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tre maison, & vous foucier fi peu de votre époufe, & de vos enfans? Qu'avez-vous fait depuis fix heures du matin que vous êtes forti? Le mari ne fçachant que répondre à ce difcours ; & d'ailleurs, tout honteux d'avoir été la dupe de deux friponnes, s'eft deshabillé & mis au lit fans dire un mot. Sa femme, qui eft en train de moraliser, lui fait un Sermon qui l'endort dans ce

moment.

Jettez la vue, pourfuivit Afmodée fur cette grande maifon qui eft à côté de celle du Cavalier qui écrit à fes amis la rupture de fon mariage avec la Maîtreffe d'Ambroife. N'y remarquezvous pas une jeune Dame couchée dans un lit de fatin cramoifi, relevé d'une broderie d'or? Pardonnez-moi, répondit Don Cléofas, j'apperçois une perfonne endormie, & je vois, ce me fem. ble, un livre fur fon chevet. Juftement, reprit le Boiteux. Cette Dame eft une jeune Comteffe fort fpirituelle, & d'une humeur très-enjouée. Elle avoit, depuis fix jours, une infomnie qui la fatiguoit extrêmement. Elle s'eft avisée aujourd'hui de faire venir un Médecin des plus graves de la Faculté. Il arrive. Elle le confulte. Il ordonne un reme

de,

de

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marqué, dit-il, dans Hipocrate. La Dame fe met à plaifanter fur fon or donnance. Le Médecin, animal hargneux, ne s'eft nullement prêté à fes plaifanteries, & lui a dit avec la gravité doctorale: Madame, Hipocrate n'eft point un homme à devoir être tourné en ridicule. Ah! Seigneur Docteur, a répondu la Comteffe d'un air férieux, je n'ai garde de me moquer d'un Au-. teur fi célebre & fi docte. J'en fais un fi grand cas, que je fuis perfuadée qu'en l'ouvrant feulement, je me gnérirai de mon infomnie. J'en ai dans ma Bibliotheque une Traduction nouvelle, du fçavant Azéro ; c'est la meilleure, qu'on me l'apporte. En effet admirez le charme de cette lecture, dès la troifieme page, la Dame s'eft endormie profondément.

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Il y a dans les Ecuries de ce même Hôtel, un pauvre Soldat manchot, que les Palfreniers, par charité, laiffent la nuit coucher fur la paille. Pendant le jour, il demande l'aumône, & il a eu tantôt une plaifante converfation avec un autre Gueux, qui demeure auprès de Buen-retiro, fur le paffage de la Cour. Celui-ci fait fort bien fes affaires. Il eft à fon aife; & il a une fille à marier

qui paffe chez les Mendians pour une riche héritiere. Le Soldat, abordant ce pere aux Maravedis, lui a dit : Senor Mendigo, j'ai perdu mon bras droit : je ne puis plus fervir le Roi, & je me vois réduit, pour subsister, à faire comme vous, des civilités aux paffans. Je fçais bien que de tous les métiers, c'est celui qui nourrit le mieux fon homme; & que tout ce qui lui manque, c'eft d'être un peu plus honorable. S'il étoit honorable, a répondu l'autre, il ne vau. droit plus rien, car tout le monde s'en mêleroit.

Vous avez raifon, a repris le Manchot. Oh ça, je fuis donc un de vos confreres, & je voudrois m'allier avec vous. Donnez-moi votre fille. Vous n'y penfez pas, mon ami, a repliqué le Richard. Il lui faut un meilleur parti. Vous n'êtes point affez eftropié pour être mon gendre. J'en veux un qui foit dans un état de faire pitié aux Ufuriers. Eh! ne fuis-je pas, dit le Soldat, dans une affez déplorable fituation? Fi donc, repartit l'autre brufquement ! Vous n'êtes que manchot, & vous ofez prétendre à ma fille? Sçavez-vous bien que je l'ai refusée à un cul-de-jatte?

J'aurois tort, continua le Diable, de paf

paffer la maifon qui joint l'Hôtel de la Comteffe, & où demeure un vieux Peintre yvrogne, & un Poëte cauftique. Le Peintre eft forti de chez lui ce matin à fept heures, dans le deffein d'aller chercher un Confeffeur pour fa femme malade à l'extrémité ; mais il a rencontré un de fes amis qui l'a entraîné au cabaret, & il n'eft revenu au logis qu'à dix heures du foir. Le Poëte, qui a la réputation d'avoir eu quelquefois de triftes falaires pour fes Vers mordans, difoit tantôt d'un air fanfaron dans un Café, en parlant d'un homme qui n'y étoit pas : C'est un faquin, à qui je veux donner cent coups de bâton. Vous pouvez, a dit un railleur, les lui donner facilement, car vous êtes bien en fonds.

Je ne dois pas oublier une Scene qui s'eft paffée aujourd'hui chez un Banquier de cette rue nouvellement établi dans cette Ville. Il n'y a pas trois mois qu'il eft revenu du Pérou avec de grandes richeffes. Son pere eft un honnête *Capatero, de Viejo de Mediana, gros Village de la Caftille vieille, auprès des Montagnes de Sierra d'Avila, où il vit très-content de fon état, avec une fem

* Savetier.

Tome I.

H

me

me de fon âge, c'eft-à-dire, de foixante

ansa

Il y avoit un temps confidérable que leur fils étoit forti de chez eux, pour aller aux Indes chercher une meilleure fortune que celle qu'ils lui pouvoient faire. Plus de vingt années s'étoient écoulées depuis qu'ils ne l'avoient vû. Ils parloient fouvent de lui. Ils prioient tous les jours le Ciel de ne le point abandonner; & ils ne manquoient pas, tous les Dimanches, de le faire recommander au Prône par le Curé, qui étoit de leurs amis. Le Banquier de fon côté ne les mettoit point en oubli. D'abord qu'il eut fixé fon établiffement, il réfolut de s'informer par luimême de la fituation où ils pouvoient être. Pour cet effet, après avoir dit à fes domeftiques de n'être pas en peine de lui, il partit il y a quinze jours, à cheval, fans que perfonne l'accompagnât, & il fe rendit au lieu de fa naiffance.

Il étoit environ dix heures du foir, & le bon Savetier dormoit auprès de fon époufe, lorfqu'ils fe réveillerent en furfaut au bruit que fit le Banquier en frapant à la porte de leur petite maifon. Ils demanderent qui frapoit. Ou

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vrez,

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