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grossiers, et ses vers sérieux sont froids et forcés. On connoît de lui cette épitaphe de Budée.

Qui est ce corps que si grand peuple suit?
Las! c'est Budée au cercueil étendu.

Que ne font donc les cloches plus grand bruit?
Son nom sans cloche est assez espandu.
Que n'a-t-on plus en torches despendu?
Suivant la mode accoustumée et sainte?
Afin qu'il soit par l'obscur entendu

Que des François la lumière est esteinte.

Je n'ai pas besoin de dire combien il y a là de recherche et de mauvais goût. Cet art de trouver de fausses raisons à ce qui n'en a point, est ce qu'on appeloit de l'esprit, avant qu'on sût qu'il n'y a point d'esprit sans naturel, et que rien n'est beau que le vrai.

Saint-Gelais avoit, dit-on, le talent des impromptu, et François I s'amusoit à en faire avec lui. Le Roi ouvroit le discours en vers, Saint-Gelais achevoit la phrase sur les mêmes rimes. Un jour le Roi apostrophant ainsi son cheval :

Joli, gentil, petit cheval,
Bon à monter, bon à descendre.

On dit

que

Saint-Gelais ajouta sur-le-champ :

Sans que tu sois un Bucéphal,

Tu portes plus grand qu'Alexandre.

Si le fait est vrai, Saint-Gelais étoit plus heureux en impromptu qu'en ouvrages médités.

On trouve dans les poésies d'Etienne Forcadel une

comparaison de l'amour avec un fleuve, d'où madame Deshoulières semble avoir tiré quelques traits de son idylle du Ruisseau; on y trouve encore une traduction de la vingt-septième idylle de Théocrite, entre Daphnis et une jeune bergère. La naïveté, caractère principal de cet ouvrage dans l'original, semble doublée par le jargon enfantin de la traduction, qui fait autant de plaisir ici que le François d'Amyot en fait dans la traduction des Amours de Daphnis et de Cloé. Ce Forcadel faisoit très-bien des vers latins. En voici deux sur la mort de la reine de Navarre, qui me paroissent fort bons.

Huic Rex frater erat, Rex vir, mens docta, quid ultrà?
Occidit. Heu! fateor Pallada posse mori (1).

Mais ni Crétin, quoique Marot l'appelle le souverain poète françois, ni tous les autres poètes du temps, qu'on peut voir rassemblés dans la bibliothèque françoise de M. l'abbé Goujet, ne méritent guère que nous nous y arrêtions.

Avoir cité François I et Marot, c'est avoir montré tous les progrès de la poésie au seizième siècle, et fixé le plus haut degré de perfection où elle parvint avant Malherbe. La pédanterie de Ronsard ne valut certainement pas cette naïveté; Passerat, Remi Belleau, Baïf, Desportes, Bertaud, dans leurs meilleurs ouvrages, n'égalent pas plus la naïveté de Marot que la noble harmonie de Malherbe. Malheureusement on n'a rien à dire sous François I du plus noble

(1) « Elle eut pour frère un roi, pour époux un roi, elle cut un « esprit éclairé. Que vous dirai-je? Elle n'est plus. Ah! j'avoue à pré<«sent que Pallas peut mourir ».

Théât. franc.

genre de poésie, le théâtre n'étoit pas né. On sait, par tradition, qu'un Antoine Forestier fit sous ce Fontenelle, règne des comédies françoises, qu'un Jacques Bour- Histoire du geois fit la comédie ou tragédie des Amours d'Erostrate, imprimée en 1545 et dédiée au Roi. Les Jodelle, les Baïf (Jean-Antoine), les la Peruse, les Garnier, ces foibles précurseurs de Corneille, ne parurent que sous Henri II et ses fils; mais Lazare de Baïf, poète estimé (1) de François I, prépara peutêtre la naissance du théâtre par les traductions, quoiqu'un peu barbares, qu'il fit en vers françois de l'Electre de Sophocle et de l'Hécube d'Euripide. La reine de Navarre fit quelques mystères et quelques comédies, dont on peut voir l'extrait, ainsi que des autres pièces du temps, dans l'Histoire du Théâtre François, de MM. Parfait.

En général, la France s'est distinguée assez tard par les grands ouvrages; elle ne comptoit encore que de jolis dizains et quelques bagatelles aimables, lorsque l'heureuse Italie avoit déjà les poésies de son vieux Dante, le Roland Furieux de l'Arioste, l'Aminte et la Jérusalem délivrée du Tasse, le Pastor-Fido du Guarini, la Sophonisbe du Trissin, la Secchia Rapita du Tassoni.

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Parmi les écrivains en prose, il en est un qu'on ne peut oublier, Rabelais. C'est un air, chez quelques vieux littérateurs, de prétendre qu'ils l'entendent et qu'ils le goûtent; le temps ne peut que rendre plus difficile de jour en jour l'intelligence d'un livre où

(1) François I le fit maître des requêtes, et l'envoya en ambassade à Venise et en Allemagne.

l'allégorie domine. Dans ce qu'on entend encore de Rabelais, on trouve assez d'esprit et de savoir pour justifier une partie de la réputation dont il a joui, et assez de mauvais goût pour justifier les dédains des critiques et le refroidissement des lecteurs. Mais reconnoissons qu'il a encore des partisans pleins d'esprit et de goût.

Les contes de la reine de Navarre conservent aujourd'hui la plus grande partie de leur agrément, aussi bien que ceux de Bonaventure Des-Perriers, son valet de chambre, qui soutiennent seuls la réputation de leur auteur; car ses poésies, même sa traduction de l'Andrienne, sont oubliées, et l'on cherche en vain dans son Cymbalum Mundi, l'impiété qui le fit proscrire et le charme qui le faisoit lire. On y trouve pour tout charme des fictions incohérentes et incompréhensibles, auxquelles l'allégorie donnoit peut-être quelque prix, et quelques plaisanteries sur les chercheurs de la pierre philosophale; mais toute plaisanterie contre les préjugés passoit alors pour impiété. Les contes du même auteur ont un mérite indépendant de toute allégorie; mais les contes imprimés sous son nom, ne sont pas tous de lui, car il y en a quelques-uns où il est parlé de François I et même de Henri II comme ne vivant plus, et Des-Perriers étoit mort avant l'année 1544; il se tua lui-même d'un coup d'épée dans un accès de folie. Ceux de ces contes qui ne sont pas de lui, sont attribués à Jacques Pelletier, qui, en donnant, en 1558, une édition des contes de Des-Perriers, a pu en insérer quelquesuns de lui; on croit aussi qu'il y en a plusieurs de Nicolas Denisot, peintre et poète célèbre de ce siècle.

On connoît, dans La Fontaine, la jolie fable de la Laitière et du Pot au Lait; en voici le modèle avec la plupart des agrémens de la copie, dans la quatorzième nouvelle de Bonaventure Des-Perriers au sujet de l'alchimie.

:

:

L'alquemie se pourroit plus proprement dire << art qui mine oa art qui n'est mie, et ne sauroit-on << mieux comparer les alquemistes qu'à une bonne <«< femme qui portoit une potée de lait au marché, << faisant son compte ainsi : qu'elle la vendroit deux <«< liards; de ces deux liards elle acheteroit une dou<«<zaine d'œufs, lesquels elle mettroit à couver, et << en auroit une douzaine de poussins ces poussins << deviendroient grands, et les feroit chaponner; ces << chapons vaudroient cinq solz la pièce, ce seroit << un écu et plus, dont elle acheteroit deux cochons << mâle et femelle, qui deviendroient grands, et en << feroient une douzaine d'autres, qu'elle vendroit vingt solz la pièce, après les avoir nourris quelque « temps; ce seroit douze francs, dont elle acheteroit « une jument, qui porteroit un beau poulain, lequel « croîtroit et deviendroit tant gentil il sauteroit « et feroit hin. Et en faisant hin, la bonne femme, « de l'aise qu'elle avoit en son compte, se print à <«< faire la ruade que feroit son poulain : et en ce fai« sant, sa potée de laict va tomber, et se respandit « toute. Et voilà ses œufs, ses poussins, ses chapons, «ses cochons, sa jument et son poulain tous par << terre. Ainsi les alquemistes, après qu'ils ont bien « fournayé, charbonné, lutté, soufflé, distillé, cal« ciné, congelé, fixé, liquéfié, vitréfié, putréfié; il

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