« avec elles: il les aide à se relever l'une << après l'autre. Ensuite il commence la << protase par ces vers : Priam va perdre Hector et sa superbe ville; Pousse vers Ilium ses immortels chevaux 1. « Je m'arrête, a poursuivi l'auteur tra« gique, pour vous laisser respirer un mo1. Hom, Lib. XIX. << ment; car si je vous récitais toute ma « scène de suite, la beauté de ma versifica«<tion et le grand nombre de traits bril<< lants et de pensées sublimes qu'elle con« tient vous suffoqueraient. Remarquez la << justesse de cette comparaison: Plus écla« tant qu'un feu que les villageois font.... «< Tout le monde ne sent point cela; mais << vous, qui avez de l'esprit, et du véritable, << vous en devez être enchanté. Je le suis «< sans doute, a répondu l'auteur comique «< en souriant d'un air malin; rien n'est si «< beau, et je suis persuadé que vous ne << manquerez pas de parler aussi dans votre tragédie du soin que Thétis prenait de <«< chasser les mouches troyennes qui s'ap<< prochaient du corps de Patrocle. - Ne << pensez pas vous en moquer, a répliqué « le tragique. Un poëte qui a de l'habileté << peut tout risquer : cet endroit -là est peut« être celui de ma pièce le plus propre à « me fournir des vers pompeux: je ne le «< raterai pas, sur ma parole. << Tous mes ouvrages, a-t il continué sans façon, sont marqués au bon coin; « aussi, quand je les lis, il faut voir comme << on les applaudit! je m'arrête à chaque « vers pour recevoir des louanges. Je me « souviens qu'un jour je lisais à Paris « une tragédie dans une maison où il va « tous les jours de beaux esprits à l'heure « du dîner, et dans laquelle, sans vanité, « je ne passe pas pour un Pradon: la grande <«< comtesse de Vieille-Brune y était; elle a « le goût fin et délicat; je suis son poëte << favori. Elle pleurait à chaudes larmes dès « la première scène; elle fut obligée de <«< changer de mouchoir au second acte; « elle ne fit que sanglotter au troisième; <«< elle se trouva mal au quatrième, et je « crus, à la catastrophe, qu'elle allait mou<< rir avec le héros de ma pièce. » « A ces mots, quelque envie qu'eût l'auteur comique de garder son sérieux, il lui est échappé un éclat de rire. « Ah! que je << reconnais bien, dit-il, cette bonne com<< tesse à ce trait-là: c'est une femme qui « ne peut souffrir la comédie; elle a tant « d'aversion pour le comique, qu'elle sort « ordinairement de sa loge après la grande «< pièce, pour emporter toute sa douleur. << La tragédie est sa belle passion: que << l'ouvrage soit bon ou mauvais, pourvu « que vous y fassiez parler des amants mal<< heureux, vous êtes sûr d'attendrir la «dame. Franchement, si je composais des « poëmes sérieux, je voudrais avoir d'autres << approbateurs qu'elle. «<-Oh! j'en ai d'autres aussi, dit le poëte « tragique; j'ai l'approbation de mille per « sonnes de qualité, tant mâles que fe« melles...Je me défierais encore du suf frage de ces personnes-là, interrompit « l'auteur comique: je serais en garde << contre leurs jugements. Savez-vous bien « pourquoi? C'est que ces sortes d'auditeurs « sont distraits, pour la plupart, pendant << une lecture, et qu'ils se laissent prendre « à la beauté d'un vers, ou à la délicatesse « d'un sentiment: cela suffit pour leur faire «<louer tout un ouvrage, quelque impar<< fait qu'il puisse être d'ailleurs. Tout au «< contraire, entendent-ils quelques vers << dont la platitude ou la dureté leur blesse « l'oreille, il ne leur en faut pas davantage « pour décrier une bonne pièce. «Hé bien ! a repris l'auteur sérieux, « puisque vous voulez que ces juges-là me << soient suspects, je m'en fie donc aux ap<< plaudissements du parterre. - Hé! ne « me vantez pas, s'il vous plaît, votre par« terre, a repliqué l'autre: il fait paraître « trop de caprice dans ses décisions. Il se « trompe quelquefois si lourdement aux « représentations des pièces nouvelles, qu'il << sera des deux mois entiers sottement << enchanté d'un mauvais ouvrage. Il est « vrai que dans la suite l'impression le désabuse, et que l'auteur demeure désho« noré après un heureux succès. «< C'est un malheur qui n'est pas à « craindre pour moi, a dit le tragique; on « réimprime mes pièces aussi souvent « qu'elles sont représentées. J'avoue qu'il << n'en est pas de même des comédies; l'im<< pression découvre leur faiblesse : les co«<médies n'étant que des bagatelles, que de « petites productions d'esprit... - Tout << beau, monsieur l'auteur tragique, inter<< rompit l'autre, tout beau! vous ne son<< gez pas que vous vous échauffez; parlez, « de grâce, devant moi, de la comédie avec << un peu moins d'irrévérence. Pensez-vous << qu'une pièce comique soit moins difficile « à composer qu'une tragédie? Détrompez<< vous: il n'est pas plus aisé de faire rire << les honnêtes gens que de les faire pleurer. << Sachez qu'un sujet ingénieux dans les « mœurs de la vie ordinaire ne coûte pas « moins à traiter que le plus beau sujet a héroïque. «<-Ah! parbleu, s'écrie le poëte sérieux «< d'un ton railleur, je suis ravi de vous « entendre parler dans ces termes. Hé « bien, monsieur Calidas, pour éviter la << dispute, je veux désormais autant esti« mer vos ouvrages que je les ai méprisés « jusqu'ici. Je me soucie fort peu de vos « mépris, monsieur Giblet, reprend avec « précipitation l'auteur comique; et pour |