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Je fçai que vous dédaignés ma fortune, & vous avés bien raifon, fi l'on en croit le vulgaire : j'ai affez de bien pour vivre dans une honnête mediocrité: felon vous, je n'en ai point du tout; pour moi, je fuis content du peu que je poffede: mais fans parler de moi, venons au fait, & approfor diffons la chofe. Doit - on faire plus de cas des richeffes que Pirrhus offrit à Fabrice, que du defintereffement queFabrice fit paroître en les refufant? l'or que les Samnites voulurent donner à Curius, eft il préferable à la belle réponse que leur fit ce grand homme? faut-il plus eftimer les grands biens que laiffa Paul Emile en mourant, que la generofité avec laquelle Scipion fon heritier, en fit part à Q Maximus fon frere? s'il falloit décider fur ces queftions, quel parti devrions-nous prendre?

Ces nobles fentimens, qui ne peuvent provenir que d'une vertu heroïque & parfaite, doivent fans doute, avoir la préference fur l'or & l'argent: car s'il eft vrai que l'on foit parfaite

nulla vis auri & argenti, pluris quàm virtus æftimanda eft,

O Dii immortales: non intelligunt homines, quàm magnum vectigal fit parfimonia! Venio enim jam ad fumptuofos relinquo iftum quæftuofum,

Capit ille ex fuis prædiis sexcenta feftertia, ego centena ex meis. Illi aurata tecta in villis & fola marmorea facienti, &figna, tabulas, fupellectilem & veftem infinitè

a Celui-ci a fix cens Sefterces de rentes. Il s'agit ici de grands Sefterces qui valoient

cent livres, comme je l'ai remarqué dans la note fur la lettre à Quintus page 129.

ment riche, quand on poffede ce qu'il ya de plus précieux & de plus rare, qui peut douter que les veritables richeffes ne fe trouvent dans la vertu, puifqu'elle l'emporte en excellence fur les plus grands tréfors & fur tout ce qu'il y a de plus estimable parmi les biens de la fortune?

C'eft un grand revenu que l'écono→ mie, mais, grands Dieux, que les hommes en font bien peu convaincus! en effet, on en voit tous les jours qui diffipent leurs biens par de folles & inutiles dépenfes : je vais maintenant les combattre, car je me fuis affez arrêté à parler à cet homme ayide & infatiable.

Celui ci a fix cens Sefterces de rente, & moi je n'en ay que cent, mais il veut avoir des lambris dorés dans fes maifons de campagne, il lui faut des pavés de marbre, des ftatues, des tableaux, des meubles & des habits fuperbes ; de forte que les fix cens Sefterces qu'il a, bien-loin de lui fuffire pour faire toutes ces dépenfes, ne lui fuffisent pas même pour Cc

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Paradoxe fixiéme

concupifcenti, non modò ad fump tum ille fructus eft, fed etiam ad foenus, exiguus. Ex meo tenui vectigali, detractis fumptibus cupiditatis, aliquid etiam redundabit..

Uter igitur eft ditior, cui deeft, an cui fuperat ? qui eget, an qui abundat cujus poffeffio quò eft major, eò plus requirit ad fe tuendam; an quæ fuis fe viribus fufti

net;

Sed quid ego de me loquor, qui morum & temporum vitio aliquantum etiam ipfe fortaffe in hujus feculi errore verfer? M.Manilius patrum noftrorum memoriâ (ne femper Curios, & Lufcinos loquamur)

Car enfin j'ai affez cité les Curius & les Fabrices. Il y a dans le latin, Curios & Lufcinos, Fabrice s'appelloit Caius Fabricius Lufcinus..

Puisqu'il n'a

voit pour tout bien. Le quartier des Carenes étoit un quartier de Rome, & le territoire de Labican tiroit fon nom d'une Ville d'Italie qui fe nommoit Labicum.

payer fes dettes. Pour moi, quoique mon revenu foit bien petit, il me refte toûjours quelque chofe, après que j'ai pourvû à mes befoins.

Lequel eft donc le plus riche d'un homme qui n'a pas tout ce qu'il lui faut, ou de celui qui a du furperflu? d'un homme qui eft dans la difette, ou de celui qui eft dans l'abondance d'un homme qui fe foutient par lui-même dans fa mediocrité, ou de celui à qui il faut, d'autant plus de biens pour fe foutenir, que fes richeffes font plus confiderables?

Mais à quoi penfé-je de faire ici mention de moi, qui ne fuis peut-être pas tout-à-fait exempt des vices qui regnent dans le fiecle où nous fommes: remontons à des tems plus reculés. M. Manilius, a car enfin j'ai affez cité les Curius & les Fabrices, Manilius dis-je, n'étoit certainement pas riche, b puif qu'il n'avoit pour tout bien qu'une petite maifon dans le quartier des Carenes, & un petit heritage dans le territoire deLabican: nous qui en avons

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