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des autres officiers. Les religieux font devenus politiques: plus attentifs aux a faires de l'Ordre, ou de la congrégation, qu'à leur perfection particuliere, ou au falut du prochain, s'ils font appellés à y travailler. Je ne parle pas feulement des brigues pour parvenir aux charges, y élever ou en exclure les autres ; mais encore des mouvemens que l'on fe donne pour paller d'un couvent à l'antre; fuivre un fupérieur dont on eft ami, ou en éviter un défagréable: le tout aux dépens de la retraite, du filence & de la tranquillité d'efprit, qui eft l'effentiel de la vie religieufe. Les plus expofés à ces tentations font les freres Mendians, & les autres qui changent fouvent de fupérieurs, & n'ont point de réfidence fixe : rien n'étoit plus fage que la ftabilité des anciens. Ceux qui aiment le mouvement & l'action, n'ont qu'à demeurer dans le monde.

L'humilité déchet par les diftinctions entre les freres. Un général d'Ordre fe regarde comme un prélat & un feigneur, & quelques-uns en prennent le titre & l'équipage. Un provincial s'imagine prefque commander à tout le peuple de la province; & en certains Ordres après fon tems fini il garde le titre d'exprovincial. Pendant l'intervalle des élections, les

efprits font agités pour les chapitres prochains, on forme des cabales & des ligues pour foi ou pour d'autres ; quelquefois par un vrai zèle pour le bien de l'Ordre & la régularité de l'obfervance; fouvent par amour propre, óu par inquiétude naturelle, déguifée fous le nom de zèle, & l'occafion de cette inquiétude, eft l'oifiveté.

Depuis que le travail des mains a été méprifé & oublié, les religieux rentés fe font abandonnés la plupart à la pareffe & à la crapule

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fur-tout dans les pays froids. Les Mendians, principalement dans les pays où les efprits font plus vifs & plus remuans, ont donné dans les études curieufes, dans les fubtilités & les rafinemens de la scolastique ou dans les intrigues & les fineffes de la politique monacale dont je parle. On entre en religion pour faire fortune: en Italie, par exemple, un frere Prêcheur étudie dans l'efpérance de devenir à Rome théologien d'un cardinal, confulteur dans quelque congrégation, inquifiteur, évêque, nonce, & enfin cardinal: ou s'il fe borne dans fon ordre, il se propofera d'y monter par degrés aux premieres dignités: c'eft ce qu'on appelle avoir du courage & de l'industrie.

Le relâchement étant devenu général a produit les mitigations, ou par fimple tolérance, ou par des conftitutions expreffes, accordées à la dureté de cœur & à l'importunité des religieux; & la plupart fondées fur l'affoibliffement prétendu de la nature prétexte que je penfe avoir fuffifamment réfuté ; & montré que ce ne font pas les corps qui font affoiblis, mais les courages. On a cru que des religieux imparfaits valoient mieux que le commun des féculiers; & ceux qui ont embraffé une regle fur le pied de la mitigation, fe contentent ordinairement de ne pas tomber plus bas. Ce n'eft pas-là l'efprit de l'évangile. Jefus-Chrift dit à tous les difciples; c'est-à-dire à tous les Matth. V. Chrétiens: Soyez parfaits comme votre pere céleste est parfait. Et encore, efforcez-vous d'entrer par la petite porte, il n'y entrera pas qui voudra.

Luc. XIII.

Je dis donc que tout Chrétien étant obligé de tendre à la perfection felon fon état, il vaut mieux demeurer dans le monde, faifant toujours quelques pas vers la perfection, que

fe repofer à l'abri d'un monaftere & d'un habit religieux, comme fi on avoit assuré son salut en faifant les vœux. Je n'eftime guere plus ces religieux tiédes & indifférens pour la perfection, que les morts revêtus d'un habit de religion, fuivant la dévotion d'Espagne. C'eft une espece d'hypocrifie de profeffer une régle que l'on n'obferve qu'imparfaitement : c'eft chercher l'honneur d'une vie au-deffus du commun, fans en vouloir fouffrir la peine, qui en fait le mérite. A force de relever la perfection de leur état, les religieux ont négligé de travailler à la perfection effective: ils femblent avoir cru s'en revêtir avec leur habit. Cette idée leur a fait méprifer tous ceux qui ne font pas de leur état, les prêtres mêmes & les évêques, dont il leur a paru que l'on pourroit fe paffer s'il ne falloit recevoir d'eux la cérémonie de l'ordination.

XIV. Affoibliffe

ment de la morale chré

Le relâchement des religieux a fans doute beaucoup nui à tous les chrétiens. Les féculiers ont dit: Si ceux qui doivent être les modeles de la perfection fe permettent telle tien & telle chofe, nous pouvons bien nous en permettre davantage: s'ils ne jugent pas que telle & telle action foient des péchés, nous ne de vons pas être plus fcrupuleux. Je penfe auffi que l'affoibliffement de la théologie morale, introduit depuis quatre ou cinq cens ans eft venu de la même fource. Les cafuiftes qui ont écrit dans ces derniers fiécles, étoient la plûpart religieux & religieux Mendians, qui se trouvoient prefque feuls en polleffion des études & de l'adminiftration de la pénitence. Or la mendicité eft un grand obftacle à la févérité & à la fermeté envers ceux dont on tire fa fubfiftance.

De plus ces cafuiftes ne connoiffoient de l'an

cienne difcipline fur la pénitence, que le peu qui s'en trouve dans le décret de Gratien; car ils ne remontoient pas plus haut, comme on voit par leurs citations. Ils ne connoissoient ni les anciens canons pénitentiaux, ni les divers degrés de pénitence, ni les folides raifons qui les avoient fait établir. Ainfi fans en avoir le deffein, ils ont introduit deux moyens de laiffer regner le péché, l'un en excufant la plupart des péchés, l'autre en facilitant les abfolutions. C'eft ôter le péché, du moins dans l'opinion des hommes, que de leur enfeigner que ce qu'ils croyoient péché ne l'eft pas; c'eft ce qu'ont prétendu faire les docteurs modernes, par leurs diftinctions & leurs fubtilités fcolaftiques, fur-tout par la doctrine de la probabilité.

A l'égard des péchés qu'on ne peut excufer, le reméde eft l'abfolution facile, fans jamais la refuser, ni même la différer, quelques fréquentes que foient les rechûtes. Ainfi le pécheur a fon compte, & fait ce qu'il veut ; tantôt on lui dit qu'il péche à la vérité, mais que le reméde eft facile, & qu'il peut pécher tous les jours en fe confeffant tous les jours. Or cette facilité femble néceffaire dans les pays d'inquifition, où le pécheur d'habitude qui ne veut pas fe corriger n'ofe toutefois manquer au devoir pafcal, de peur d'être dénoncé excommunié, & au bout de l'an, déclaré fufpect d'héréfie, & comme tel pourfuivi en juftice: auffi eft - ce dans ce pays-là qu'ont vécu les casuistes les plus relâchés.

Cette facilité d'abfolutions anéantit en quelque façon le péché, puifqu'elle en ôte l'horreur & le fait regarder comme un mal ordinaire & inévitable. Craindroit-on la fiévre, fi pour en guérir il ne falloit qu'avaler un verre

d'eau ? craindroit-on de voler ou de tuer, fi l'on en étoit quitte pour laver fes mains La confeffion eft prefque auffi facile, quand il ne s'agit que de dire un mot à l'oreille d'un prêtre, fans craindre ni délai d'abfolution, ni fatisfaction pénible, ni néceffité de quitter l'occafion. Mais infenfiblement je m'éloigne de mon fujet.

XV.

Dévotion

J'ajouterai toutefois que les nouvelles dévotions introduites par quelques religieux ont nouvelies. concouru au même effet de diminuer l'horreur du péché, & faire négliger la correction des mœurs. On peut porter un fcapulaire, dire tous les jours le chapelet ou quelque oraifon fameufe, fans pardonner à fon ennemi, reftituer le bien mal acquis, ou quitter fa con-. cabine : Voilà les dévotions qu'aime le peuple, celles qui n'engagent point à être meilleur. Et en pratiquant ces petites dévotions, on ne laiffe pas de s'eftimer plus que ceux qui ne les pratiquent point, fe flater qu'elles nous attirent une bonne mort: car on ne voudroit pas fe convertir pendant qu'on a de la jeuneffe ou de la fanté, il en couteroit trop. De-là vient encore la dévotion extérieure au faint Sacrement. On aime bien mieux l'adorer expofé ou le fuivre en proceffion, que de fe disposer à communier dignement.

Depuis que le travail des mains a ceffé chez les religieux, ils ont extrêmement relevé l'oraifon mentale, qui eft en effet l'ame de la religion chrétienne, puifque c'eft l'exercice Jo. iv. 25. Hift. liv. actuel de l'adoration en efprit & en vérité, ? xix. n. 25. prefcrite par Jefus Chrift même. Mais il est facile d'en abufer. C'est en quoi confiftoit principalement l'héréfie des Maffaliens condamnée dès le quatrième fiécle; & ce que les catholiques leur reprochoient le plus étoit le

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