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Côme ne s'en défia point. Il s'eftimoit affez pour s'imaginer qu'une Dame pouvoit oublier pour lui les bienféances. Ah! Domingo s'écria-t'il d'un air triomphant, après avoir lu à haute voîx la lettre fuppofée; tu vois, mon ami, fi la voifine en tient. Je ferai bientôt gendre de Don Fernand, ou je ne fuis pas Don Côme de la Higuera.

Il n'en faut pas douter, dit le bourreau de confident; vous avez fait fur fa fille une fameufe impreffion. Mais à propos, ajouta-t'il, je me fouviens que ma parente m'a bien recommandé de vous dire que, dès demain, tout au plus tard, il étoit néceflaire que vous donnaffiez une Sérénade à fa Maîtreffe, pour achever de la rendre folle de votre Seigneurie. Je le veux bien, dit P'Ecuyer. Tu peux affurer ta coufine que je fuivrai fon confeil, & que demain, fans faute, elle entendra dans fa rue, au milieu de la nuit, un des plus galans Concerts qu'on ait jamais entendu à Madrid. En effet, il alla trouver un habile Muficien, & après lui avoir communiqué fon projet, il le chargea du foin de l'exécution.

Tandis qu'il étoit occupé de fa Sérénade, Floretta, que le Page avoit

pré

prévenue, voyant fa Maîtreffe en bonne humeur, lui dit : Madame, je vous apprête un agréable divertiffement. Lu ziana, demanda ce que c'étoit. Oh vraiment, reprit la Soubrette en riant com. me une folle, il y a bien des affaires ! Un Original nommé Don Côme, Goùverneur des Pages du Comte d'Onate, s'eft avifé de vous choisir pour la Dame fouveraine de fes penfées & doit demain au foir, afin que vous n'en ignoriez pas, vous régaler d'un ad. mirable Concert de voix & d'inftrumens. Dona Luziana, qui naturellement étoit fort gaye, & qui d'ailleurs croyoit les galanteries de l'Ecuyer fans conféquence pour elle, bien loin de prendre fon férieux, fe fit par avance un plaifir d'entendre fa Sérénade. Ainfi cette Dame, fans le fçavoir, aidoit à confirmer Don Côme dans une erreur, dont elle fe feroit, fort offensée, fi elle l'eût connue.

Enfin, la nuit du jour fuivant il pa rut devant le balcon de Luziana deux caroffes, d'où fortirent le galant Ecuyer & fon confident, accompagnés de fix hommes, tant chanteurs que joueurs d'inftrumens, qui commencerent leur Concert. Il dura fort long-temps. Ils

Joue

jouerent un grand nombre d'airs nouveaux, & chanterent plufieurs couplets de chanfons, qui rouloient fur le pouvoir que l'amour a d'unir des Amans d'une inégale condition. Et à chaque couplet dont la fille du Meftre-de-Camp fe faifoit l'application, elle rioit de tout fon cœur.

Lorfque la Sérénade fut finie, Don Côme renvoya les Muficiens chez eux, dans les mêmes caroffes qui les avoient amenés, & demeura dans la rue avec Domingo, jufqu'à ce que les curieux que la mufique avoit attirés, fe furent retirés. Après quoi il s'approcha du balcon, d'où bien-tôt la Suivante, avec la la permiffion de fa Maîtreffe, lui dit par une petite fenêtre de la jaloufie: Eftce-vous, Seigneur Don Côme ? Qui me fait cette queftion, répondit-il d'une voix doucereuse? C'est, repliqua la Soubrette, Dona Luziana, qui souhaite de fçavoir fi le Concert que nous venons d'entendre eft un effet de votre galanterie. Ce n'eft, repartit l'Ecuyer, qu'un échantillon de fêtes que mon amour prépare à cette merveille de nos jours, fi elle veut bien les recevoir d'un Amant facrifié fur l'Autel de fa beauté.

A cette expreffion figurée, la Dame

n'eut

n'eut pas peu d'envie de rire. Elle fe retint toutefois, & fe mettant à la petite fenêtre, elle dit à l'Ecuyer, le plus férieusement qu'il lui fut poffible: Seigneur Don Côme, il paroît bien que vous n'êtes pas un Galant novice. C'est de vous que les Cavaliers amoureux doivent apprendre à fervir leurs Maîtreffes. Je fuis très-contente de votre Sérénade, & je vous en tiendrai compte. Mais, ajouta-t'elle, retirez-vous. On peut nous écouter. Une autrefois nous aurons un plus long entretien. En achevant ces mots, elle ferma la fenêtre laiffant l'Ecuyer dans la rue, fort fatisfait de la faveur qu'elle venoit de lui faire, & le Page bien étonné de la voir jouer un rôle dans cette Comédie.

Cette petite fête, en y comprenant les caroffes & la prodigieufe quantité de vin bu par les Muficiens, coûta cent ducats à Don Côme, & deux jours après, fon confident l'engagea dans une nouvelle dépenfe. Voici de quelle maniere. Ayant appris que Floretta devoit, la nuit de la Saint Jean, nuit fi célébrée dans cette Ville, aller avec d'autres filles de fon efpece, à la fiefta del Sotillo, * il

* Sorte de Danfe particuliere aux Espagnols.

en

entreprit de leur donner un déjeûner magnifique, aux dépens de l'Ecuyer. Seigneur Don Côme, lui dit-il la veille de la S. Jean, vous fçavez quelle fête c'est demain. Je vous avertis queDona Luziana fe propofe d'être à la pointe du jour fur les bords du Mançanarez pour voir le Sotillo. Je crois qu'il n'eft pas befoin que j'en dife davantage au Coriphée des Cavaliers galans. Vous n'êtes pas homme à négliger une fi belle occafion. Je fuis perfuadé que votre Dame & fa compagnie feront demain bien régalées. C'eft de quoi je puis te répondre, lui dit fon Gouverneur ; je te rends graces de l'avis. Tu verras fi je fçai prendre la balle au bond. Effectivement, le lendemain de grand matin, quatre valets de l'Hôtel, conduits par Domingo, & chargés de toutes fortes de viandes froides, accommodées de différentes façons, avec une infinité de petits pains & de bouteilles de vins délicieux, arriverent fur le rivage du Mançanarez, où Floret. ta & fes compagnes danfoient comme des Nymphes au lever de l'Aurore.

Elles n'eurent pas peu de joie, quand le Page vint interrompre leurs danfes légeres, pour leur offrir un folide déjeuner de la part du Seigneur Don CôG

Tome I.

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