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TROISIE'ME PARADOXE.

Que toutes les mauvaises actious font égales, auffi bien que les bonnes. a

C

E n'eft, dites-vous, qu'une bagatelle, & moi je foutiens que c'eft un crime; b car on ne doit

erreur parl'autoritéde la damnation éternell'écriture fainte,dans le. Il me feroit facile leslivres quevousavés compofés contre Jovinien qui étoit Stoïcien fur ce point. Viclef &Luther ont auffi admis en quelque maniere l'égalité des péchés,car ils ont enfeigné qu'il n'y avoit point de fautes legeelles-mêmes, que tous les péchés étoientmortelsde leur nature, &

res par

s'il

y

que en avoit quelques uns de veniels, ils ne

l'étoient que parce queDieu vouloit bien ne les pas punir par

d'apporter ici plufieurs paffages de l'ancien&du nouveau Teftament,pourprouver l'inégalitédes ver tus & des vices : mais je ne veux point fortir des bornesque je dois me preferire; je me contenterai de fuivre Ciceron dans fes raifonnemens, & je tâcherai de les refuter avec le plus de préci fion & de clarté qu'il me fera poffible. b Car on ne doit point juger du péché par les fuites, mais

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Paradoxe troifiéme

vitiis hominum metienda funt. In quo peccatur, id poteft aliud alio majus effe, aut minus: ipfum quidem illud peccare, quoquò te

verteris unum eft.

Auri navem evertat gubernator, an paleæ, in re aliquantulum, in gubernatoris infcitiâ nihil interest. Lapfa eft alicujus libido in muliere ignotâ: dolor ad pauciores pertinet, quàm fi etiam petulans fuiffet in aliquâ generosâ ac nobili virgine:

con

moins grands? or,
il eft certain que la
corruption du cœur
peut être plus ou
moins grande : car
qui peut douterqu'un
perfide qui trahit &
empoisonne fon ami,
n'ait le cœur infini
ment plus mauvais,
que celui qui veut du
mal à fon ennemi?qui
douter qu'un
voleur de grand che
min qui non-feules

par la corruption du
cœur, &c. Le prin-
cipe que Ciceron a-
vance ici eft vrai,
mais il fait
tre les Stoïciens: En
effet, fi c'eft par la
corruption du cœur
qu'on doit juger des
péchés, & fi cette
corruption peut être
plus ou moins gran-
évi- peut
de, n'eft-il pas
dent que les péchés
peuvent être plus ou

point juger du péché par les fuites qu'il peut avoir, mais par la corruption du cœur, a Les péchés confiderés par rapport à leur matiere & à leur objet peuvent être plus ou moins grands: mais dans le fonds ils font tous égaux de quelque côté qu'on les envisage.

Qu'un vaiffeau chargé d'or ou de paille vienne à perir par l'ignorance d'un Pilote, il eft certain que la perte eft plus grande d'un côté que de l'autre, mais le Pilote eft également cou

ment dépouille les paffans, mais leur ôte encore la vie, ne foit infiniment plus fcélerat que celui qui fe contente de leur pren dre leur argent? qui peut douter enfin que les Caligula, les Nerons & tant d'autres dont l'hiftoire nous a tranfmis les forfaits, n'ayent furpaffé en méchanceté la plûpart des autres hommes? je pourrois rap

pour

porter encore mille
autres exemples:mais
ceux ci fuffifent
comme je le crois
faire voir qu'il
peut y
avoir du plus
& du moins dans la
corruptton du cœur,
&que par confequent
il peut y en avoir auf-
fi dans les mauvaises
actions.

a Les péchés confide rés par rapport à leur matiere, peuvent être plus ou moins granda.

peccavit verò nihilominùs : fi quidem eft peccare tanquam tranfire lineas: quod cùm feceris, culpa commiffa eft; quam longè progrediare, cùm femel tranfieris, ad

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infulteroit un particulier feroit auffi criminel qu'un Traitre qui oferoit attenter à la vie de fon Prince c'eft ce que le bon fens n'admettra jamais. Horace dans la troifiéme Satyre du 1. livre, fait bien voir l'abfurdité du principe que Ciceron avance ici, je m'en vais en citer quelques vers.

mais dans le fonds ils font tous égaux, c. Si ce principe étoit vrai, il s'enfuivroit de-là qu'il n'y auroit pas plus de mål d'enlever à un homme riche tous fes biens , que de lui prendre feulement cent piftoles, quoiqu'on ait la liberté d'en prendre d'avantage, & que celui qui Queis paria effe fere placuitpeccata, laborant Cum ventum ad verum eft, fenfus, morefque repugnant.

Il dit un peu plus bas.

Nec vincit ratio tantumdem ut peccet, idem

que,

Qui teneros caules alieni fregerit borti,

Et qui nocturnus drvúm facra leger't, &c.

C'est-à-dire, ceux qui prétendent que Les péchés font pref

que égaux,font bien embaraffés lorsqu'on ontre en matière avec

pable. Que quelqu'un ait ravi l'honneur à une femme du commun, ce cruel affront ne rejaillit que fur un petit nombre de perfonnes: une telle action feroit bien plus d'éclat fi c'étoit - une femme de qualité, cependant le péché eft égal; car pécher c'eft fran

eux, le bon fens & l'ufage du monde condamnent leur fentiment: Ils ont beau raifonner,ils ne viendront jamais à bout de prouver qu'un qu'un hommequi vole quelques legumesdans un jardin, commette un auffi grand crime que s'il pilloit un temple pendant la nuit. a Que quelqu'un ait ravil bonneur à une femme du commun &c. Je fuppofe que les deux exemples que Ciceron vient de rapporter foient juftes,& qu'on ne puiffe contefter fa décifion, s'enfuivroit-il de-là

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que le principe qu'il veut établir foit cer tain ? doit-on inferer que tous les péchés qui different, par ra port à leur matiere & à leur objet, font é gaux en eux-mêmes parce qu'il y en au roit quelques-uns qui le feroient; je ne crois pas que perfonne trouve cette confe quence bien tirée : il ne faut pas conclure du particulier au ge neral,c'eft un axiome reçû de tous les Dia➡ lecticiens : les deux exemples de Ciceron ne prouveroient donc rien quand même its feroient vrais.

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