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ordinaire, c'est-à dire quelques oignons avec un morceau de pain: telle est la vie sobre qu'il mène depuis dix ans ; et si quelque Aristippe lui disait comme à Diogène : «Si tu savais faire ta cour aux grands, tu « ne mangerais pas des oignons, » ce philosophe moderne lui répondrait : « Je « ferais ma cour aux grands aussi bien que « toi, si je voulais abaisser un homme « jusqu'à le faire ramper sous un autre <<< homme. >>

«En effet, ce philosophe a autrefois été attaché aux grands seigneurs; ils lui firent même sa fortune: mais ayant senti que leur amitié n'était pour lui qu'une honorable servitude, il rompit tout commerce avec eux. Il avait un carrosse qu'il quitta, parce qu'il fit réflexion qu'il éclaboussait des gens qui valaient mieux que lui : il a même donné prèsque tous ses biens à ses amis indigents; il s'est seulement réservé de quoi vivre de la manière qu'il vit; car il ne lui paraît pas moins honteux pour un philosophe d'aller mendier son pain parmi le peuple que chez les grands seigneurs.

<< Plaignez le cavalier qui suit ce philosophe, et que vous voyez accompagné d'un chien: il peut se vanter d'être d'une des meilleures maisons de Castille. Il a été riche; mais il s'est ruiné, comme le Timon

de Lucien, en régalant tous les jours ses amis, et surtout en faisant des fêtes superbes aux naissances, aux mariages des princes. et princesses, en un mot, à chaque occasion qu'a eu l'Espagne de faire des réjouissances. Dès que les parasites ont vu sa marmite renversée, ils ont disparu de chez lui; tous ses amis l'ont abandonné; un seul lui est resté fidèle: c'est son chien.

-Dites-moi, seigneur diable, s'écria Léandro Perez, à qui appartient cet équipage que je vois arrêté devant une maison. -C'est, répondit le démon, le carrosse d'un riche contador, qui va tous les matins dans cette maison, où demeure une beauté galicienne dont ce vieux pécheur de race more a soin, et qu'il aime éperdument. Il apprit hier au soir qu'elle lui avait fait une infidélité: dans la fureur que lui causa cette nouvelle, il lui écrivit une lettre pleine de reproches et de menaces. Vous ne devineriez pas quel parti la coquette s'est avisée de prendre au lieu d'avoir l'impudence de nier le fait, elle a mandé ce matin au trésorier qu'il est justement irri-té contre elle; qu'il ne doit plus la regarder qu'avec mépris, puisqu'elle a été capable de trahir un si galant homme; qu'elle reconnaît sa faute, qu'elle la déteste, et que, pour s'en punir, elle a déjà coupé ses beaux

cheveux, dont il sait bien qu'elle est idolâtre: enfin, qu'elle est dans la résolution d'aller dans une retraite consacrer le reste de ses jours à la pénitence.

<< Le vieux soupirant n'a pu tenir contre les prétendus remords de sa maîtresse; il s'est levé aussitôt pour se rendre chez elle: il l'a trouvée dans les pleurs, et cette bonne comédienne a si bien joué son rôle, qu'il vient de lui pardonner le passé; il fera plus pour la consoler du sacrifice de sa chevelure, il lui promet, en ce moment, de la faire dame de paroisse, en lui achetant une belle maison de campagne, qui est actuellement à vendre auprès de l'Escurial.

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Toutes les boutiques sont ouvertes, dit l'écolier, et j'aperçois déjà un cavalier qui entre chez un traiteur. Ce cavalier, reprit Asmodée, est un garçon de famille qui a la rage d'écrire et de vouloir absolument passer pour auteur: il ne manque pas d'esprit; il en a même assez pour critiquer tous les ouvrages qui paraissent sur la scène; mais il n'en a point assez pour en composer un raisonnable. Il entre chez le traiteur pour ordonner un grand repas; il donne à dîner aujourd'hui à quatre comédiens, qu'il veut engager à protéger une mauvaise pièce de sa façon qu'il est

sur le point de présenter à leur compagnie.

« A propos d'auteurs, continua-t-il, en voilà deux qui se rencontrent dans la rue. Remarquez qu'ils se saluent avec un ris moqueur; ils se méprisent mutuellement, et ils ont raison. L'un écrit aussi facilement que le poëte Crispinus, qu'Horace compare aux soufflets des forges; et l'autre emploie bien du temps à faire des ouvrages froids et insipides.

Qui est ce petit homme qui descend de carrosse à la porte de cette église? dit Zambullo. C'est, répondit le boiteux, un personnage digne d'être remarqué. Il n'y a pas dix ans qu'il abandonna l'étude d'un notaire où il était maître-clerc, pour s'aller jeter dans la chartreuse de Saragosse. Au bout de six mois de noviciat, il sortit de son couvent, reparut à Madrid; mais ceux qui le connaissaient furent étonnés de le voir devenir tout à coup un des principaux membres du conseil des Indes. On parle encore aujourd'hui d'une fortune si subite. Quelques-uns disent qu'il s'est donné au diable; d'autres veulent qu'il ait été aimé d'une riche douairière, et d'autres enfin qu'il ait trouvé un trésor. Vous savez ce qui en est, interrompit don Cléofas.-Oh! pour cela oui, répartit le démon, et je vais vous révéler le mystère.

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« Pendant que notre moine était novice, il arriva qu'un jour, en faisant dans son jardin une profonde fosse pour y planter un arbre, il aperçut une cassette de cuivre qu'il ouvrit : il y avait dedans une boîte d'or qui contenait une trentaine de diamants d'une grande beauté. Quoique le religieux ne se connût pas autrement en pierreries, il ne laissa pas de juger qu'il venait de faire un bon coup de filet; et prenant aussitôt le parti que prend dans une comédie de Plaute ce Gripus qui renonce à la pêche après avoir trouvé un trésor, il quitta le froc et revint à Madrid, où, par l'entremise d'un joaillier de ses amis, il changea ses pierres précieuses en pièces d'or, et ses pièces d'or en une charge qui lui donne un beau rang dans la société civile.

CHAPITRE XVIII

Ce que le diable fit encore remarquer à don
Cléofas.

Il faut, poursuivit Asmodée, que je vous

fasse rire en vous apprenant un trait de cet homme qui entre chez un marchand

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