Imágenes de páginas
PDF
EPUB

de ses propres intérêts; s'agissoit-il de ceux de son troupeau, sa vigilance redoubloit, son courage s'animoit, nul péril ne l'effrayoit, nulle considération ne pouvoit l'arrêter. Le cardinal de Clermont-Lodève, légat d'Avignon, opprimoit les habitans de Carpentras et gouvernoit le comtat en tyran; Sadolet osa lui représenter la nécessité d'être homme, et ses remon→ trances n'ayant produit aucun effet, il les porta jusqu'au Pape; mais il mit dans ses plaintes tant de douceur, l'ascendant de la raison et de l'humanité éclata d'une manière si tendre et si forte dans toute sa conduite, que ce légat lui-même en fut touché, changea de principe et donna toute son amitié à Sadolet.

François I étant en guerre avec le duc de Savoie, le comte de Furstemberg, sous les ordres de l'amiral de Brion, conduisoit un corps de Lansquenets à travers le comté Vénaissin. Plusieurs Allemands ayant commis du désordre dans Carpentras, les bourgeois prirent les armes et les chassèrent. Furstemberg jura de venger cette injure, il fit marcher contre Carpentras toutes ses troupes avec du canon. Les habitans se croyoient perdus; l'évêque vole à leur secours, mais il ne peut fléchir l'implacable Furstemberg; il a recours au général; il n'y avoit qu'un étranger et qu'un barbare qui pût mépriser Sadolet intercédant pour son peuple; Brion saisi de respect à ce nom, se hâta d'employer toute son autorité pour contenir Furstemberg, et la vertu active de l'évêque eut dans cette occasion la gloire de sauver un peuple avec lequel il se disposoit à mourir.

L'homme de lettres fut presque aussi affligé dans Sadolet que le Chrétien, lorsqu'au sac de Rome, une

t. 17 et 18.

magnifique bibliothèque qu'il avoit formée dans cette ville, et qu'il se proposoit toujours de transporter à Histoire de Carpentras, fut pillée et brûlée par ces brigands fél'Egl. Gallic. roces que le duc de Bourbon et le prince d'Orange traînoient à leur suite dans l'Italie. Avec quelle douceur touchante Sadolet déplore cette perte! Comme sa douleur particulière s'abîme dans la douleur publique ! Cependant ses livres Grecs, l'objet de sa tendresse, lui arrachent des soupirs. « Ils ont péri, « s'écrie-t-il avec amertume; ainsi la fortune qui « persécute aujourd'hui tous les Italiens, me déclare « une guerre particulière, mais elle n'aura sur moi << aucun avantage. Je mets ma confiance en Dieu, et «< je tâche de conserver l'égalité d'ame ».

La guerre s'alluma contre les malheureux Vaúdois; évêques et magistrats se disputèrent l'honneur de les égorger. L'imprudent François I, trompé par le zèle aveugle de Tournon, envoya ses troupes contre ses sujets; le vice-légat d'Avignon y joignit les siennes; Sadolet seul les arrêta quelque temps, et ne pouvant détourner ce coup, il le suspendit; il courut à Rome comme à la source du mal; mais tandis qu'il y plaidoit la cause de l'infortune et de l'humanité, le crime se consommoit, et la France préludoit aux horreurs de la Saint-Barthélemi.

Sadolet ne revit plus son troupeau, il mourut à Rome en 1545.

Sa vertueuse indulgence mérita d'autant plus d'éloges, qu'elle n'eut point pour principe l'indifférence sur la religion. Jamais prélat n'eut plus de zèle pour les progrès de la foi ni pour l'extinction de l'hérésie; il avoit osé entreprendre la conversion de Genève ;

il avoit écrit aux habitans de cette ville une lettre pleine d'onction et de charité, qui eût pu produire son effet, si la sombre activité de Calvin n'y eût mis de trop puissans obstacles.

Les titres seuls des principaux ouvrages de Sadolet

annoncent son caractère.

De Bono Pacis (1); De Philosophicá consolatione et meditatione in adversis; De Liberis rectè instituendis; De Philosophiæ laudibus.

Son Curtius et son Laocoon tiennent le premier rang parmi ses poésies.

Les historiens de l'Eglise gallicane ont très-bien remarqué qu'à travers l'acclamation universelle des savans et des hommes vertueux en faveur de Sadolet, il ne s'est jamais élevé une seule voix contre lui, tant sa vertu savoit triompher de l'envie même que ses talens étoient très-dignes d'inspirer.

Pour connoître et pour aimer Sadolet, il suffiroit de lire sa lettre (2) à Melanchton du 17 juin 1537. Ces deux hommes excellens étoient faits pour s'aimer, la sympathie des vertus les attiroit l'un vers l'autre ; leurs ames répandues dans leurs écrits, se reconnoissoient et cherchoient à s'unir; Sadolet, comme le plus parfait, s'empresse le premier à demander l'amitié de Melanchton, et dans quel temps? en 1537, lorsque Rome éclatoit avec le plus de force contre les Protestans, qui ne l'avoient jamais si hautement bravée, lorsque le Pape convoquoit le concile qui devoit les condamner, et dont ils rejetoient d'avance

(1) Avantages de la Paix; Consolations de la Philosophie dans l'adversite; Education des Enfans; Eloge de la Philosophie.

(2) Cette lettre se trouve parmi celles de Melanchton, 1. 3, Epist. 39.

[ocr errors]

l'autorité, après avoir tant de fois offert de s'y sou

mettre.

<< Nous n'avons pas les mêmes opinions, dit Sadolet « à Melanchton, mais les mêmes sentimens nous << animent. Les lettres, les vertus, l'humanité, nous «< sont également chères; vos ouvrages ont pénétré << mon ame de tendresse ; aimons-nous, mon frère, << aimons-nous. D'honnêtes gens qui cultivent les << lettres, sont essentiellement amis. Je ne sais point « haïr pour des opinions; c'est l'orgueil qui hait et qui persécute; la religion aime et console, elle est << tendre, elle est juste ».

[ocr errors]

Non ego enim is sum, qui ut quisque à nobis opinione dissentit, statim eum odio habeam. Arrogantis est hoc et clati animi, non mansueti et comis, quas, me potiùs ad partes natura mea vocat. Sed faveo ingeniis, virtutes hominum colo, studia litterarum diligo.

Qu'on juge quel devoit être un cardinal qui, en 1537, tenoit un tel langage à Melanchton. Homme admirable, homme attendrissant, qu'on ne peut lire sans pleurer de joie et d'amour; prélat né pour la gloire de l'Eglise et pour le bonheur de l'humanité, Sadolet remplit toute l'idée que l'homme peut se faire de la vertu.

C'est par ce nom respectable que nous terminerons l'histoire littéraire de la France sous le règne de François I.

FIN DU HUITIÈME LIVRE.

LIVRE NEUVIÈME.

CONTENANT LA VIE PRIVÉE DE FRANÇOIS I, ET DES
ANECDOTES PARTICULIÈRES.

CHAPITRE PREMIER.

Vie privée de François I.

Nous avons montré dans François I, le guerrier, le roi, le législateur, l'ami des arts, le père des lettres. Nous allons le considérer sous des rapports moins étendus, mais plus intimes; nous allons montrer le fils, le mari, le père, le frère, l'amant, l'ami, l'homme en un mot.

François I eut toujours pour sa mère cette soumission respectueuse que saint Louis avoit eue pour la sienne; mais Louise de Savoie, qui pouvoit avoir les talens de Blanche de Castille, n'en avoit pas les vertus. Nous avons assez dit et le mal et le bien qu'elle fit au Royaume; le mal surpassa trop le bien, et c'est ce qui a déterminé le jugement de la postérité sur cette femme. Qu'importe que les Brantôme. auteurs d'anecdotes nous apprennent qu'elle étoit belle, et qu'à peine voyoit-on à la Cour une taille aussi riche que la sienne? les sommes immenses qu'elle Montmorenlaissa en mourant, suffisent pour la condamner, sur- d'Auxer., du tout quand on les compare avec celle de trente-cinq 7 oct. 1531.

Lettre de

ci à l'évêque

« AnteriorContinuar »