Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

lier. Pendant ce temps-là, nous allons paffer dans mon cabinet cette jeune Dame & moi. En ́achevant ces parc les elle laiffa la Duegne avec le malade, & entraîna Léonor dans une autre chambre, où fans chercher de dé tours, elle lui dit : Belle Léonor, les momens font trop précieux pour les mal employer. Vous connoiffez de vue le Comte de Belflor : il y a long-temps qu'il vous aime, & qu'il meurt d'envie de vous le dire; mais la vigilance & la févérité de votre Gouvernante ne lui ont pas permis jufqu'ici d'avoir ce plai fir. Dans fon defefpoir, il a eu recours à mon industrie; je l'ai mise en ufage pour lui. Ce Vieillard, que vous venez de voir, eft un jeune valet de chambre du Comte; & tout ce que j'ai fait n'est qu'une rufe, que nous avons concertée pour tromper votre Gouvernante & vous attirer ici.

Comme elle achevoit ces mots, le Comte, qui étoit caché derriere une tapifferie, fe montra, fe montra, & courant fe jetter aux pieds de Léonor: Madame lui dit-il, pardonnez ce ftratagême à un amant qui ne pouvoit plus vivre fans. vous parler. Si cette obligeante perfonne n'eût pas trouvé moyen de me

[merged small][ocr errors]

procurer cet avantage, j'allois m'abandonner à mon defefpoir. Ces paroles prononcées d'un air touchant par un homme qui ne déplaifoit pas, troublerent Léonor. Elie demeura quelque temps incertaine de la réponse qu'elle y devoit faire; mais enfin, s'étant remife de fon trouble, elle regarda fiérement le Comte, & lui dit: Vous croyez peutêtre avoir beaucoup d'obligation à cette officieuse Dame, qui vous a fi bien fervi; mais apprenez que vous tirerez peu de fruit du fervice qu'elle vous a rendu.

[ocr errors]

En parlant ainsi, elle fit quelques pas pour rentrer dans la falle. Le Comte l'arrête: Demeurez, dit-il adorable Léonor. Daignez un moment m'entendre. Ma paffion eft fi pure, qu'elle ne doit point vous allarmer. Vous avez Lujet, je l'avoue, de vous révolter contre l'artifice dont je me fers pour vous entretenir; mais n'ai-je pas juf qu'à ce jour inutilement effayé de vous parler? Il y a fix mois que je vous fuis aux Eglifes, à la promenade, aux spectacles. Je cherche en vain par tout l'occafion de vous dire, que vous m'avez charmé. Votre cruelle, votre impitoyable Gouvernante a toujours fçu

[ocr errors]

trom

tromper mes defirs. Hélas! au lieu de me faire un crime d'un ftratagême que j'ai été forcé d'employer, plaignez moi, belle Léonor, d'avoir fouffert tous les tourmens d'une fi longue attente; & jugez par vos charmes des peines mortel- . les qu'elle a dû me caufer.

Belflor ne manqua pas d'affaifonner ce difcours de tous les airs de persua fion que tous les jolis hommes fçavent fi heureusement mettre en pratique; il laiffa couler quelques larmes. Léonor en fut émne; il commença, malgré elle, à s'élever dans fon coeur des mouve- mens de tendreffe & de pitié. Mais loin de céder à fa foibleffe, plus elle fe fentoit attendrir, plus elle marquoit d'empreffement à vouloir fe retirer: Comte, s écria-t'elle, tous vos difcours font inutiles. Je ne veux point vous écouter. Ne me retenez pas davantage; laissezmoi fortir d'une maifon où ma vertu eft allarmée, ou bien je vais par mes cris attirer ici tout le voifinage, & rendre votre audace publique. Elle dit cela d'un ton fi ferme, que la Chichona, qui avoit de grandes mefures à garder avec la Juftice, pria le Comte de ne pas pouffer les chofes plus loin. Il ceffa de s'opposer au deffein de Léonor.

Elle

Elle fe débarraffa de fes mains, & ce qui jufqu'alors n'étoit arrivé à aucune file, elle fortit de ce cabinet comme elle y étoit entrée.

[ocr errors]

Elle rejoignit promptement fa Gouvernante: Venez, ma bonne, lui ditelle, quittez ce frivole entretien, on nous trompe. Sortons de cette dangereufe maison. Qu'y a-t'il, ma fille lui repartit avec étonnement la Dame Marcelle ? Quelle raifon vous oblige à vouloir vous retirer fi brufquement? Je vous en inftruirai repartit Léonor. Fuyons; chaque inftant que je m'arrête ici, me caufe une nouvelle peine. Quelqu'envie qu'eût la Duegne de fçavoir le fujet d'une fi brufque fortie, elle ne put s'en éclaircir fur le champ; il lui fallut céder aux inftances de Léonor. Elles fortirent toutes deux avec précipi tation, laiffant la Chichona, le Comte & fon valet de chambre auffi déconcertés tous trois, que des Comédiens qui viennent de repréfenter une Piece que le Parterre a mal reçue.

Dès que Léonor fe vit dans la rue, elle fe mit à raconter avec beaucoup d'agitation à fa Gouvernante tout ce qui s'étoit paflé dans le cabinet de la Chichona. La Dame Marcelle l'écouta

fort

fort attentivement; & lorfqu'elles fu rent arrivées au logis; je vous avoue ma fille, lui dit-elle, que je fuis extrêmement mortifiée de ce que vous venez de m'apprendre. Comment ai-je pû être la dupe de cette vieille femme? J'ai fait d'abord difficulté de la fuivre. Que n'ai-je continué ? Je devois me défier de fon air doux & honnête. J'ai fait une fottife qui n'eft pas pardonnable à une perfonne de mon expérience. Ah ! que ne m'avez-vous découvert chez elle cet artifice! Je l'aurois dévisagée ; j'aurois accablé d'inju. res le Comte de Belflor, & arraché la barbe au faux Vieillard qui me contoit des fables. Mais je vais retourner fur mes pas porter l'argent que j'ai reçu comme une véritable reftitution ; & fi je les retrouve enfemble, il ne per dront rien pour avoir attendu. En ache. vant ces mots, elle reprit fa mante qu'elle avoit quittée, & fortit pour al

ler chez la Chichona...

Le Comte y étoit encore. Il fe défefpéroit du mauvais fuccès de fon ftratagême. Un autre en fa place auroit abandonné la partie. Mais il ne fe rebuta point. Avec mille bonnes qualités, il en avoit une peu louable;

c'étoit

« AnteriorContinuar »