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dées. Le Limon amoncelé depuis tant d'années fur l'île fortie de fon fein, a produit ce phenomène. L'art y a beaucoup contribué, soit en affurant par des levées les terreins plus expofés à l'action du fleuve, foit en multipliant fes bouches, & en coupant un grand nombre de canaux, qui laiffent aux eaux un libre écoulement (r). Depuis mon féjour en Egypte, j'ai fait deux fois le tour du Delta, lors de l'inondation. Je l'ai même traverfé par le canal de Menouf. Le fleuve couloit à pleines rives dans les grandes branches de Rofette, de Damiette, & dans celles qui traversent l'intérieur du pays; mais il ne débordoit pas fur les terres, excepté dans les lieux bas, où l'on faignoit les digues pour arrofer les campagnes couvertes de ris. Voilà donc dans l'espace de 3284 ans, le Delta élevé de quatorze coudées (s). Il ne faut pas croire

(r) Strabon, livre 17, dit que la branche Bolbitine & Sebennitique ont été creufées de main d'homme.

(s) Pour que ce calcul fut de la derniere exactitude, il faudroit favoir fi la coudée chez les Grecs, les Romains, les Arabes eft précisément la même mefure, connoître même les variations qu'elle a pu éprouver chez ces différens peuples, &c. ce qui feroit fort difficile à démontrer. Cette précifion n'étant pas effentielle au fujet que je traite, je me contente de rapporter les témoignages des Ecrivains & les faits.

comme quelques voyageurs l'ont prétendu, que cette île continuera de s'élever, & qu'elle deviendra inculte. Elle devoit fon accroiffement au dépôt annuel du limon, que le Nil entraîne ; en ceffant d'être inondée, elle ceffera de croître: car il eft démontré que la culture ne fuffit pas pour exhauffer un terrain.

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Le Delta eft actuellement dans la fituation la plus favorable pour l'agriculture. Baigné à l'orient & à l'occident, par deux fleuves que le Nil forme en fe divifant, & qui font auffi larges & plus profonds que la Loire, coupé de ruiffeaux innombrables, il offre l'afpect d'un jardin immense dont tous les compartimens peuvent être arrofes. Pendant les trois mois, où la Thebaïde eft fous les eaux il poffède des campagnes couvertes de ris, d'orges, de légumes, & de fruits d'hivers. Ce n'eft plus comme autrefois, la mer Ægée, avec les Ciclades ; ce font de riches moiffons dans la plaine dont l'horison seul borne l'étendue; ce font des bois de dattiers, d'oranges de fycomores; ce font des eaux toujours courantes; c'eft une verdure qui change & fe renouvelle fans ceffe; c'est enfin une abondance qui réjouit la vue & étonne l'imagination. En perdant l'inondation, cette île a gagné chaque année, les trois mois pendant lefquels la Thebaïde eft fous les eaux. Auffi

eft-ce la feule partie de l'Egypte, où le même champ donne par an deux récoltes de grains, l'une de ris, l'autre d'orge.

Vous devez bien penfer, M. qu'en croiffant en hauteur, elle s'eft auffi augmentée en longueur. Entre plufieurs faits que l'hiftoire nous préfente, j'en choifirai un feul (t). Sous le règne de Pfammetique, les Miléfiens aborderent avec trente vaiffeaux à l'embouchure de la branche Bolbitine, aujourd'hui celle de Rofette, & s'y fortifièrent. Ils Y bâtirent une ville qu'ils nommerent Metelis; c'eft la même que Faoüé, qui dans les vocabulaires Cophtes a confervé le nom de Meffil. Cette ville autrefois port de mer, s'en trouve actuellement éloignée de neuf lieues; c'eft l'efpace dont le Delta s'eft prolongé depuis Pfammetique jufqu'à nous.

Homere, le peintre fublime des peuples & des pays, Homère (u) dont les détails géographiques font le monument le plus précieux en ce genre que nous ait tranfmis l'antiquité, met ces mots dans la bouche de Menelas, abordé en Egypte :

Dans la mer orageufe qui baigne l'Egypte, » il eft une île nommée Pharos. Sa distance

(t) Strabon, 1. 17.
(u) Odiffée, chant IVe

du

» du rivage, eft celle qu'un vaiffeaux pouffé par >> un vent favorable, peut parcourir en un jour. » (x) Protée inftruifant Menelas, lui dit: Le >> deftin ne permet pas que tu revoie tes amis, » ton palais, & ta terre natale, jufqu'à ce que >> tu ne fois retourné fur les bords du fleuve

Egyptus (y), qui tire fa fource de Jupiter, & » que tun'y aie offert des hécatombes aux Dieux » immortels.... Il dit, & cet ordre qui m'o»bligeoit à traverser une feconde fois la mer » vafte & orageufe qui fépare le phare du con» tinent Egyptien, brifa mon cœur de douleur.

Homère qui avoit voyagé (z) en Egypte où il avoit appris des prêtres la mythologie dont il fait un fi brillant ufage dans fes poëmes, nous représente l'île de Pharos qui forme actuellement le port d'Alexandrie, au moins à vingt lieues du rivage Egyptien, & ce fentiment s'accorde avec celui de la plus haute antiquité.

(x) Odiffée, chant IVe..

(y) Le Nil fe nomma Egyptus jufqu'au temps où Nileus un des fucceffeurs de Mendés, qui fit de grands travaux pour le contenir, & arrêter fes ravages, lui donna fon nom Diodore, de Sicile, liv. I.

(z) Diodore de Sicile.

Quels prodigieux changemens les grands fleuves occafionnent sur la surface du globe! Comme ils repouffent fans ceffe la mer en accumulant le fable fur le fable! Comme ils élevent à leur embouchure, des îles qui deviennent enfuite de grandes portions de continent. C'est ainsi que le Nil a formé prefque toute la baffe Egypte, & fait fortir des eaux, le Delta qui a quatre-vingt-dix lieues de circonférence. C'eft ainfi que le Meandre, repouffant continuellement les flots de la Méditerranée, & comblant peu-à-peu le golfe où il fe jette, a mis au milieu des terres, la ville de Milet qui étoit autrefois un port fameux. C'est ainfi que le Tigre & l'Euphrate déchaînés des monts Armeniens, entraînant dans leurs cours les fables de la Mefopotamie, rempliffent infenfiblement le Golfe perfique.

Vous avez fous les yeux un tableau général de l'Egypte, & des principales révolutions qui y font arrivées; j'entrerai déformais dans des détails particuliers qui vous intéresseront peutêtre davantage. C'eft au milieu d'Alexandrie, frappé d'étonnement à la vue des monumens, que les ravages du temps & des conquérans n'ont pu détruire, pleurant fur les débris infenfibles des colonnes, des obélifques qui décoroient des places publiques & des temples,

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