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S. Th. 2. 2. q.147. 4. 7.

189. art. 9.

le repas de vêpres à none, comme il étoit du temps de faint Thomas d'Aquin, & de none à midi, comme il eft encore, fans qu'aucune communauté religieufe, pour auftere qu'elle foit, ait gardé l'ancien ufage.

La caufe la plus générale du relâchement des religieux, eft la légereté de l'efprit humain & la rareté d'hommes fermes & conftans, qui perféverent long-temps dans une même réfolution. C'est la raifon des vœux introduits fi fagement pour fixer l'inquiétude naturelle, qui font l'effentiel de la profeffion religieufe. Or afin que ces vœux ne fuffent pas téméraires, on avoit ordonné avec la même fagelle de rigoureufes épreuves. Loin d'attirer les fécaliers à la vie religieufe, comme on a cru non S.Th. 2.2.q. feulement permis, mais méritoire dans les derCaf. v. Infl. niers tems, les anciens employoient tous les 6.3.Reg.c.58. moyens capables de rebuter ceux dont la vocation n'étoit pas folide; & faint Benoît l'ordonne expreflément. C'eft qu'il n'eft pas néceffaire qu'il y ait des religieux dans l'églife: mais s'il y en a, ils doivent tendre à la perfection, il ne leur eft plus permis d'être des Chrétiens médiocres. Le bienheureux Guigues Chartreux avoit raifon de dire s'il eft vrai que la voie qui mene à la vie eft étroite, & que peu la trouvent, l'inftitut religieux qui admet le moins de fujets, eft le meilleur & le plus fublime, & celui qui en admet le plus, est le moins eftimable.

e. 80. n. 12. Hift. liv.

zxvii. n. 58.

de

gens

Un moine relâché eft donc un homme qui fe contredit continuellement. Il a promis à Dieu de vivre dans la retraite & le filence; & il cherche les compagnies & les converfations: il demande des nouvelles & en débite lui-même. Il a promis de garder une exacte pauvreté, & fe réduire au néceffaire, toutefois il eft bien-aise

d'avoir en fon particulier quelque livre, quel. que petit meuble, quelque peu d'argent, une chambre plus propre & plus commode qu'un autre; il affifte à l'office, mais il aime les occafions de s'en difpenfer, & l'expédie promptement, comme s'il avoit à faire enfuite quelque chofe de plus important. Et je ne parle point des relâchemens plus fenfibles: des religieux qui femblent avoir honte de leur habit & de leur profeffion; & fe déguifent pour approcher autant qu'ils peuvent de l'extérieur des féculiers : qui font les agréables & les bons compagnons dans les repas & les voyages, & fe font rechercher pour les parties de plaifir.

D'autres plus férieux prétendent se distinguer par des talens finguliers: l'un fait des fecrets inconnus à toute la faculté de médecine, l'autre excelle dans les mathématiques, l'architecture ou quelque autre art qui le fait rechercher : l'autre enfin entend la conduite des affaires, foit publiques foir particulieres, il est capable de gouverner, non-feulement des familles, mais des états, ou du moins il le croit être. Tous ces gens-là, cè me femble, font du nombre de ceux qui regardent derriere, après avoir mis la main à la charue. Car pourquoi quitter le monde & y rentrer enfuite par tant de portes? un vrai moine ne cherche qu'à oublier le monde & en être entierement oublié, & tout autre religieux à proportion.

Je compte entre les caufes du relâchement, les récréations introduites dans les derniers temps: car la regle de faint Benoît n'en dit pas un mot, ni aucune autre ancienne regle que

je fçache. Cet ufage femble fondé fur l'opinion S. Th. Întfè de quelques théologiens modernes, qui ont S. Fr. 8 cru que la converfation libre & gaie étoit un foulagement néceffaire après l'application d'ef

S. Th.

prit comme le repos après le travail du corps ; & ils ont nommé vertu d'eutrapélie le bon ufage de ce relâchement d'efprit. Mais ils n'ont pas vu que cette prétendue vertu tirée d'Ariftote, eft comptée par faint Paul entre les vices, fous le même nom d'eutrapélie ; & ce qui les a trompé eft que n'entendant pas le Grec, ils n'ont vu dans la verfion latine de S. Paul que le mot de fcurrilité, qu'ils n'ont pas manqué de ranentre les vices; ainfi le même mot de S. Paul fignifie un vice en latin, & une vertu en Grec. Voilà, fi je ne me trompe, la fource des récréations.

ger

Au fond il n'eft pas vrai que la conversation foit néceffaire pour nous remettre de l'application d'efprit. Le mouvement du corps y eft plus propre, comme une promenade, ou un travail modéré : : parce que ce mouvement détourne aux parties éloignées les efprits animaux rassemblés & agités dans le cerveau. La converfation au contraire entretient & fouvent augmente cette agitation des efprits: fans compter les tentations où elle expofe, les railleries piquantes, les médifances, les jugemens téméraires fur les affaires de l'églife ou de l'état: car les nouvelles publiques font fouvent la matiere des récréations. Je m'en rapporte à l'expérience, & je prie les perfonnes religieufes de fonger qu'elle eft la matiere la plus ordinaire de leurs confeffions fi fréquentes.

Je crains encore que les auftérités corporelles, fi ufitées dans les derniers fiécles, n'ayent été des occafions de relâchement. Car ce ne font pas des fignes infaillibles de vertu : on peut fans humilité & fans charité marcher nuds pieds, porter la haire ou fe donner la difcipline. L'amour propre qui empoisonne tout, peut perfuader à un efprit foible qu'il eft un

aint dès qu'il pratique ces dévotions extérieures ; & pour le dédommager de ce qu'il Louffre par-là, peut-être fera-t-il tenté de prendre d'ailleurs quelque foulagement ou quelque plaifir permis. Enfin quelques-uns s'imaginent pouvoir faire une efpece de compenfation, comme cet Italien, qui difoit: Que veux-tu, mon frere ? Un peu de bien, un peu de mal, le bon Dieu nous fera miféricorde. L'Ecriture ne parle pas ainfi. Détourne-toi du mal & fais le bien; nous apprenant à quitter le péché avant que de faire de bonnes œuvres, fi nous voulons qu'elles foient utiles. Enfin j'eftime plus la vie parfaitement uniforme des anciens moines d'Egypte, que celle d'un religieux déchauffé, qui après s'être donné la difcipline, prend place avec joie à un grand repas, & cherche à y briller par sa belle hu

meur.

Pf. 33i

XIII.

Opufc. 2. c.

35.

Hift. liv. LxIII. n. 57. 1. c. 4. Hift. liv. LXIX. n. 17.

Les exemptions furent fans doute une des principales caufes du relâchement des reli- Exemptions. gieux, comme faint Bernard avoit bien remarqué. Vous avez vu ce qu'il en dit, principalement en deux endroits de les écrits: la lettre à Henri archevêque de Sens, touchant les devoirs des évêques, & le livre de la confidé ration au pape Eugene: dans l'un il fe plaint des moines & des abbés qui obtenoient des exemptions ; dans l'autre, des papes qui les accordoient. Il va même jufqu'à révoquer en doute le pouvoir du pape à cet égard, dont en effet je ne vois guere d'autre fondement que l'idée confufe qu'ont donné les fausses décrétales que le pape pouvoit tout. Or les inconvéniens des exemptions font fenfibles. C'eft n'avoir point de fupérieur, que de l'avoir fi éloigné & fi occupé d'affaires plus importantes: c'est une occafion de mépriser les

Hift. liv. xcl. n. 53.

Hift. liv.

c. t. n. 43.

Xcv. n. 25.

évêques & le clergé qui leur eft soumis. C'est une fource de divifion dans l'églife en formant une hiérarchie particuliere. Voyez la difpute qui s'émut fur ce fujet du tems du concile de Vienne, entre Gilles de Rome, archevêque de Bourges, qui attaquoit les exemptions des moines, & l'abbé de Chailli qui les foutenoit.

Mais cet abbé combattoit fortement celles des Mendians les plus odieufes au clergé féculier, en ce que ces freres exerçoient, en vertu de leurs priviléges, la plupart des fonctions eccléfiaftiques, dont alors les moines ne fe mêloient guere; auffi les freres Mendians furent-ils ceux qui poufferent aux plus grands excès les prétentions de l'autorité du pape. Voyez les extraits que j'ai rapportés d'Augustin Triomfe & d'Alvar Pélage, l'un Augustin, l'autre Francifcain. A force de vouloir relever la puiffance du pape, ils la rendent odieufe, l'élevant au-deffus de toutes les puiffances temporelles, non-feulement quant à l'excellence & à la dignité, mais quant au pouvoir effectif d'ériger, transférer ou fupprimer les empires & les royaumes; d'établir, corriger ou dépofer les fouverains: enforte que,felon leur fyftême, il n'y a dans le monde qu'un feul fouverain, qui exerce la puiffance fpirituelle par lui-même & par les clercs auxquels il en commet quelque partie, & la temporelle par les laïques, fur lefquels il veut bien s'en décharger. Ce n'eft pas là le fyftême de l'évangile, ni la tradition des premiers fiécles.

La nouvelle hiérarchie des religieux exemts a eu de fâcheufes fuites, & dans leurs corps & au dehors dans toute l'églife. Au dedans ils ont été fort occupés de leur gouvernement, de la tenue des chapitres généraux ou provinciaux, de l'élection des fupérieurs &

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