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lui apportait des espèces, de manière qu'il se trouvait dans une situation à détromper tous ceux qui le croyaient un homme sans bien. Il ajouta qu'il prétendait faire connaître à ses créanciers qu'ils avaient eu tort de pousser à bout un honnête homme, qui les aurait depuis longtemps contentés s'il eût eu des fermiers exacts à lui faire toucher ses revenus.

<< Il ne manqua pas effectivement d'assembler chez lui, dès le lendemain, tous ses créanciers, et de les payer jusqu'au dernier sou. Les mêmes amis qui l'avaient abandonné dans sa misère ne surent pas plus tôt qu'il avait de l'argent frais, qu'ils revinrent à la charge; ils recommencèrent à le flatter, dans l'espérance de se divertir encore à ses dépens; mais il se moqua d'eux à son tour. Fidèle au serment qu'il avait fait dans le bois, il leur rompit en visière au lieu de reprendre son premier train, il ne songea plus qu'à faire des progrès dans la science des lois, et l'étude devint son unique occupation.

« Cependant, me direz-vous, il dépensait toujours à bon compte des doubles pistoles qui n'étaient point à lui. J'en demeure d'accord; il faisait ce que les trois quarts et demi des humains feraient aujourd'hui en pareil cas. Il avait pourtant

dessein de les restituer quelque jour, si par hasard il découvrait à qui elles appartenaient. Mais, se reposant sur sa bonne intention, il les dissipait sans scrupule, en attendant patiemment cette découverte, qu'il fit néanmoins une année après.

« Le bruit courut dans Salamanque qu'un bourgeois de cette ville, nommé Ambrosio Piquillo, ayant été dans un bois pour chercher un sac rempli de pièces d'or qu'il y avait enterré, n'avait trouvé que la fosse où il s'était avisé de le cacher, et que ce malheur réduisait enfin ce pauvre homme à la mendicité.

« Je dirai à la louange de Bahabon que les reproches secrets que sa conscience lui fit à cette nouvelle ne furent pas inutiles. Il s'informa où demeurait Ambrosio, et l'alla voir dans une petite salle basse, où il y avait pour tous meubles une chaise et un grabat. « Mon ami, lui dit-il d'un air « hypocrite, j'ai appris par la voix publi<< que le fâcheux accident qui vous est ar«< rivé, et la charité nous obligeant à nous << aider les uns les autres à proportion de << notre pouvoir, je viens vous apporter un << petit secours; mais je voudrais savoir de « vous-même votre triste aventure.

<< -Seigneur cavalier, répondit Piquillo, << je vais vous la conter en deux mots. J'a

<< vais un fils qui me volait; je m'en aper« çus, et, craignant qu'il ne mît la main << sur un sac de buffle dans lequel il y avait « deux cent cinquante doublons bien «< comptés, je crus ne pouvoir mieux faire « que de les aller enterrer dans le bois, où << j'ai eu l'imprudence de les porter. Depuis « ce jour malheureux, mon fils m'a pris « tout ce que j'avais, et a disparu avec une « femme qu'il a enlevée. Me voyant dans « un déplorable état par le libertinage de << ce mauvais enfant, ou plutôt par ma sotte « bonté pour lui, j'ai voulu recourir à mon << sac de buffle; mais, hélas! cette seule res<< source qui me restait pour subsister m'a << cruellement été ravie. »

« Cet homme ne put achever ces paroles sans sentir renouveler son affliction, et il répandit des pleurs en abondance. Don Pablos en fut attendri, et lui dit : « Mon «< cher Ambrosio, il faut se consoler de << toutes les traverses qui arrivent dans la << vie; vos larmes sont inutiles: elles ne « vous feront point retrouver vos doubles

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pistoles, qui véritablement sont perdues « pour vous si quelque fripon les possède. Mais que sait-on? Elles peuvent être tom« bées entre les mains d'un homme de bien, « qui ne manquera pas de vous les rapporter « dès qu'il apprendra qu'elles sont à vous.

« Elles vous seront donc peut-être ren« dues; vivez dans cette espérance, et en << attendant une restitution si juste, ajouta«<t-il en lui donnant dix doublons de «< ceux mêmes qui avaient été dans le sac « de buffle, prenez ceci et me venez voir « dans huit jours. » Après lui avoir parlé de cette sorte, il lui dit son nom et sa demeure, et sortit tout confus des remercîments que lui faisait Ambroise, et des bénédictions qu'il en recevait. Telles sont, pour la plupart, les actions généreuses; on se garderait bien de les admirer si l'on en pénétrait les motifs.

Au bout de huit jours, Piquillo, qui n'a vait pas oublié ce que don Pablos lui avai dit, alla chez lui. Bahabon lui fit un trèsbon accueil, et lui dit affectueusement : << Mon ami, sur les bons témoignages qui << m'ont été rendus de vous, j'ai résolu de «< contribuer autant qu'il me serait pos«sible à vous remettre sur pied: j'y veux « employer mon crédit et ma bourse.

<< Pour commencer à rétablir vos affai<< res, continua-t-il, savez-vous ce que j'ai « déjà fait? Je connais quelques personnes. « de distinction qui sont très-charitables; « j'ai été les trouver, et j'ai si bien su leur « inspirer de la compassion pour vous, «< que j'en ai tiré deux cents écus que je

« vais vous donner. » En même temps il entra dans son cabinet, d'où il sortit un moment après avec un sac de toile où il avait mis cette somme en argent, et non en doublons, de peur que le bourgeois, en recevant de lui tant de doubles pistoles, ne s'avisât de soupçonner la vérité; au lieu que par cette adresse il parvenait plus sûrement à son but, qui était de faire la restitution d'une manière qui conciliât sa réputation avec sa conscience.

« Aussi Ambroise était-il bien éloigné de penser que ces écus fussent de l'argent restitué il les prit de bonne foi pour le produit d'une quête faite en sa faveur, et après avoir remercié de nouveau don Pablos, il regagna sa petite salle basse, en bénissant le ciel d'avoir trouvé un cavalier qui s'intéressait pour lui si vivement.

« Il rencontra le lendemain dans la rue un de ses amis, qui n'était guère mieux que lui dans ses affaires, et qui lui dit : « Je pars dans deux jours pour aller m'em« barquer à Cadix, où bientôt un vaisseau « doit mettre à la voile pour la nouvelle «Espagne je ne suis pas content de ma << condition dans ce pays-ci, et le cœur me « dit que je serai plus heureux au Mexi<< que. Je vous conseillerais de m'accompa«gner, si vous aviez devant vous cent écus << seulement,

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