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qu'on s'exerçât beaucoup dans la poésie latine, on n'atteignit point alors cette perfection réservée sous Louis XIV aux Commire, aux la Rue, aux Rapin, aux Vanière et surtout aux Santeuil. Nos plus célèbres poètes latins sous François I, outre ceux qui ont déjà été nommés, sont Germain de Brie, Jules César Scaliger, Joachim du Bellay, Salmon Macrin, qu'on nommoit l'Horace moderne, surtout Nicolas Bourbon, que la Reine de Navarre donna pour maître à Jeanne d'Albret sa fille. Ses Nuga sont connues, son poème de la Forge est estimé.

En Italie, Sannazar, Fracastor, le Mantouan, Vida les effaçoient peut-être; car, quoiqu'en général, les poètes grecs et latins modernes doivent beaucoup se ressembler, même de siècle à siècle et de nation à nation, puisque tous ont les mêmes modèles, et qu'ils n'emploient point d'expressions ni presque d'idées qui ne soient dans ces modèles, un œil exercé aperçoit entre eux des différences. C'est la même chose en prose. Burigny, Les Italiens, du temps de François I, prétendoient. vie d'Eras- avoir seuls la manière cicéronienne, et ne l'accordoient qu'à Longueil parmi les François. Cette prétention au cicéronianisme étoit alors une des plus grandes sources de haine entre les gens de lettres. Les Cicéroniens méprisoient ceux qu'ils ne jugeoient pas tels, et ceux-ci les haïssoient.

me, t. 1.

Le mécanisme de la versification françoise n'étoit pas encore formé sous François I; les règles pour le mélange des rimes étoient ou ignorées ou négligées ; si l'entrelacement des rimes masculines et féminines étoit plus anciennement connu, comme on le prétend avec raison, il paroît aussi que les poètes le

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regardoient comme un joug dont ils cherchoient à s'affranchir. Marot dit que :

Jean le Maire Belgeois

Qui l'ame avoit d'Homère le Grégeois.

Lui apprit quelque chose qu'il appelle la coupe féminine; ce n'est pas sans doute cet entrelacement des rimes masculines et féminines, inventé avant lui et violé long-temps encore après lui; il paroît que c'étoit plutôt l'élision de l'e muet devant une voyelle. Jusque-là cet e muet, tantôt étoit compté pour rien, même devant une consonne, et tantôt formoit une syllabe, même devant une voyelle. Dans un recueil de différentes épîtres composées du temps de Louis XII ou de François I, sous les noms du seigneur de Craon, de Louys de la Trémoille, de sa femme, de sa maîtresse, l'e muet élidé par la voyelle suivante, est toujours marqué par une barre qui semble annoncer que cette élision étoit une invention nouvelle. L'hiatus étoit permis. Quelquefois l'e muet étoit encore placé sans élision et devant une consonne au repos de l'hémistiche; quelquefois on faisoit dépendre la rime féminine de la dernière syllabe, c'est-à-dire de la syllabe muette, au lieu de la faire dépendre tout à la fois de cette dernière syllabe, et de la voyelle de la syllabe précédente.

Poésie.

Indépendamment de ces défauts qu'on trouve plus Massieu, ou moins dans les poètes du temps de François I, et list. de la qui subsistèrent encore long-temps après, on imagina mille petits artifices pour dénaturer la langue et la poésie; on voulut admettre les pieds des Latins et des Grecs dans la poésie françoise, sans examiner si la

langue avoit une prosodie assez marquée pour cela; on fit en françois des vers dactyliques, spondaïques, alcaïques, saphiques, etc. On peut en voir des exemples dans Pasquier et ailleurs. De tout cela il ne nous est resté que le vers de dix syllabes, qui, (à une syllabe près), semble être le même que le vers phaleuque, vers boiteux, estropié, qui, mêlé avec des vers de douze et de huit syllabes, a toujours l'air traînant et prosaïque, mais dont l'irrégularité piquante, lorsqu'il est seul, a beaucoup d'agrément. C'est la mesure favorite des poètes du temps de François I.

Quant au fond des ouvrages et à la manière de traiter les sujets, des fictions d'une bizarrerie mesquine, le mélange des styles ou la plate uniformité d'un jargon uniquement naïf et qui se refuse à l'expression de toute idée noble, voilà les défauts du temps. L'homme de génie plie sa langue au caractère propré de son talent, et par-là il l'enrichit d'un caractère nouveau. Ainsi Malherbe et Balzac donnèrent au François une harmonie qu'il ne connoissoit pas; ainsi Corneille et Bossuet lui donnèrent une énergie fière, une concision sublime, des mouvemens, des élans dont on ne l'auroit pas cru susceptible. Chez Racine, le François devint la langue du cœur; la simplicité, la noblesse, l'élégance, la force, la chaleur, tous les caractères de l'éloquence, se fondirent, pour ainsi parler, dans son style, de manière que tous furent sentis et qu'aucun ne domina. La Fontaine redonna la prééminence au premier caractère qui avoit distingué la langue, je veux dire à la naïveté; mais il la rendit toujours ingénieuse et par - là toujours noble; il lui ôta toutes ces nuances du bas et du burlesque qui l'avoient défigu

rée. Marot, disoit-il, étoit son modèle; il est vrai que Marot fut, avant lui, non pas le plus naïf de tous nos poètes, car ils n'étoient tous que trop naïfs avant Marot, qui souvent l'est trop lui-même, mais celui qui sut le mieux être naïf avec décence; voilà ce qui distingue Marot, voilà le changement qu'il fit dans la langue; c'étoit moins un changement qu'un perfectionnement; le caractère dominant de la langue étoit embelli, mais elle n'acquéroit point de caractère nouveau; Marot ne réussit donc dans aucun des genres qui demandoient d'autres caractères; quand il voulut, par exemple, imiter Ovide dans les métamorphoses, Properce dans les élégies ou David dans les psaumes, il fut petit, foible, et devint bientôt burlesque, parce qu'il ne sut point élever la langue jusqu'aux caractères de noblesse ou de force que ces genres exigeoient; il excella dans les petits ouvrages où règnent la galanterie et la naïveté, dans les contes, les épigrammes, les madrigaux; son style s'adapta si naturellement à ces ingénieuses bagatelles qu'on crut long-temps qu'elles n'en admettoient point d'autre. Rousseau parmi nous prolongea cette erreur; il fallut, pour la dissiper, que la langue châtiée et perfectionnée produisît des chefs-d'œuvre en ce genre, et dans ces chefs-d'œuvre même, chez la Fontaine et d'autres auteurs excellens, on retrouve encore des traits de marotisme, qui, employés avec goût, ont des grâces particulières que n'auroit point un langage plus pur.

Marot sans doute n'a pas le ton de son sujet, lorsqu'à propos de la mort de la duchesse d'Angoulême, il fait cogner Cognac et rememorer à Remorentin cette perte, ni lorsque dans sa traduction des

psaumes

il jette ses souliers vieux, ni peut-être lorsqu'à propos d'une demoiselle la Roue, il dit à un roué :

Tu meurs sur la roue estant,

Et je meurs que je n'y puis être.

Si l'on ne veut que trouver dans Marot des exemples de mauvais goût, ils s'offriront à chaque page; mais choisissez les morceaux, et comparez Marot à tout ce qui le précède, vous verrez bientôt que les réputations qui passent à la postérité, sont rarement injustes. Quoi de plus joli, par exemple que le madrigal suivant? La Fontaine traduisant Anacréon n'a pas plus de grâces.

Amour trouva celle qui m'est amère

(Et j'y estois, j'en sais mieux le conte)
Bon jour, dit-il, bon jour, Vénus ma mère!
Puis, tout-à-coup il voit qu'il se mescompte,
Dont la couleur au visage lui monte,

D'avoir failly honteux Dieu sçait combien.
Non, non, amour, ce dis-je, n'ayez honte,
Plus clairvoyans que vous s'y trompent bien.

Ce vers sur une femme vertueuse et imposante

N'est-il

Je l'aime tant que je n'ose l'aimer.

pas encore bien fin et bien décent?

Ce trait si connu :

Mais puisqu'il faut être trompé,

Je ne veux l'être que par elle.

Ne diroit-on pas que l'épigramme suivante en auroit donné l'idée?

Demandez-vous qui me fait glorieux?
Héléne a dit, et j'en ai bien mémoire,
Que de nous trois elle m'aimoit le mieux.
Voilà pourquoi j'ai tant d'aise et de gloire.

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