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fuffifamment les chofes mêmes qu'on s'eft accoutumé à indiquer par ces expreffions ; car il peut aisement arriver qu'on les croye enfin telles qu'on a trouvé à propos de les fupofer, & qu'on fe permette de n'être point difficile fur des principes dont la fimplicité & la fechereffe eft ordinairement peu attraïante, pour se livrer au plaifir d'en tirer des confequences qui furprennent, & par là charment d'autant plus qu'on s'atendoit moins à les voir naître, de forte que fouvent l'obscurité même des principes fert à relever le prix des confequences. On la respecte comme une obscurité facrée ; & c'est beaucoup fi l'on ne regarde pas comme de petits genies, que la moindre difficulté arrête ceux qui, fous prétexte qu'ils ne peuvent pas s'en former d'idées, refusent de recevoir des principes d'où l'on tire de fi riches conclufions. Mais je veux que ces principes fuffent capables de produire tous les effets merveilleux qu'on leur attribue, s'il étoit vrai qu'ils exiftaffent eux-mêmes; peut-être qu'ils n'exiftent point, & que ces effets font dûs à de tout autres caufes. J'aime donc mieux chercher jufqu'à ce que je comprenne, que de m'arrêter à ce que je n'en

tens pas.

On fçait qu'Ariftote s'étoit souvent borné à inventer de nouveaux mots, pour exprimer ce qu'il n'entendoit pas; & il femble qu'il s'étoit moins proposé d'enrichir fon entendement de nouvelles lumieres, que la langue Greque de nouveaux termes. Il vouloit pouvoir parler & paroître parler favamment, de ce fur quoi le commun des hommes étoit obligé de fe taire, faute d'expreffions auffi-bien que d'idées.

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L'autorité de ce Philofophe avoit établi dans les Ecoles le goût de l'obfcurité. Il y regnoit depuis long-tems. A la fin il arriva au Peripatetifme, ce qui arrive à la rannie: quand elle eft parvenue à un certain point, on ne peut plus la fuporter. Defcartes leva l'étendart de la liberté ; on lut fes Ouvrages, & on connut en les lifant

un plaifir nouveau, celui de voir. Dès-là on conçut du mépris pour les mots aufquels les mots aufquels on ne favoit pas fubftituer des idées. Mais en matiere de Science, comme en matiere de Gouvernement, bien des gens fe laffent de la liberté ; on aime à fe faire des Maîtres; on fe regarde comme ayant quelque part à la gloire d'un grand Nom, dès qu'on s'y intereffe avec beaucoup de zele. L'obscurité des principes ceffe de faire de la peine dès qu'on eft réfolu de voir par les yeux des autres, & de refpecter leur autorité; on les leur paffe avec la même facilité que leurs experiences, qui font auffi une efpece de principes, & que l'on ne fe donne pas la peine de revoir après eux. On fe hâte d'arriver aux confequences qu'ils en tirent, & c'efl pour elles qu'on referve fon attention, parce qu'étant fort compofées, on fe fait d'autant plus de merite de les entendre, qu'il eft plus difficile d'en ve

nir à bout.

Les Auteurs de Systêmes, las eux-mêmes de chercher, fe laiffent enfin aller à la tentation de fupofer: ils font effai d'un principe, ils en tirent une confequence; de celle-ci une feconde, de la feconde une troifiéme. Cette fecondité les charme; ils ne peuvent fe réfoudre à foupçonner d'erreur un principe qui leur fait tant de plaifir, & qui les enrichit de tant de connoiffances ; ils ne font en peine que d'en profiter, de bien lier leurs confequences, & de mettre celui qui en a reconnu une, dans la neceffité de reconnoître les autres.

Cependant ce ne font que des verités hypotetiques s elles ont beau être liées neccffairement l'une à l'autre ; fi leur premier principe eft incertain, il eft vrai de dire qu'elles font incertaines ; & fi ce principe eft faux, toutes les propofitions qui en font des fuites, font elles-mêmes

autant d'erreurs.

On voit une infinité de gens qui prononcent décifivement fur ce qu'ils n'entendent pas. Dans l'enfance on fe rend ailement à leur autorité, & on les croit fur

Le Mouvement à ure caufe.

leur parole. On accoutume encore les enfans dans les
Ecoles, quoique dans les unes moins que dans les au-
tres, à fe charger la memoire de ce qu'ils n'entendent
point. A force de fe le rendre familier, ils viennent à
croire, fans lumiere & fans preuve, ce qu'on leur donne
pour des verités. Il n'y a peut-être point d'homme affez
heureux pour ne s'être pas familiarifé avec l'obscurité,
& pour
n'avoir confervé aucun des préjugés de l'en-
fance ou de l'école. Je ferai en garde contre une faute,
par
l'obfervation de laquelle je viens de debuter, & je
ferai mon poffible pour ne rien dire que je n'entende.

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Quel est le principe du Mouvement.

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E vois des corps en repos après les avoir aperçus en mouvement & j'en vois qui fe meuvent après avoir été en repos. Dès-là je conclus que le corps est indifferent de la nature, à l'un ou à l'autre de ces états, ou du moins qu'il eft fufceptible de l'un ou de l'autre. Or tout ce qui peut être & n'être pas, doit avoir été déterminé par quelque caufe à être plutôt qu'à n'être pas; & ce qui peut exifter de deux manieres, doit avoir été déterminé par quelque cause à exister d'une façon plutôt que de l'autre.

Aujourd'hui nous voyons qu'un corps qui eft en repos, fe met en mouvement en fuite de l'impulfion qu'il, reçoit d'un autre ; mais comme celui-ci avoit peut-être déja été en repos avant que d'être en mouvement, &, que certainement il eft fufceptible de l'état où nous ne le voyons pas autant que de celui où nous le voyons, il est naturel, & il eft conforme à la raison, de demander d'où vient qu'il est lui-même en mouvement, & qu'il en pouffe un autre.

On n'échaperoit pas en fuyant, pour ainsi dire, dans, l'obfcurité de l'infini, & en difant que peut-être y a-t-il,

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eu de toute éternité quelques corps en mouvement. En vain, dis-je, on chercheroit à éluder la question par cette défaites on y feroit aifement ramené ; car puifqu'il n'y a aucun corps dont la nature foit incompatible avec l'état de repos, & que nous fommes forcés de reconnoître que le corps le plus agité pouroit conferver fon existence, & fa nature de corps toute entiere, en perdant fon mouvement, nous fommes forcés d'avoüer qu'il n'y a aucun corps qui n'ait pû être éternellement en repos, au cas qu'il nous plaife de fupofer la matiere éternelle, & il faudra toujours convenir que quelque cause éternelle a dû déterminer à être en mouvement ce qui pouvoit être éternellement en repos ; car comme aujourd'hui un corps en repos ne tire pas fon mouvement de lui-même, mais le reçoit de l'efficace d'une cause qui lui eft exterieure ; auffi un corps éternel, fupofé qu'il y en puiffe avoir, & qu'il y en ait eu, n'auroit pas tiré fon mouvement éternel de fa nature, fufceptible d'un éternel repos, comme d'un éternel mouvement; mais il l'auront reçu de l'impreffion éternelle d'une caufe differente de lui.

Si l'on effayoit d'éluder le raisonnement que je viens de faire, en difant que comme la matiere a exifté éternellement, & par confequent n'a point de caufe ; il en est de même du mouvement qu'on fe donnera la liberté de fuppofer éternel, comme la matiere. Je répondrois que rien ne peut être éternel, & fans caufe, que ce qui exifte neceffairement; car ce qui eft éternel, mais qui auroit pû ne l'être pas, devroit tenir fon existence d'un cause éternelle qui l'eût produit de toute éternité. Or fi l'existence du mouvement étoit neceffaire, fi des corps éternels ont été éternellement en mouvement, parce que c'étoit une neceffité qu'ils le fuffent, ils le fe roient encore; & un corps à qui le mouvement a été une fois fi effentiel, qu'il lui a appartenu neceffairement, & éternellement, ne l'auroit jamais perdu. Cependant

les corps qui fe meuvent, perdent de leur mouvement à mefure qu'ils en donnent aux autres.

Si quelques-uns des corps qui compofent l'Univers ont eu un mouvement éternel, l'ont-ils eu neceffairement ou par hazard? Etoient-ils tels qu'ils ne puffent être fans mouvement, ou pouvoient-ils auffi être en repos? Dira-t-on que le hazard en a décidé, & que par là feulement un corps qui auroit pû être éternellement en repos, a été dans un mouvement éternel ?

Si on aime mieux regarder les mouvemens éternels, comme des mouvemens d'une existence neceffaire, d'où vient qu'un corps, après s'être mù éternellement, eft venu à perdre une partie de fon mouvement, ou à le perdre tout entier ?

Il y a plus, les corps dont les mouvemens font fupofés éternels, fe font-ils mûs éternellement fans en point recontrer, & fans en point pouffer? N'est-ce qu'après une éternité que leur leur mouvement a éprouvé des chocs & des diminutions? Ou ont-ils eu éternellement quelques corps dans leur voisinage? Si cela eft, un corps éternel en aura éternellement pouffé d'autres, & de toute éternité il aura eu du mouvement, & en aura perdu, & cependant celui qu'il aura perdu, il l'avoit avant que de le perdre. Ainfi plus l'on s'obftine dans l'hypothese d'un mouvement éternel, plus l'on s'enfonce

dans des contradictions.

Il ne faut pas fe laiffer éblouir par ce qu'offriroit de commode la fupofition de quelques corps à qui le mouvement feroit effentiel, comme le repos aux autres. Ceux-là, diroit-on, ne le perdroient jamais, mais le conferveroient toujours tout entier, quoiqu'ils, paruffent en perdre une partie lorfque les effets de leur activité feroient ralentis par les maffes qu'ils feroient obligés de porter avec eux; comme l'activité d'un cheval paroît ralentie par le poids dont il eft chargé, quoique fans devenir plus grande, & fans recevoir aucun accroiffe

ment

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