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parce que perfonne ne faifoit de mê- Le Brutus me. De tous ceux qui parloient alors de Ciceron. en public, aucun ne paroiffoit avoir étudié ni les belles Lettres, qui font la vraye fource de l'Eloquence; ni la Philofophie, qui eft la mere, pour ainfi dire, de tout bien; ni le Droit civil & public, qui néanmoins eft fi neceffaire; ni l'Hiftoire, qui nous enrichit des exemples de l'antiquité. Aucun n'avoit cette force de raisonnement qui fait la base de l'Eloquence; aucun n'avoit ces adreffes qui embarraffent un adverfaire, & le démontent; aucun n'avoit le talent d'égayer & de divertir les Juges, ou de ramener les faits aux queftions, ni de faire des digreffions à ni enfin d'exciter des mouvemens qui fuffent convenables à la cause.

propos,

Ciceron n'en dit pas davantage; il ne dit point qu'il eût ce que les autres n'avoient pas, parce qu'il ne veut pas parler de lui-même ; mais on l'entend, & l'on conçoit facilement qu'il avoit lû tous les Órateurs Grecs & Latins ; l'on voit même par fes écrits, qu'il avoit toutes les rares qualitez qui manquoient aux autres. Il ne faut donc pas s'étonner fi fa réputation alloit tou

Le Brutus jours en augmentant. Au lieu qu'ou de Ciceron tre la négligence d'Hortenfus, une autre chofe contribua encore à le faire moins eftimer. C'eft que le ftyle qu'il avoit cultivé dans fes premieres années, ne convenoit point à un âge plus avancé, & il le conferva toujours. Il ne s'en défit jamais; c'étoit le ftyle Afiatique. On en diftingue de deux fortes; l'un eft fleuri dans les penfées, l'autre eft plus vif dans l'expreffion; & ils marquent tous deux plus d'efprit que de folidité. On l'admiroit dans la jeuneffe d'Hortenfius. Dans fa vieilleffe on s'en mocquoit. Que dis-je ? on s'indignoit même qu' un homme de fon âge, un Confulaire, donnât dans ces puerilitez. Ajoutez que fa négligence étoit caufe que fa diction n'étoit plus fi travaillée. Tout cela le fit tomber, pour fervir d'exemple à ceux qui veulent fe foûtenir, & pour leur apprendre ce qu'ils doivent faire.

Ce détail m'a paru important, foit parce que la conduite de ces grands Hommes peut fervir à regler la nôtre; foit parce qu'il étoit à propos que l'on connût un peu & les principaux Interlocuteurs des Dialogues dont j'ai

ci-devant parlé, & le Prince des Orateurs qui a compofé ces beaux ouvrages, auffi-bien que celui-ci, & trois ou quatre autres dont je vais parler.

L'ORATEUR

DE CICERON.

de Ciceron.

ORATEUR de Ciceron eft ainfi L'Orateur nommé par excellence, parce que c'eft l'idée de l'Orateur parfait, lequel, felon Ciceron même (1), n'est peut être qu'un Orateur en idée : car ce n'eft pas d'aprés quelque Orateur particulier qu'il le forme l'idée qu'il en donne: mais c'eft d'aprés cette idée qu'il voudroit former un Orateur. De la même maniere que les ouvrages dans tous les Arts (2), font d'aprés l'idée qu'en a l'ouvrier, qui conçoit toujours, s'il eft habile, un degré de perfection où rien ne manque, où l'on

(1) Non enim quæro Orator quis fuerit, fed quid fit illud, quo nihil poffit effe præftantius. In Orat n.7

(2) Ut in formis & figuris eft aliquid perfectum & excellens, cujus ad excogitatam fpeciem imitando re

L'Orateur ne peut rien ajoûter, que rien de ce de Ciceron qui tombe fous les fens n'exprime,

Ibid.

ni ne fauroit parfaitement exprimer,

& où pourtant un efprit fublime doit toujours tendre.

Dans une méthode fi relevée, Ciceron marche fur les traces de Platon (3), qui remontoit toujours aux idées comme aux principes intelligibles, éternels & immuables de toutes choses. Sa raison eft, que ce qu'il a d'Eloquence, il le doit aux Philofophes, & non pas aux Rhétoriciens. Il entend par les Rhétoriciens, les Maîtres qui ne donnent que des préceptes, comme fi tout en dépendoit; il entend par les Philofophes, ceux qui fur des matieres d'usage, faifoient faire à leurs difciples des difcours polis & étudiez à quoi il ajoûte deux chofes (4); l'une, que Caton ne feroit jamais devenu Orateur parmi les Stoïciens, dont il avoit embraffé la Seête, fi aprés avoir cultivé avec eux

:

feruntur ea quæ fub
oculos cadunt. Ibid.

2. 9.

(3) Has rerum formas appellat ideas ille non intelligendi

folum, fed etiam dicendi graviffimus AuEtor & Magifter Plato. Ibid. n. 10.

(4) Tuus avunculus [ Cato] quemad

la jufteffe du raisonnement, il n'avoit L'Orateur appris de la Rhétorique l'art de s'é. d: Ciceron. tendre fur les matieres, & de les orner: l'autre eft, (s) qu'encore qu'il faille à l'Orateur une Philofophie d'ufage, où l'on joigne la beauté du difcours à la beauté de la matiere, il y a pourtant un degré de perfection que cette Philofophie même ne lui donne pas, & qu'on ne peut prendre que dans l'étude & l'exercice de l'Art oratoire. C'est ainfi que Ciceron s'explique dans fon livre des Orateurs illuftres, qui eft le Brutus que nous venons de voir. Revenons à l'idée qu'il veut donner de l'Orateur.

C'eft fur une pareille idée, qu'Antoine (6) avoit dit avant lui, qu'il n'avoit point vû d'Orateurs ; c'est-à

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do, cum fuavitate di

tem adhuc neminem.

corumque confuetu- L. 1. de Orat. n. 94.

in Orat, n. 18.

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