A U R. P. BRUMO Y; Auteur du Théâtre des Grecs.
Ui, cher Brumoy, ton immortel Ouvrage Va déformais diffiper le nuage,
Où parmi nous le Théâtre avili, Depuis trente ans femble être enfeveli; Et l'éclairant de ta propre lumiére, Lui rendre enfin fa dignité premiére. De fes débris zélé reftaurateur, Et chez les Grecs hardi navigateur, Toi feul as fçû dans ta pénible courfe De fes beautés nous déterrer la fource, Et démêler les détours finueux, De ce Délale oblique & tortueux, Ouvert jadis par la fœur de Thalie Aux feuls auteurs du Cid & d'Athalie, Mais après eux, hélas ! abandonné Au goût pervers d'un fiécle efféminé : Qui ne prenant pour confeil & pour guide Que les leçons de Tibulle & d'Ovide, Et n'eftimant dignes d'être applaudis Que des héros par l'amour affadis, Nous à produit cette foule incommode D'Auteurs glacés, qui féduits par la mode N'expofent plus à nos yeux fatigués Que des romans en vers dialogués ;
Et d'un fatras de rimes accolées Affaifonnant leurs fadeurs ampoulées, Semblent vouloir par d'immuables loix Borner tout l'art du théatre François A commencer dans leurs fcènes dolentes Du doux Quinaut les Pande&tes galantes. Mais de ce style éflanqué, fans vigueur, J'aime encor mieux l'infipide langueur, Que l'emphatique & burlesque étalage D'un faux fublime enté fur l'affemblage De ces grands mots, clinquant de l'oraifon Enflés de vent & vuides de raifon, Dont le concours difcordant & barbare N'eft qu'un vain bruit, une fotte fanfare, Et qui par force & fans choix enrollés Hurlent d'effroi de fe voir accouplés, Ce n'eft pourtant que fur ces balivernes Qu'un fol effain d'Euripides modernes, Creux au dedans, bourfoufiés au dehors, S'eft mis en droit, prodiguant fes accords, D'importuner de fa voix imbécille Et le théatre, & la cour, & la villle.
Quoi! diras-tu, ce privilége exquis D'un vœu commun leur feroit-il acquis? Le goût public auroit-il par mégarde Reçu fa loi du leur Dieu nous en garde, 11 eft encore des juges éclairés, Des efprits fains, & des yeux épurés, Pour difcerner par un choix équitable L'or de billon d'avec l'or véritable; N'en doutons point: mais à parler fans fard, Leur petit nombre extrait & mis à part, Que refte-t-il qu'un tas de vains Critiques, D'efprits légers, de cerveaux fantastiques, Du faux mérite orateurs dominans, Fades loueurs, cenfeurs impertinens a
Comptant pour rien jufteffe, ordre, harmonie, Et confondant fous le nom de génie Tout mot nouveau, tout trait alambiqué, Tout fentiment abftrait, fophiftiqué, Toute morale infipide & glacée, 3 Toute fubtile & frivole penfée; 3 Du fens commun déclarés ennemis, [ Et de l'efprit adorateurs foumis:
Car c'est l'efprit fur-tout qui enforcelle Nos raifonneurs à petite cervelle, Linx dans le rien, taupes dans le réel; Dont l'œil aigu, perçant, furnaturel, Voyant à plein mille taches pour une Dans le foleil, n'en voit point dans la lune. Voilà quel eft le tribunal prudent De nos prévôts du Pinde. Cependant Si devant eux commençant fa carriére, D'un jeune Auteur la Mufe avanturiére Vient à s'ouvrir quelque obligeant accès, Et peut enfin par un heureux fuccès Dans les rayons de ces grands météores Faire briller fes débiles phofphores, Dieu fçait l'orgueil où promt à fe flater Notre étourdi va fe précipiter. C'étoit d'abord un afpirant timide; C'eft maintenant un docteur intrépide: Et non content d'inonder tout Paris D'un Océan de perfides écrits,
Et d'étouffer fes Libraires crédules Sous des monceaux de papiers ridicules, Tels qu'on pourroit, fi la Cour des neuf Sœurs Pour la police avoit fes Affeffeurs,
Ses Sanhedrins & fes Aréopages,
Le brûler vif dans fes propres ouvrages; En fes accès je ne vous réponds pas Qu'ayant déja mis le bon fens à bas,
Il n'entreprenne avec la même audace De renverser tout l'ordre du Parnasse, Et que la Rime attaquée en fon fort De la raifon n'éprouve auffi le fort. Et pourquoi non? N'a-t-il pas fes Alcides ? Et fans compter tant d'illuftres ftupides, Tant d'aigrefins fur le Parnaffe errans, Et tant d'Abbés doctement ignorans ; Pour s'épauler d'un garant moins indigne, Ne peut-il pas citer l'exemple infigne D'un nourriffon du Parnasse avoué, Qui quelquefois dans fon style enjoué Scut accorder, quoiqu'avec retenue Quelque licence à fa Muse ingénue? Oui, j'en conviens: mais pour t'humilier, Apprends de moi, fourcilleux écolier, Que ce qu'on fouffre, encore qu'avec peine, Dans un Voiture ou dans un La Fontaine, Ne peut paffer, malgré tes beaux difcours, Dans les effais d'un rimeur de deux jours: Que la licence, humble, abje&e & foumife, Au rang des loix ne fçauroit être admife: Qu'un fage Auteur qui veut fe faire un nom Peut en ufer; mais en abufer, non;
Et que jamais, quelque appui qu'on lui prête, Mauvais Rimeur n'a fait un bon Poéte. Que La Fontaine ait donc, je le veux bien, De quelque régle étendu le lien; Pour abolir toute loi prononcée, En eft-ce affez de l'avoir tranfgreffée ? Et puis d'ailleurs, par où t'es-tu flaté Qu'en l'imitant par fon mauvais côté, Tu tireras de ta chétive Mufe
Tout l'excellent qui lui tient lieu d'excufe? Tfouveras-tu, raifonnons de fang froid, Dans les tiroirs de tongéni e étroit
Ces grands pinceaux dont fa main toujours fûre Peignit fi bien les traits de la nature? Sçauras-tu, dis-je, ayant bien confulté Son coloris & fa naïveté,
Dans tes tableaux, fous cent nouvelles faces, Nous préfenter toujours les mêmes graces, Et comme lui par cet art enchanteur Trouver la clef de l'ame du le&cur? Bon, dira-t-il: le plaifant paralelle ! Le bel emploi pour ma lyre immortelle ! Outre qu'il eft d'un maître tel que moi De ne connoître autre guide que foi, De s'éloigner des routes anciennes, Et de n'avoir de régles que les fiennes, J'ai pris un vol qui m'élève au-deffus De la nature & des communs abus; Et le bons fens, la jufteffe & la rime Dégraderoient mon tragique fublime. Si ce n'eft-là fa réponse, du moins C'est sa pensée; & j'en ai pour témoins Ces vers bouffis où fa Mufe hydropique Nous dévelope en ftyle magnifique Tout le phébus qu'on reproche à Brebeuf, Enguenillé des rimes du Pont-Neuf. Déja tout fier de fon propre fuffrage, En plein théatre étalant fon plumage, Il fe panade, & voit le ciel ouvert Dans fon azur au grand jour découvert. Et par hazard fi quelque aftre propice Vient s'en mêler, & fait entrer en lice]; Pour l'appuyer, quelque étourneau titré, Quelque veau d'or par Plutus illuftré, Ou quelque Fée autrefois Sœur profeffe Dans Amathonte, aujourd'hui Mere Abeffe; Incontinent vous l'allez voir s'enfler De tout le vent que peut faire fouffler
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