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pour son maître, chez qui l'on employa ce nouvel esclave à travailler dans les jardins du harem1. Cette occupation, quoique pénible pour un gentilhomme, ne laissa pas de lui être agréable, à cause de la solitude qu'elle demandait. Dans la situation où il se trouvait, rien ne pouvait le flatter davantage que la liberté de s'occuper de ses malheurs. Il y pensait sans cesse, et son esprit, loin de faire quelque effort pour se détacher des images les plus affligeantes, semblait prendre plaisir à se les retracer.

« Un jour que, sans apercevoir le dey qui se promenait dans le jardin, il chantait une chanson triste en travaillant, Mezomorto s'arrêta pour l'écouter: il fut assez content de sa voix, et, s'approchant de lui par curiosité, il lui demanda comme il se nommait le Tolédan lui répondit qu'il s'appelait Alvaro. En entrant chez le dey, il avait jugé à propos de changer de nom, suivant la coutume des esclaves, et il avait pris celui-là parce qu'ayant continuellement dans l'esprit l'enlèvement de Théodora par Alvaro Ponce, il lui était venu à la bouche plutôt qu'un autre. Mezomorto,

1. C'est le nom que l'on donne à tous les sérails des particuliers; il n'y a que le sérail du grand seigneur qui soit appelé sérail.

qui savait passablement l'espagnol, lui fit plusieurs questions sur les coutumes d'Espagne, et particulièrement sur la conduite que les hommes y tiennent pour se rendre agréables aux femmes, à quoi don Juan répondit d'une manière dont le dey fut très-satisfait.

« Alvaro, lui dit-il, tu me parais avoir << de l'esprit, et je ne te crois pas un homme « du commun; mais, qui que tu puisses « être, tu as le bonheur de me plaire, et je << veux t'honorer de ma confiance. » Don Juan, à ces mots, se prosterna aux pieds du dey, et se leva après avoir porté le bas de sa robe à sa bouche, à ses yeux, et ensuite sur sa tête.

« Pour commencer à t'en donner des « marques, reprit Mezomorto, je te dirai « que j'ai dans mon sérail les plus belles fem<< mes de l'Europe. J'en ai une entr'autres « à qui rien n'est comparable; je ne crois « pas que le grand seigneur même en pos<< sède une si parfaite, quoique ses vaisseaux « lui en apportent tous les jours de tous les << endroits du monde. Il semble que son « visage soit le soleil réfléchi, et sa taille << paraît être la tige du rosier planté dans « le jardin d'Eram. Tu m'en vois enchanté.

<< Mais ce miracle de la nature, avec une « beauté si rare, conserve une tristesse

« mortelle, que le temps et mon amour ne << sauraient dissiper. Bien que la fortune l'ait << soumise à mes désirs, je ne les ai point en«< core satisfaits; je les ai toujours domptés, « et, contre l'usage ordinaire de mes pa«reils, qui ne recherchent que le plaisir « des sens, je me suis attaché à gagner son <«< cœur par une complaisance et par des << respects que le dernier des Musulmans << aurait honte d'avoir pour une esclave «< chrétienne.

<< Cependant tous mes soins ne font « qu'aigrir sa mélancolie, dont l'opiniâ« treté commence enfin à me lasser. L'idée << de l'esclavage n'est point gravée dans l'es<< prit des autres avec des traits si profonds: mes regards favorables l'ont bientôt ef<< facée; cette longue douleur fatigue ma « patience. Toutefois, avant que je cède à « mes transports, il faut que je fasse un << effort encore: je veux me servir de ton << entremise. Comme l'esclave est chré<< tienne, et même de ta nation, elle pourra << prendre de la confiance en toi, et tu la << persuaderas mieux qu'un autre. Vante-lui « mon rang et mes richesses; représente« lui que je la distinguerai de toutes mes << esclaves; fais-lui même envisager, s'il le « faut, qu'elle peut aspirer à l'honneur « d'être un jour la femme de Mezomorto,

«ct dis-lui que j'aurai pour elle plus de «< considération que je n'en aurais pour une << sultane dont Sa Hautesse voudrait m'of« frir la main. >>

« Don Juan se prosterna une seconde fois devant le dey, et, quoique peu satisfait de cette commission, l'assura qu'il ferait tout son possible pour s'en bien acquitter. « C'est assez, répliqua Mezomorto; aban<< donne ton ouvrage et me suis je vais, «< contre nos usages, te faire parler en par<< ticulier à cette belle esclave. Mais crains « d'abuser de ma confiance: des supplices «< inconnus aux Turcs mêmes puniraient ta « témérité. Tâche de vaincre sa tristesse, « et songe que ta liberté est attachée à la << fin de mes souffrances. » Don Juan quitta son travail et suivit le dey, qui avait pris les devants pour aller disposer la captive affligée à recevoir son agent.

<< Elle était avec deux vieilles esclaves, qui se retirèrent d'abord qu'elles virent paraître Mezomorto. La belle esclave le salua avec beaucoup de respect; mais elle ne put s'empêcher de frémir, ce qui lui arrivait toutes les fois qu'il s'offrait à sa vue. Il s'en aperçut, et pour la rassurer : << Aimable «< captive, lui dit-il, je ne viens ici que pour « vous avertir qu'il y a parmi mes esclaves << un Espagnol que vous serez peut-être bien

<< aise d'entretenir: si vous souhaitez de le « voir, je lui accorderai la permission de « vous parler, et même sans témoins. »

« La belle esclave témoigna qu'elle le voulait bien. « Je vais vous l'envoyer, re« prit le dey: puisse-t-il par ses discours « soulager vos ennuis! » En achevant ces paroles, il sortit, et, rencontrant le Tolédan qui arrivait, il lui dit tout bas: «Tu « peux entrer; et après que tu auras entre<< tenu la captive, tu viendras dans mon << appartement me rendre compte de cet

« entretien. >>

<< Zarate entra aussitôt dans la chambre, poussa la porte, salua l'esclave sans attacher ses yeux sur elle, et l'esclave reçut son salut sans le regarder fixement; mais venant tout à coup à s'envisager l'un l'autre avec attention, ils firent un cri de surprise et de joie. « O ciel! dit le Tolédan « en s'approchant d'elle, n'est-ce point une image vaine qui me séduit? Est-ce en effet « dona Théodora que je vois? - Ah! don « Juan, s'écria la belle esclave, est-ce vous « qui me parlez? Oui, Madame, répon<< dit-il en baisant tendrement une de ses « mains, c'est don Juan lui-même. Recon<«< naissez-moi à ces pleurs que mes yeux, «< charmés de vous revoir, ne sauraient a retenir, à ces transports que votre pré

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