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bon fupérieur, & encore plus d'en trouver deux la feconde que la multiplication des monasteres est une fource de division. D'abord ce ne fera qu'une émulation louable à qui prati quera mieux la regle : enfuite l'émulation fe tournera en jaloufie, en mépris, en aversion : on cherchera à fe décrier & fe nuire l'un à l'autre telle eft la corruption de la nature. Les païens même ont pris pour fondement de la politique que la république fûr unie autant qu'il feroit poffible, & qu'on éloignât d'entre les citoyens toute femence de divifion. Combien doit-on plus travailler à en préferver l'églife de Jefus-Chrift fondée fur l'union des cœurs Plar.Repub. & la charité parfaite: c'eft un feul corps dont il lib. 5. p.418. eft le chef, & dont les membres doivent avoir Gr. une entiere correfpondance, & compatir en

tout les uns aux autres.

Or les divers ordres religieux font autant de corps, & comme autant de petites églises dans l'églife univerfelle. Il eft moralement impoffible qu'un ordre eftime autant un autre institut que le fien, & que l'amour propre ne pouffe pas chaque religieux à préférer l'infticut qu'il a choifi, à fouhaiter à fa communauté plus de richeffes & de réputation qu'à toute autre ; & fe dédommager ainfi de ce que la nature fouffre à ne pofféder rien en propre. Je laiffe à chaque religieux à s'examiner de bonne foi fur ce fujet. S'il n'y avoit qu'une fimple émulation de vertu, verroit-on des procès fur la préféance & les honneurs, & des difputes fi vives, pour fçavoir de quel ordre étoit un tel Saint, ou l'auteur d'un tel livre de piété ?

Le concile de Latran avoit donc très-fagement défendu d'inftituer de nouvelles reli gions; mais fon décret a été fi mal obfervé, qu'il s'en eft beaucoup plus établi depuis que

Hift. liv. dans tous les fiécles précédens. On s'en plaiLXXXV.n.48. gnit dès le concile de Lyon tenu foixante ans après on y réitéra la défense, & on supprima quelques nouveaux ordres: mais la multiplication n'a pas laiffé de continuer & d'augmenter toujours depuis.

VIII.

mendians.

Matth. xix.

Si les inventeurs des nouveaux ordres n'éReligieux toient pas des faints canonifés pour la plupart, on pourroit les foupçonner de s'être laiffés féduire à l'amour propre & d'avoir voulu fe diftinguer & rafiner au-deffus des autres. Mais fans préjudice de leur fainteté, on peut fe défier de leurs lumieres, & craindre qu'ils n'ayent pas fçu tout ce qu'il eût été à propos qu'ils fçuffent. Saint François croyoit que fa regle n'étoit que l'évangile tout pur, s'attachant particulierement à ces paroles: Ne poffédez ni or, ni argent, ni fac pour voyager ni chauffure & le relle; & comme le pape Innocent III faifoit difficulté d'approuver cet inftitut fi nouveau, le cardinal de faint Paul, évêque de Sabine, lui dit: Si vous rejettez la Hift. liv. demande de ce pauvre homme, prenez garde LXXVI. n. 54. que vous ne rejettiez l'évangile. Mais ce bon cardinal, ni le faint lui-même n'avoient pas affez confidéré la fuite du texte. Jefus-Chrift envoyant prêcher fes douze apôtres, leur dit d'abord Guériffez les malades, reffufcitez les morts, purifiez les lépreux, chaffez les démons, donnez gratis ce que vous avez reçu gratis. Puis il ajoute: Ne poffédez ni or, ni argent, & le refte. Il eft clair qu'il ne veut que les éloigner de l'avarice & du defir de mettre à profit le don des miracles, à quoi Judas n'auroit pas manqué; & que n'auroit-on point donné pour la réfurrection d'un mort? Le Sauveur ajoute L'ouvrier gagne bien la nourriture. Comme s'il difoit; Ne craignez pas que rien

vous manque, ni que ceux à qui vous rendrez, la fanté ou la vie, vous laiffent mourir de faim. Voilà le vrai fens de ce paffage de l'évangile.

Mais il ne s'enfuivoit pas que l'on fût obligé à nourrir de bonnes gens, qui fans faire de miracles, ni donner des marques de miffion extraordinaire alloient par le monde prêcher la pénitence ; d'autant plus que les peuples pou voient dire: Nous fommes affez chargés de la fubfiftance de nos pafteurs ordinaires à qui nous payons les dixmes & les autres redevances. Il faut donc attribuer aux vertus perfonnelles de faint François & de fes premiers difciples la bénédiction que Dieu donna à leurs travaux: ce fût la récompenfe de leur zele ardent pour le falut des ames, de leur défintéreflement parfait, de leur profonde humilité, de leur patience invincible. Ils vinrent à propos dans un fiécle très-corrompu pour ramener l'idée de la charité & de la fimplicité chrétienne, & pour fuppléer au défaut des pafteurs ordinaires, la plupart ignorans & négligens, & plufieurs corrompus & fcandaleux."

Il eût été, ce femble, plus utile à l'église que les évêques & les papes fe fuffent appliqués férieufement à réformer le clergé féculier, & le rétablir fur le pied des quatre premiers fiécles, fans appeller au fecours ces troupes étrangeres: enforte qu'il n'y eût que deux genres de perfonnes confacrées à Dieu, des clercs deftitinés à l'inftruction & à la conduite des fideles & parfaitement foumis aux évêques; & des moines entierement féparés du monde, & appliqués uniquement à prier & travailler en filence. Au treiziéme fiécle l'idée de cette perfection étoit oubliée, & l'on étoit touché des défordres que l'on avoit devant les yeux : l'ayarice du clergé, fonluxe, fa vie molle & yolup

cap. 33.

tueufe, qui avoit auffi gagné les monafteres

rentés.

On crut donc qu'il falloit chercher le remede dans l'extrêmité oppofée, & renoncer à la poffethion des biens temporels, non-feulement en particulier fuivant la regle de faint Benoît, fi févere fur ce point; mais en commun, enforte que le monaftere n'eût aucun revenu fixe. C'étoit l'état des moines d'Egypte, car quel revenu auroient-ils pu tirer des fables arides qu'ils habitoient? Or ceux à qui le revenu manque n'ont que deux moyens de fubfifter, le travail ou la mendicité. Il étoit impoffible aux moines de mendier dans des déferts où ils vivoient feuls : il falloit donc néceffairement travailler, & c'étoit le parti qu'ils avoient pris.

Mais les freres Mineurs & les autres nouveaux religieux du treiziéme fiécle choisirent la mendicité. Ils n'étoient pas moines, mais destinés à converfer dans le monde, pour travailler à la converfion des pécheurs : ainfi ils ne manquoient pas de perfonnes de qui ils puffent efpérer des aumônes ; & d'ailleurs leur vie errante & la néceffité de préparer ce qu'ils de voient dire au peuple, ne leur paroiffoient pas compatibles avec le travail des mains. Enfin la mendicité leur fembleit plus humiliante, comme étant le dernier état de la fociété humaine, au-deffous des ouvriers, des gagne-deniers & des porte-faix. D'autant plus que jufques-là elle avoit été méprifée & rejettée par les plus faints religieux. Le vénérable Guigues dans les conftitutions des Chartreux, traite d'odieufe la néceffité de quêter; & le concile de Paris en 1212, veut que l'on donne aux religieux qui voyagent de quoi fubfifter, pour ne les pas réduire à mendier à la honte de leur #xv11. n. 58, prdre,

tap. 70. Hift. liv.

Il eft vrai que faint François avoit ordonné le travail à fes difciples, ne leur permettant de mendier que comme la derniere reffource. Je veux travailler, dit-il, dans fon teftament, & je veux fermement que tous les autres freres s'appliquent à quelque travail honnête; & que ceux qui ne favent pas travailler l'apprennent : que fi on ne nous paie pas ayons recours à la table de N. S. demandant l'aumône de porte en porte. Il conclut fon teftament par une défenfe expreffe de demander au pape aucun privilége, ni de donner aucune explication à fa regle. Mais l'efprit de chicane & de difpute qui régnoit alors, ne permettoit pas cette fimplicité.

C. IT.

Hift. liv. Opufc. p. Hift. liv. 1XXIX. 7. 26,

LXXVIII. n.6.

Il n'y avoit pas quatre ans que le faint homme étoit mort, quand les freres Mineurs assemblés n. 634 au chapitre de 1230, obtinrent du pape Grégoire IX, une bulle qui déclare qu'ils ne font point obligés à l'obfervation de fon teftament, & qui explique la regle en plufieurs articles. Ainh le travail des mains fi recommandé dans l'écriture, & fi eftimé par les anciens moines eft devenu odieux; & la mendicité odieufe aupara. vant, est devenue honorable.

J'avoue que le mérite perfonnel des freres mendians y a bien contribué. Ayant pris pour objet de leur inftitut la converfion des pécheurs, & en général l'instruction des fideles, ils regarderent l'étude comme un devoir ca pital, & y réuffirent mieux que la plupart des étudians de leur tems, parce qu'ils agiffoient par des intentions plus pures, ne cherchant que la gloire de Dieu & le falut du prochain; au lieu que les autres clercs ou moines étudioient fouvent pour parvenir aux bénéfices & aux dignités eccléfiattiques. C'est ainsi que les freres Prêcheurs & les freres Mineurs, dès

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