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à-dire dans le mauvais françois qu'on parloit alors. Les auteurs de l'Histoire littéraire de la France observent que les fictions furent chez les Grecs les fruits de la politesse, et chez les François les fruits de la grossièreté; mais avons-nous les premières fictions vraisemblablement assez grossières des Grecs, et la postérité connoîtra-t-elle d'autres fictions des François que celles qui lui seront recommandées par le goût et par le génie ?

Gerbert parut comme un phénomène dans ce siècle; il avoit été en Espagne, où il avoit tiré des Sarrasins toutes les lumières qu'ils étoient en état de fournir;

revenu en France, il eut pour disciple le roi Robert, Hist. Litt. fils de Hugues Capet, il en eut dans la suite un autre de la France, non moins auguste, l'empereur Othon III. Gerbert

t. 6.

étoit mathématicien, le peuple (1) le crut magicien ; il devint pape, le peuple dit qu'il avoit fait un pacte avec le diable. Ce fut lui, à ce qu'on croit, qui introduisit en France le chiffre arabe ou indien, que les Sarrasins lui avoient fait connoître. Ce fut lui aussi qui construisit la première horloge à roue. Avant d'être pape, sous le nom de Sylvestre II, il fut archevêque de Reims, puis de Ravenne; ce changement de siéges dont les noms commencent tous par la lettre R, Reims, Ravenne, Rome, a donné lieu à ce

vers connu :

Transit ab R. Gerbertus ad R., fit Papa Regens R.

Dans le dixième siècle, c'étoit apparemment une grande marque d'amour pour les lettres que de chanter

(1) Il faut observer que ce peuple est le peuple des auteurs.

au lutrin, puisque Foulques le Bon, comte d'Anjou, qui étoit dans cet usage, ayant appris que le roi Louis d'Outre-mer, en faisoit des plaisanteries, lui écrivit Sachez, Sire, qu'un prince non lettré est un áne couronné.

Le roi Robert, prince lettré, chantoit toujours avec le chœur; souvent même il portoit chappe la couronne sur la tête et le sceptre à la main. En général, on s'occupoit beaucoup alors de la liturgie.

TROISIÈME RACE.

Onzième siècle.

Nous pouvons mettre à la tête des savans du onzième siècle ce même roi Robert, disciple de Gerbert, il passe pour auteur de plusieurs hymnes et de la prose de la Pentecôte: Veni Sancte Spiritus (1), titres littéraires pour le siècle.

On dit que la reine Constance sa femme, qui exerça tant sa patience et celle de Henri I leur fils, le pressant de faire des vers à sa louange, il fit l'hymne O Constantia Martyrum! qui la satisfit, parce que n'entendant pas le latin, elle fut trompée par le premier mot. Cette reine introduisit à la Cour de France les Troubadours ou poètes provençaux, qui, dès le siècle précédent avoient paru à la Cour du comte Guillaume I son père. Les Troubadours qui faisoient des vers dans leur langue, apprirent aux François à en faire dans la leur; ils leur enseignèrent, ainsi qu'aux Italiens, ce

(1) Quelques auteurs attribuent cette prose au pape Innocent III.

qui regarde la mesure et la rime; mais les Troubadours eux-mêmes ne brillèrent de tout leur éclat qu'au douzième et au treizième siècles. La Picardie vers le même temps eut aussi ses poètes qui ne cédoient point aux Provençaux.

Les conquêtes des François portèrent leur langue en diverses contrées. Guillaume le Conquérant, ce prince ami des lettres et des lois, la fit passer avec lui en Angleterre, il voulut que les lois dont cette nation lui fut redevable, fussent écrites en françois. Cette langue s'étendit jusque dans l'Asie, par le moyen des Croisades. Godefroy de Bouillon la faisoit parler en Palestine, quand il en étoit roi, et nous avons encore en langue romance, c'est-à-dire en vieux françois, les Coutumes ou Assises de Jérusalem, mais elles n'ont été rédigées qu'au quatorzième siècle.

Au onzième, Gauzlin, archevêque de Bourges, frère bâtard du roi Robert, composa quelques écrits, monumens de la physique de son temps. On exalte la capacité de Gervais, archevêque de Reims et chancelier de France, qui prétendoit que la dignité de chancelier étoit attachée au siége de Reims, parce que quelques archevêques de Reims avoient été chanceliers de France. Les œuvres d'Yves de Chartres et

de Fulbert, l'un de ses prédécesseurs, sont connues, Hist. Littér. ainsi que les histoires de Sigebert, moine de Gemde la France, blours, de Glaber et de Helgaud, l'un moine de Cluny, l'autre de Fleury. M. l'abbé Le Bœuf a fait connoître le poète Fulcoïus.

t. 7.

Il faut compter parmi les gens de lettres de ce siècle le fameux archidiacre d'Angers, Bérenger, `et

son adversaire, non moins fameux, Lanfranc, abbé de Saint-Etienne de Caen, et Hildebert de Lavardin, évêque du Mans, puis archevêque de Tours, disciple et admirateur de Bérenger, et qui pourtant a écrit contre lui. La grande réputation d'Hildebert, alors balancée par celle de Marbode, évêque de Rennes, est attestée par ces deux mauvais vers :

Inclytus et prosá versuque per omnia primus,
Hildebertus olet prorsùs ubique rosam.

Bérenger son maître passoit pour l'homme le plus séduisant de ce siècle. Ses contemporains célèbrent beaucoup plus les charmes de sa conversation que le mérite de ses écrits; au reste, il n'eut d'un hérétique que l'erreur, il n'en eut point l'opiniâtreté; la douceur dont le pape Grégoire VII usa prudemment envers lui, le toucha et le convertit, il abjura ses erreurs, il vécut dans la pénitence, et mourut dans une grande réputation de sainteté.

Nous avons de Geoffroy, abbé de la Trinité de Vendôme, des épîtres et d'autres opuscules, qui lui assurent un rang parmi les écrivains de ce siècle. Nous avons aussi quelques ouvrages pieux de Pierre, chancelier de l'Eglise de Chartres, disciple de Fulbert, et un écrit d'un autre Pierre, moine de Maillezais, qui peut servir pour l'histoire du Poitou.

C'est dans ce même siècle que Grécie, comtesse d'Anjou, donna pour un seul recueil d'Homélies, deux cents brebis, un muid de froment, un muid de seigle, un muid de millet, et un certain nombre de peaux de martres; on peut juger par-là combien les livres étoient rares,

L'argumentation et ce qu'on appelle la théologie scolastique commençoit alors à prévaloir, grâce aux disputes continuelles contre les Hérétiques. Dès le huitième siècle, saint Jean de Damas avoit donné quelques préceptes de cet art; on dit qu'au dixième siècle le pape Agapet II voulut former des écoles d'argumentation. Jean Scot Erigène, dont nous avons parlé au neuvième siècle, excelloit dans cet art, et c'étoit apparemment par-là qu'il plaisoit à Charles le Chauve; mais rien n'avoit tant contribué aux progrès de la scolastique que la victoire remportée par Lanfranc sur Bérenger dans ce genre d'escrime.

Douzième siècle.

Pierre Lombard au douzième siècle donna un fondement encore plus solide à la théologie scolastique par ce livre fameux, qui lui a mérité le nom de Maitre des Sentences, et qui est à la théologie ce que les œuvres d'Aristote ont été si long-temps à la philosophie; c'est un corps de théologie, composé de passages des Pères, qui forment autant de sentences. Les plus grands théologiens, Albert, saint Thomas, saint Bonaventure, Guillaume Durand, Guillaume d'Auxerre, Gilles de Rome, Gabriel Major, Scot, Ockam, Estius, le pape Adrien VI, etc., ont commenté ce livre, comme s'il eût été d'un ancien, et telle étoit la réputation de Pierre Lombard, et tel le respect qu'inspiroit alors la réputation littéraire, que le prince Philippe, fils de Louis le Gros et frère de Louis le Jeune, étant élu évêque de Paris, céda cette grande place à Pierre Lombard qu'il en jugeoit plus

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