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AN. 1349.

150.

fe flagellant eux-mêmes de leurs fouets quf avoient des nœuds chacun avec quatre pointes de fer; cependant ils chantoient en Allemand, invoquant Dieu fouvent. Trois, qui avoient la voix très-forte, s'arrêterent debout au milieu du clergé, donnant le ton aux autres, & se flagellant. Enfuite à un certain fignal tous étant à genoux, fe profternerent en croix fur le vifage priant & fanglotant ; & leurs maîtres firent le tour, les avertiffant de prier pour attirer la clémence de Dieu fur le peuple, pour leurs bienfaiteurs, pour ceux qui leur faifoient du mal, pour tous les pécheurs, pour les ames du purgatoire. Enfin ils fe levoient & s'alloient revêtir; & ceux qui avoient gardé leurs habits & le ba gage, vinrent à leur tour en faire autant.

Enfuite un fe leva & d'une voix forte lut une lettre que l'on difoit avoir été préfentée par un ange dans l'églife de S. Pierre à Jérufalem. Elle portoit que J. C. étoit irrité contre le monde pour les crimes, entr'autres qu'on n'observoir pas le dimanche, qu'on ne jeûnoit pas le vendredi, les blafphêmes, les ufures, les adulteres, Que J. C. étant prié par la fainte Vierge & par les anges, de faire miféricorde, avoit répon du, que chacun devoit pendant trente-quatre jours le bannir de chez lui, & fe flageller.

Les flagellans furent reçus à Spire avec tant d'affection, que l'on s'empreffoit à les loger. Or ils ne recevoient pas d'aumônes en particulier, mais en commun, pour acheter des torches & des bannieres, car ils en avoient de fort précieufes. Toutefois quand on les prioit à manger, ils y alioient par la permiffion de leurs maîtres. Ils fe flagelloient deux fois le jour, le matin & le foir, foit dans la ville, foit dans la campagne, Vita PP. & une fois la nuit en fecret ils ne parloient 101.p. 319. point aux femmes, & ne couchoient point fur

ges

des lits de plume. Tous portoient des croix roudevant & derriere à leur habit qui étoit noir, An. 1349. & à leur bonnet. Ils avoient des fouets pendus à leurs ceintures, & ne demeuroient pas plus d'une nuit en chaque paroiffe, excepté le dimanche, auquel ils s'arrêtoient deux nuits.

De Spire plus de cent perfonnes entrerent dans leur confrérie, de Strasbourg environ mille, promettant obéiffance à leurs maîtres pendant les trente-quatre jours: car on ne recevoit perfonne qu'à cette condition. Il falloit de plus qu'il eût de quoi dépen fer au moins quatre deniers par jour, afin de ne pas être réduit à mendier & qu'il affurât qu'il s'étoit confeffé avec contrition, & qu'il avoit pardonné à fes ennemis, & obtenu le confentement de fa femme. Le denier Leblanc. p. d'alors en valoit neuf des nôtres & par confé- 245. quent les quatre faifoient trois fols de notre monnoie. A Strasbourg le nombre des flagellans devint fi grand qu'on ne les pouvoit comp. ter. Des femmes auffi embrafferent cette pénitence, & le dépouillant jufqu'au fein, fe fufti- 1347. P. 440. geoient comme les hommes. La fuperftition fe mêloit à cette dévotion: les flagellans prétendoient s'abfoudre les uns les autres de leurs péchés, & fe vantoient de faire des miracles, com- M. S, ap. me de chaffer les démons; menant avec eux des femmes qui difoient en avoir été délivrées.

Rebdorf. an.

Rain. n. 19:

316.

Plufieurs d'entre les religieux mendians, & Alb. 10. d'entre les prêtres défapprouvoient ces flagella- Vita IT. p. tions ; & le pape en étant informé, publia une Rain. a. 20. bulle adreffée à l'archevêque de Mayence, & à fes fuffragans, où il dit: Nous avons appris avec douleur qu'en Allemagne & dans les pays circonvoisins, il s'eft élevé, sous prétexte de dévotion & de pénitence, une certaine fuperftition fuivant laquelle une multitude profane d'hommes fimples le font laiffés tromper par des impof

AN. 1349.

n. 21.

teurs qui difent que Notre-Seigneur a apparu à Jérufalem au patriarche, quoique depuis longtems il n'y ait point eu de patriarche préfent à Jérufalem, & lui a dit certaines choses abfurdes & même contraires à la fainte écriture. Ce qui a pouflé ces pauvres gens à une telle folie, qu'ils fe promenent par divers pays divifés en troupe, qui toutefois ont correfpondance entre elles: méprisant toutes les autres, menant une vie finguliere, faus permiffion d'aucun fupérieur, & nonobftant les loix qui défendent de telles affemblées, & fe font fait de leur autorité des ftatuts & des réglemens déraisonnables. Ce qui nous afflige le plus c'eft que quelques religieux principalement des Ordres mendians fe laiffent entraîner à leur féduction, & prêchent en leur faveur.

Afin donc de prévenir les maux que ces affemblées pourroient caufer dans l'églife & dans l'état, nous vous ordonnons de les dénoncer publiquement réprouvées & illicites ; & d'avertir & exhorter tous les fideles, clercs ou laïques engagés dans cette fuperftition de s'en retirer: s'ils ne le font vous les y contraindrez par cenfures eccléfiaftiques, & ceux fur lefquels vous avez jurifdiction temporelle, par peines temporelles. 22. Quant aux religieux ou aux autres qui prêchent ou dogmatisent pour autorifer ces erreurs, vous les ferez prendre, & les tiendrez prifonniers jufques à nouvel ordre. Nous ne prétendons pas toutefois empêcher que les fidèles n'accomplif fent la pénitence qui leur fera impofée canoniquement, ou qu'ils feront par dévotion & avec une intention pure dans leurs maifons ou ailleurs fans fuperftitions ni affemblées telles que deffus. La bulle eft du vingtiéme d'Octobre 1349, & fe trouve auffi adreffée à l'evêque de Magdebourg & à fes fuffragans.

Dutoulai.

A Paris le recteur & ceux que l'on avoit dépu

tés firent une conclufion contre les flagellans,

qui fut examinée & approuvée par toute l'uni- AN. 1349. verfité dans une affemblée générale le mardi to. 4 p. 314. d'après la Touffaints, c'eft-à-dire, le troifiéme

de Novembre de la même année. Par le confeil des docteurs en théologie de Paris, le roi Philippe défendit que les flagellans ne vinffent en France fous peine de la vie ; & ce fut auffi par c. Narg, p. ces docteurs que le pape fut pleinement informé 811.

de cette nouvelle fuperftition; car ils lui envoye Radulf, ponrent des députés pour ce fujet. Les flagellans tif.Leod. c. 3. difoient entr'autres folies que le fang qu'ils ré

pandoient abondamment fe mêloit avec celui de J. C. pour la rémiffion des péchés.

L..

Rain. n. 11.

Comme le Jubilé réduirà cinquante ans devoit être l'année fuivanté, le pape Clément crut à Jubilé de propos d'en rafraîchir la mémoire par une bulle 1350. qu'il envoya à tous les évêques, & qui contient celle qu'il avoit donnée le vingt-feptiéme de Janvier 1343. Celle-ci eft du dix-huitiéme d'Août Sup, n. 14. 1349, & ajoute feulement ordre aux évêques de la publier dans leurs diocèfes, afin que tous les fideles fe difpofent à gagner l'indulgence,

12.

L'effet de ces bulles fut grand, & le concours M. Vill. I. c. de pélerins à Rome prodigieux. L'ouverture du 56. Jubilé fe fit à Noël 1349, où l'on comptoit 1350, car l'année commençoit à Rome par cette fête, comme on voit dans la bulle du premier Jubilé de 1320. Or cette année le froid fut exSup. liv. trême, mais la dévotion & la patience des péle- LXXXIX. rins étoit telle, que rien ne les arrêtoit, ni les 69. glaces, ni les neiges, ni les eaux, ni les chemins rompus. Ils étoient pleins jour & nuit d'hommes & de femmes de toute condition. Les hôtelleries & les maifons qui fe rencontroient fur les chemins n'étoient pas fuffifantes pour y contenir les hommes & les chevaux, & leur donner le couvert. Les Allemands & les Hongrois plus accou

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tumés au froid fe tenoient dehors, & paffoiens la nuit ferrés ensemble à grandes troupes avec de grands feux. Les hôteliers ne pouvoient répondre à tout le monde, non-feulement pour donner du pain, du vin & de l'avoine, mais pour recevoir de l'argent; & il arriva fouvent que les pélerins voulant continuer leur voyage, laisserent l'argent de leur écot fur la table, & aucun des paffans n'y touchoit, jufqu'à ce que l'hôte le vint prendre. Par le chemin il n'y avoit ni. querelles ni bruits, mais ils compatiffoient les uns aux autres, s'aidoient, fe confoloient avec patience & charité, Quelques voleurs du pays commencerent à en piller & à en tuer, mais les pélerins eux-mêmes fe fecourant réciproquement, les tuoient ou les prenoient, & les gens du pays faifoient garder les chemins.

On ne crut pas poffible de compter le nombre des pélerins: mais par l'eftimation des Romains le jour de Noël, les fêtes folemnelles qui fuivirent, & pendant le carême jufqu'à Pâques, il y en eut continuellement à Rome depuis un mil lion jufqu'à douze cens mille. A l'Afcenfion & à la Pentecôte plus de huit cens mille. Mais quand l'été vint les pélerins commencerent à manquer par l'occupation de la récolte, & le chaud exceffif; & toutefois le moins de pélerins qu'il y cût, fut de deux cens mille étrangers. Les rues de Rome étoient continuellement fi pleines qu'il falloit fuivre la foule, foit à pied foit à cheval. Les pélerins offraient tous les jours de la vifite à chacune des trois églifes qui plus qui moins fuivant leur dévotion.

Le dimanche de la paffion on montra pour la premiere fois le fuaire de N. S. c'est-à-dire, l'image portée par la Véronique :& alors la preffe fut fi grande dans l'églife de faint Pierre que plufieurs furent étouffés en ma présence. Ce font

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