tint tous les discours passionnés que je fouffle aux hommes en pareille occasion. Mais il eut beau jurer qu'il confirmeroit publiquement, le plutôt qu'il lui feroit possible, la foi qu'il lui donnoit en particulier, il eut beau prendre le Ciel à témoin de ses sermens, il ne put triompher de la vertu de Léonor; & le jour qui étoit prêt à paroître, l'obligea malgré lui à se retirer. Le lendemain, la Duegne croyant qu'il y alloit de son honneur, ou pour mieux dire, de son intérêt, de ne point abandonner son entreprise, dit à la fille de Don Luis: Léonor, je ne sçai plus quel discours je dois vous tenir. Je vous vois révoltée contre la passion du Comte, comme s'il n'avoit pour objet qu'une simple galanterie. N'auriez-vous point remarqué en sa personne quelque chose qui vous en eût dégoûtée ? Non ma bonne, lui répondit Léonor, il ne m'a jamais paru plus aimable; & fon entretien m'a fait appercevoir en lui de nouveaux charmes. Si cela est, reprit la Gouvernante, je ne vous comprends pas. Vous êtes prévenue pour lui d'une inclination violente, & vous refusez de souscrire à une chose dont on vous a représenté la nécessité. , Ma 2 i 1 Ma bonne, repliqua la fille de Don * Luis, vous avez plus de prudence & plus d'expérience que moi; mais avezvous bien pensé aux suites que peut avoir un mariage contracté sans l'aveu de mon pere? Oui, oui, répondit la Duegne, j'ai fait là-dessus toutes les réflexions nécessaires ; & je suis fâchée que vous vous oppofiez avec tant d'opiniâtreté au brillant établissement que la fortune vous présente. Prenez garde que votre obstination ne fatigue & ne rebute votre Amant. Craignez qu'il n'ouvre les yeux fur l'intérêt de sa fortune, que la violence de sa passion lui fait négliger. Puisqu'il veut vous donner sa foi, recevez-la sans balancer. Sa parole le lie, il n'y a rien de plus facré pour un homme d'honneur. D'ailleurs je fuis té moin qu'il vous reconnoît pour sa femme. Nesçavez-vous pas, qu'un témoignage tel que le mien, suffit pour faire condamner en justice un Amant qui oferoit se parjurer ? Ce fut par de semblables discours, que la perfide Marcelle ébranla Léonor, qui, se laissant étourdir sur le péril qui la menaçoit, s'abandonna de bonne foi, quelques jours après, aux mauvaises intentions du Comte. La Due. < Duegne l'introduisoit toutes les nuits, par le balcon, dans l'appartement de fa Maîtresse, & le faifoit fortir avant le jour. Une nuit, qu'elle l'avoit averti un peu plus tard qu'à l'ordinaire de se retirer, & que déjà l'aurore commençoit à percer l'obscurité, il se mit brusque. ment en devoir de se couler dans la rue, mais par malheur, il prit si mal ses mefures, qu'il tomba par terre assez rudement. , Don Luis de Cefpedes, qui étoit couché dans l'appartement au-dessus de sa fille, & qui s'étoit levé ce jour-là de très grand matin pour travailler à quelques affaires pressantes, entendit le bruit de cette chute. Il ouvrit sa fenêtre pour voir ce que c'étoit. Il apperçut un homme qui achevoit de se relever avec beaucoup de peine & la Dame Marcelle fur le balcon, occupée à détacher l'échelle de foie, dont le Comte ne s'étoit pas fi bien servi pour descendre que pour monter. Il se frotta les yeux, & prit d'abord ce spectacle pour une illusion: mais après l'avoir bien considéré, il jugea qu'il n'y avoit rien de plus réel, & que la clarté du jour, toute foible qu'elle étoit encore, encore, ne lui découvroit que trop fa honte. Troublé de cette fatale vue, & tranfporté d'une juste colere, il descend en robe de chambre dans l'appartement de Léonor: tenant son épée d'une main & une bougie de l'autre. Il la cherche, elle & fa Gouvernante, pour les facrifier à son ressentiment. Il frape à la porte de leur chambre, ordonne d'ouvrir; elles reconnoissent sa voix : elles obéifsent en tremblant. Il entre d'un air furieux, & montrant son épée nue à leurs yeux éperdus: Je viens, dit-il, laver dans le sang d'une infame, l'affront qu'elle fait à fon pere, & punir en même-temps la lâche Gouvernante qui trahit ma confiance. Elles se jetterent à genoux devant lui l'une & l'autre, & la Duegne prenant la parole: Seigneur, dit-elle, avant que nous recevions les châtimens que vous nous préparez, daignez m'écouter un moment. Hé bien ! malheureuse, repliqua le Vieillard, je consens de fufpendre ma vengeance pour un inftant. Parle, apprens-moi toutes les circonftances de mon malheur. Mais, que disje, toutes les circonstances ? Je n'en ignore qu'une : c'est le nom du téméraire qui deshonore ma famille. Seigneur, reprit la Dame Marcelle, le Comte de Belflor est le Cavalier dont il s'agit. Le Comte de Belflor, s'écria Don Luis ! Où a-til vû ma fille ? Par quelles voies l'a-t'il féduite ? Ne me cache rien. Seigneur, repartit la Gouvernante, je vais vous faire ce recit, avec toute la fin. cérité dont je suis capable. Alors elle lui débita avec un art infini tous les discours qu'elle avoit fait ac croire à Léonor que le Comte lui avoit tenus. Elle le peignit avec les plus belles couleurs; c'étoit un Amant tendre, délicat & fincere. Comme elle ne peuvoit s'écarter de la vérité au dénouement, elle fut obligée de la dire; mais elle s'étendit sur les raisons que l'on avoit euës de faire à son infçu ce mariage fecret, & elle leur donna un fibon tour, qu'elle appaifa la fureur de Don Luis. Elle s'en apperçut bien; & pour achever d'adoucir le Vieillard : Seigneur, lui dit-elle voilà ce que vous vouliez sçavoir. Punissez-nous préfentement; plongez votre épée dans le sein de Léonor. Mais qu'est ce que je dis? Léonor eft innocente, elle n'a fait que suivre les conseils d'une personne que vous avez chargée de fa conduite. C'est , |