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« des premiers officiers de la Porte... « J'en demeure d'accord, interrompit le << dey; je pourrais même aspirer à la fille <«< du grand-visir, et me flatter de succéder « à l'emploi de mon beau-père; mais j'ai << des richesses immenses et peu d'ambi« tion. Je préfère le repos et les plaisirs « dont je jouis ici au vizirat, à ce dange«< reux honneur où nous ne sommes pas

plus tôt montés, que la crainte des sul«tans, ou la jalousie des envieux qui les ap<< prochent, nous en précipite. D'ailleurs, a j'aime mon esclave, et sa beauté la rend << assez digne du rang où ma tendresse « l'appelle.

« Mais il faut, ajouta-t-il, qu'elle change « aujourd'hui de religion, pour mériter « l'honneur que je veux lui faire. Crois-tu « que des préjugés ridicules le lui fassent « mépriser ? - Non, seigneur, répartit « don Juan; je suis persuadé qu'elle sacri<< fiera tout à un rang si beau. Permetteza moi pourtant de vous dire que vous ne « devez point l'épouser brusquement: ne « précipitez rien. Il ne faut pas douter que a l'idée de quitter une religion qu'elle a « sucée avec le lait ne la révolte d'abord: << donnez-lui le temps de faire des réflexions. « Quand elle se représentera qu'au lieu de « la déshonorer et de la laisser tristement

«vieillir parmi le reste de vos captives, vous l'attachez à vous par un mariage qui « la comble de gloire, sa reconnaissance et «sa vanité vaincront peu à peu ses scrua pules. Différez de huit jours seulement « l'exécution de votre dessein. >>

« Le dey demeura quelque temps rêveur: le délai que son confident lui proposait n'était guère de son goût; néanmoins le conseil lui parut fort judicieux. « Je cède à << tes raisons, Alvaro, lui dit-il, quelque « impatience que j'aie de posséder l'esclave; « j'attendrai donc encore huit jours: va la << voir tout à l'heure, et la dispose à rem« plir mes désirs après ce temps-là. Je veux « que ce même Alvaro qui m'a si bien servi « auprès d'elle ait l'honneur de lui offrir << ma main. »

<«< Don Juan courut à l'appartement de Théodora, et l'instruisit de ce qui venait de se passer entre Mezomorto et lui, afin qu'elle se réglât là-dessus. Il lui apprit aussi que dans six jours le vaisseau du renégat serait prêt; et comme elle témoignait être fort en peine de savoir de quelle manière elle pourrait sortir de son appartement, attendu que toutes les portes des chambres qu'il fallait traverser pour gagner l'escalier étaient bien fermées : « C'est << ce qui doit peu vous embarrasser, Ma

« dame, lui dit-il; une fenêtre de votre ca«binet donne sur le jardin; c'est par là que « vous descendrez, avec une échelle que « j'aurai soin de vous fournir. »

«En effet, les six jours s'étant écoulés, Francisque avertit le Tolédan que le renégat se préparait à partir la nuit prochaine. Vous jugez bien qu'elle fut attendue avec beaucoup d'impatience. Elle arriva enfin, et, pour comble de bonheur, elle devint très-obscure. Dès que le moment d'exécuter l'entreprise fut venu, don Juan alla poser l'échelle sous la fenêtre du cabinet de la belle esclave, qui l'observait, et qui descendit aussitôt avec beaucoup d'empressement et d'agitation: ensuite elle s'appuya sur le Tolédan, qui la conduisit vers la petite porte du jardin qui ouvrait sur la mer.

«Ils marchaient tous deux à pas précipités, et goûtaient déjà par avance le plaisir de se voir hors d'esclavage: mais la Fortune, avec qui ces amants n'étaient pas encore bien réconciliés, leur suscita un malheur plus cruel que tous ceux qu'ils avaient éprouvés jusqu'alors, et celui qu'ils auraient le moins prévu.

« Ils étaient déjà hors du jardin, et ils s'avançaient sur le rivage pour s'approcher de l'esquif qui les attendait, lorsqu'un homme qu'ils prirent pour un compa

gnon de leur fuite, et dont ils n'avaient aucune défiance, vint tout droit à don Juan l'épée nue, et la lui enfonçant dans le scin: « Perfide Alvaro Ponce, s'écria-t-il, c'est << ainsi que don Fadrique de Mendoce doit << punir un lâche ravisseur : tu ne mé«rites point que je t'attaque en brave << homme. >>

« Le Tolédan ne put résister à la force du coup, qui le porta par terre: et en même temps, dona Théodora, qu'il soutenait, saisie à la fois d'étonnement, de douleur et d'effroi, tomba évanouie d'un autre côté. << Ah! Mendoce, dit don Juan, qu'avez-vous << fait? C'est votre ami que vous venez de << percer. Juste ciel, reprit don Fadrique, << serait-il bien possible que j'eusse assaş« siné!...-Je vous pardonne ma mort, in<< terrompit Zarate; le destin seul en est « coupable, ou plutôt il a voulu par là finir << nos malheurs. Oui, mon cher Mendoce, « je meurs content, puisque je remets << entre vos mains dona Théodora, qui peut « vous assurer que mon amitié pour vous << ne s'est jamais démentie.

« Trop généreux ami, dit don Fadri« que emporté par un mouvement de << désespoir, vous ne mourrez point seul; « le même fer qui vous a frappé va punir « votre assassin: si mon erreur peut faire

<< excuser mon crime, elle ne saurait m'en << consoler.» A ces mots, il tourna la pointe de son épée contre son estomac, la plongea jusqu'à la garde, et tomba sur le corps de don Juan, qui s'évanouit, moins affaibli par le sang qu'il perdait que surpris de la fureur de son ami.

« Francisque et le renégat, qui étaient à dix pas de là, et qui avaient eu leurs raisons pour n'aller pas secourir l'esclave Alvaro, furent fort étonnés d'entendre les dernières paroles de don Fadrique, et de voir sa dernière action. Ils connurent qu'il s'était mépris, et que les blessés étaient deux amis, et non de mortels ennemis, comme ils l'avaient cru; alors ils s'empressèrent à les secourir; mais, les trouvant sans sentiment, aussi bien que Théodora, qui était toujours évanouie, ils ne savaient quel parti prendre. Francisque était d'avis que l'on se contentât d'emporter la dame, et qu'on laissât les cavaliers sur le riyage, où, selon toutes les apparences, ils mourraient bientôt, s'ils n'étaient déjà morts. Le renégat ne fut pas de cette opinion: il dit qu'il ne fallait point abandonner les blessés, dont les blessures n'étaient peutêtre pas mortelles, et qu'il les panserait dans son vaisseau, où il avait tous les instruments de son premier métier, qu'il n'avait

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