la gloire il fuffit d'être juste.
Dans le sein de la paix faire de toutes parts
Dispenser la justice & fleurir les beaux Arts;
Protéger votre peuple autant qu'il vous révere,
C'est en être, Seigneur, le véritable pere ;
Et pere de fon peuple eft un titre plus grand
Que ne le fut jamais celui de Conquérant.
Je vous parle, Seigneur, en ferviteur fidéle.
CRESUS.

Eh! qui fçait mieux que moi la grandeur de ton zéle?.
Mais un trait important que tes foins ont obmis,
Un Roi ne fçait jamais s'il a de vrais amis.

De tant de Courtisans, qui toujours fur mes traces
N'accompagnent mes pas que pour avoir des graces,
Je ne puis diftinguer au rang où je me voi
Ceux qui m'aiment pour eux ou qui m'aiment
Je voudrois quelquefois, pour fçavoir fi l'on m'aime,

pour

moi.

BOUR

SAULT.

BOUR

SAULT.

Pendant un mois ou deux me voir fans diadême;
Et dans mon premier rang être enfuite remis

Pour ne me plus méprendre au choix de mes amis.
Que fçai-je qui me flate ou qui me rend justice?
Je ne dis pas un mot, que chacun n'applaudisse;
Et fi l'on prévoyoit ce que je dois penser,
On m'applaudiroit même avant de m'énoncer.
Je confonds le faux zéle avec le véritable.
ESOPE.

Permettez-moi, Seigneur, de vous dire une Fable.
Jamais la vérité n'entre mieux chez les Rois,
Que lorfque de la Fable elle emprunte la voix.

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Le Lion, l'Ours, le Tigre & la Panthére.

PAR cent fameux exploits un Lion renommé,
Ayant fçû d'un vieux Cerf, qu'il connoiffoit fidéle,
Que fouvent tels & tels dont il étoit charmé
Payoient fes bontez d'un faux zéle,

En voulut par lui-même être mieux informé.
Il fait venir un Tigre, un Ours, une Panthere,
Apres à la curée, & qui fans hésiter,

Quand de quelque défordre ils pouvoient profiter,
De la peine d'autrui ne s'inquiétoient guére.
Mes amis, leur dit-il, à qui j'ai fi souvent
Confié le foin de ma gloire,

Je crois, fans me flater d'un espoir décevant,

Avoir un für moyen de vivre dans l'Histoire.

Alors faisant semblant d'être encor dans l'erreur,
Et d'ignorer leur artifice,

Il leur propofe une injustice

Dont lui-même avoit de l'horreur.

Pesez bien, leur dit-il, ce que je vous propose;
Et furtout que ma gloire aille avant toute chose,
Je n'ai rien de plus important.

Ce que vous proposez est juste & nécessaire,
Répond tout d'une voix la troupe mercénaire;
Et rien ne le fut jamais tant.

Pensez-y deux fois plutôt qu'une,
Reprit doucement le Lion;

Les Rois ont moins besoin d'augmenter leur fortune
Que de voir croître leur renom.

Seigneur, répond encor la bande insatiable,

Quelque deffein

que vous ayez,

Pour rendre une chose équitable,
Il fuffit que vous la vouliez.

Dangereux confeillers, adulateurs infames

Dit le Lion terrible en élevant fa voix ;
Je trouve de fi baffes ames

Indignes d'approcher des Rois.

Fuyez loin de moi, troupe avide

Qui des foibles agneaux & du chevreuil timide
Etes fi juftement l'effroi :

BOUR

SAULT.

BOUR

SAULT.

C'est votre interêt qui vous guide,
Ce n'eft point la gloire du Roi.

D'un exil éternel ayant puni l'audace
De leurs confeils pernicieux,
Il menaça de la même disgrace
Les animaux qui brigueroient leur place,
S'ils ne la rempliffoient pas

Une mémorable victoire

mieux.

Que fur trois Léopards il eut le même jour,
A l'éclat de fa vie ajouta moins de gloire
Que de s'être défait de ces peftes de Cour.
Pour expliquer l'énigme & dévoiler l'emblême,
Penfez-vous qu'un Monarque auffi grand que vous-même
Ne fit pas une belle & louable action,

D'imiter quelquefois l'adreffe du Lion?.

CRESUS.

Charmé de tes avis, pénétré de ton zéle,
Et par tant de raisons fûr que tu m'es fidéle,
Je confie à ta foi comme deux grands dépôts,
Et les foins de ma gloire, & ceux de mon repos.

Portrait de la Cour..

C'EST le féjour de l'art & de la politeffe:
Mais combien de chagrins y faut-il effuyer,
Et fur quelle parole ofe-t'on s'appuyer ?

Tout rares qu'ils y font, les amis s'embaraffent :
Tels voudroient s'étouffer que l'on voit qui s'embraffent.
Pour un dont la vertu trouve un heureux destin,
Mille vont à leur but par un autre chemin.
L'un, qui pour s'élever n'a qu'un foible mérite,
Sous un dehors zélé cache un cœur hypocrite.
L'autre met fon étude à vous donner des foins,
Quand il fçait que vos yeux en feront les témoins.
Celui-ci fait du jeu fa capitale affaire :

Cet autre en plaisantant devient sexagénaire;
Et l'on arrive ainsi presque en toutes les Cours
D'un pas imperceptible à la fin de fes jours.
On eft fi diffipé qu'avant que de connoître

Ce que

c'eft que d'être homme, on y ceffe de l'être; Et ceux qui de leur tems examinent l'emploi, Trouvent qu'ils ont vêcu fans qu'ils fçachent pourquoi.

Belle leçon d'Efope à un Favori.

Euffions-nous l'un ou l'autre encor plus de pouvoir,
Nous fommes des jettons que le Roi fait valoir.
Comme fouverain Maître à qui tout eft facile,
Il nous fait valoir un, ou nous fait valoir mille;
Et fuivant que fon choix nous pofte mal ou bien,
Nous fommes quelque chofe, ou nous ne fommes rien.
Surtout fouvenez-vous, dans tout ce que vous faites,
De n'abuser jamais de la place où vous êtes.

BOUR

SAULT.

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