Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Ne d'employer sa dextre valureuse

A par escrit ta loüenge coucher :
Mais il l'ha fait, pour autant qu'amoureuse
Tu as esté de ce qu'il tient plus cher.

Indépendamment de ce petit nombre de vers, ou disputés à François I ou insuffisans pour faire juger de son talent poétique, on trouve à la Bibliothèque du Roi un manuscrit des poésies de ce prince, tiré du cabinet de M. Chatre-Imbert de Cangé; le plus considérable des ouvrages contenus dans ce recueil est une lettre en prose et en vers que François I adresse de sa prison à une de ses maîtresses, soit la comtesse de Châteaubriand, soit quelque autre. C'est une espèce de petit poème épique qui contient l'histoire de sa malheureuse expédition dans le Milanès, et une description de la bataille de Pavie. La prose qu'on trouve au commencement n'est qu'un envoi, dont le ton triste et abattu convient fort à la situation de l'auteur. Il commence ainsi :

[ocr errors]

Ayant perdu l'occasion de plaisante escripture <<< et acquis oubliance de tout contentement, n'est de«< mouré riens vivant en ma mémoire, que la souve«< nance de votre heureuse bonne grâce ».

Ce poème a le même défaut que les grands ouvrages de Marot; le style n'y répond pas au sujet, et la naïveté de la langue y paroît aujourd'hui basse et burlesque.

Le plus grand ouvrage parmi ceux qu'on trouve ensuite dans le recueil de François I, est une églogue intitulée Admetus; elle ne vaut pas mieux que celles de Marot. Mais toutes ses petites pièces, qui sont en grand nombre, valent presque celles de Ma

rot; c'est la même galanterie, et quelquefois la même grâce; Marot a seulement, en général, l'expression plus nette, plus facile, et plus approchante de la langue qu'on alloit parler.

Il y a certainement du naturel et de la facilité dans ces vers de François I.

Le mal d'amour est plus grand que ne pense
Celui qui l'a seulement oüy dire;

Ce qui nous semble ailleurs légère offense
En amitié se répute martyre.

Chacun se plaint, et gémit et soupire;

Mais s'il survient une seule heure d'aise,

La douleur cesse, et le tourment s'appaise.

Les vers sur Agnès Sorel qui sont imprimés partout, se retrouvent dans ce manuscrit, mais avec quelques différences. Les voici :

Ici dessoubz des belles gît l'eslite,
Car de loüange sa beauté plus mérite
Estant cause de France recouvrer,

Que tout cela que en cloistre peut ouvrer
Clause Nonnain, ou en désert hermite.

Dans la pièce suivante, François I paraphrase avec assez de naturel ce vers:

Juravitque oculos, et doluere mei.

Elle jura par ses yeux et les miens
Ayant pitié de ma longue entreprise,
Que mes malheurs se tourneroient en biens,
Et pour cela me fut heure promise.
Je croy que Dieu les femmes favorise,
Car de quatre yeux qui furent parjurés,
Rouges les miens devinrent sans feintise,
Les siens en sont plus beaux et azurés.

Voici quatre vers qui n'ont peut-être que trop de finesse, mais on les entend bien :

Dissimulez votre contentement

Sous un effort de foible résistance;
Le oüi sera en mon contentement

Et le nenny sera en mon silence.

Il y a du tour et quelques traits de poésies dans la ballade suivante.

14

Estant seullet auprès d'une fenestre
Par ung matin comme le jour poignoit,
Je regarday aurore à main senestre
Qui à Phébus le chemin enseignoit,
Et d'autre part m'amye qui peignoit
Son chef doré, et vis ses luysans yeux,
Dont me gecta un traict si gracieulx
Qu'à haulte voix je fus contrainct de dire :
Dieux immortels, rentrez dedans vos cieulx,
Car la beauté de ceste vous empire.

Comme Phébé, quand ce bas lieu terrestre
Par sa clarté de nuict illuminoit,
Toute lueur demeuroit en sequestre,
Car sa splendeur toutes autres mynoit.
Ainsi madame en son regard tenoit
Tout obscurcy le soleil radieux,
Dont de despit lui triste et odieux,

Sur les humains lors ne daigna plus luyre;
Par quoy lui dis: Vous faictes pour le mieulx,
Car la beauté de ceste vous empire.

O que de joie en mon cœur sentis naître,
Quand j'apperçus que Phébus retournoit,
Desja craignant qu'amoureux voulust estre
De la douceur qui mon cœur détenoit :
Avois-je tort? Non, car s'il y venoit
Quelque mortel, j'en serois soucieulx;
Devois-je pas doncques craindre les Dieulx
Et despriser pour fuyr un tel martyre,
En leur criant: Retournez dans vos cieulx,
Car la beauté de ceste vous empire.

L'homme qui ayme, a desir curieux
D'esloigner ceux qu'il pense estre envieux
De son amour, et qu'il doute lui nuyre;
Par quoi j'ai dit aux dieux très-glorieux
Que la beauté de ceste vous empire,

Les trois madrigaux suivans sont encore d'une galanterie ingénieuse.

A Ménélas et Paris je pardonne,

L'un de sa femme importun demandeur,
L'autre d'amye obstiné défendeur,

Mais du malheur des Troyens je m'estonne;
Car s'il falloit que pour belle personne,
La ville fust quelque jour desmolye,

Périr pour vous, ma dame belle et bonne,
Lui eust été plus gloire que folie.

Celle qui fust de beauté si loüable
Que pour sa garde elle avoit une armée,
A autre plus qu'à vous ne fut semblable,
Ne de Pâris son ami mieux aymée,
Que de chacun vous êtes estimée;
Mais il y a différence d'un point

Car à bon droit elle a été blasmée
De trop'aymer, et vous de n'aymer point,

Disant bon soir à une damoiselle

Luy ay voullu de bon cœur demander
S'elle vouloit riens la nuict commander?
Elle m'a dict: Que je n'aymasse qu'elle.
Telle douceur je trouve trop cruelle,
Car sa response interprêter je veulx,
Saichant qu'amour se nourrit de querelle,
Qu'elle a pensé qu'on en peult aymer deux.

Ce recueil contient de plus une multitude de rondeaux, où la difficulté n'est pas fort heureusement vaincue, non plus que dans ceux de Marot, et plusieurs chansons qui ne nous fourniroient rien à citer; il

est terminé par quelques lettres en prose; c'est en tout un monument bien précieux de la galanterie et de l'esprit aimable d'un grand roi, qui ne seroit pas resté sans réputation, quand il n'auroit été que poète. Mellin de Saint-Gelais l'appelle le prince des poètes et des rois.

Ce Saint-Gelais, qu'on croit avoir été fils naturel de l'évêque d'Angoulême, Octavien de Saint-Gelais, et qui fut aumônier et bibliothécaire de Henri II, est célébré par Marot et par tous les poètes du temps; on le nomma l'Ovide françois, titre qu'il ne me paroît point avoir mérité. Le plus grand honneur qu'on ait pu lui faire, a été d'attribuer à Marot quelques-uns de ses ouvrages (1), mais on pourroit le regarder comme le modèle de Rousseau pour l'épigramme, au même degré où la Fontaine reconnoissoit Marot pour le sien ; c'étoit Saint-Gelais et non Marot que Rousseau devoit nommer son maître. Rousseau n'eût peut-être point désavoué l'épigramme de Saint-Gelais qui commence par ce

vers :

Un jeune amant près sa dame soupoit, Ni celle qui finit par ce vers :

Car tout le monde me le dit.

Mais en général ses vers galans ou badins sont

(1) On a, au contraire, attribué à Saint-Gelais une pièce qui se trouve dans le manuscrit de François I. C'est celle qui commence par

ce vers:

Est-il point vray, ou si je l'ai songé?

Elle est imprimée dans les œuvres de Saint-Gelais, édit. de 1719, P. 247.

« AnteriorContinuar »