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avec tant de zèle de l'éducation publique dans son royaume, ne négligea point l'éducation particulière de ses fils. S'il eut des prédilections, comme on le lui a reproché, elles ne furent point aveugles et elles furent malheureuses; de ses trois fils, il perdit les deux plus aimables, les deux qui lui ressembloient le plus. Nous avons parlé de ses douleurs (1), la France les partagea, ce fut la consolation du Roi. Le dauphin François fut le plus généralement regretté; mais le duc d'Orléans le fut d'autant plus de son père, que la France se partagea sur son compte par l'effet des intrigues qui divisoient alors la Cour. Nous avons dit (2) comment la rivalité de la duchesse d'Etampes et de Diane de Poitiers en avoit fait naître une assez vive entre le duc d'Orléans et le nouveau dauphin Henri, celui-ci gouverné par Diane, l'autre confirmé dans la faveur de son père par la Duchesse, qui vouloit s'en faire un appui contre ses ennemis, si elle venoit à perdre le Roi. On distinguoit le parti du Roi et le parti du Dauphin, et quand ces mouvemens n'auroient produit qu'un tel scandale, c'eût été déjà trop; mais de plus, il en résultoit nécessairement quelque altération dans les sentimens que le Roi et le Dauphin se devoient l'un à l'autre ; il en résulta de plus ces trahisons dont nous avons parlé, dont nous parlerons encore.

Nous avons dit du dauphin François tout ce que son extrême jeunesse a permis d'en connoître; Marot n'a point oublié de célébrer la belle de l'Estrange, maîtresse de ce prince, qu'il propose peu ingénieusement

(1) Livre 4, chap. 8, année 1536, et livre 6, ch. 9, année 1545. (2) Livre 6, chap. 6, année 1544.

d'appeler madame qui est Ange, au lieu de madame de l'Estrange. En parlant de la mort du Dauphin, il veut que ce prince ait été empoisonné, même il insinue que ce fut par ordre de l'Empereur.

Un Ferrarois lui donna la poison

Au vueil d'autrui, qui en crainte regnoit,
Voyant François qui Cesar devenoit.

Ceci doit paroître un peu étrange après tout ce que nous avons observé sur cet événement. Toute la conséquence qu'on doit tirer de ces vers de Marot, c'est que cette calomnie contre l'Empereur fut répandue partout en France et même à la Cour. Quel raisonnement d'ailleurs est renfermé ici dans l'équivoque du mot César! « Le Dauphin devenoit un César pour << la valeur, mais César est le titre de l'Empereur; donc «< Charles-Quint craignoit que ce jeune César ne lui «< ravît l'Empire, et il le fit empoisonner ».

Au reste, Marot célébra beaucoup ce même Charles-Quint, lorsqu'il passa par la France.

Le dauphin Henri a régné sous le nom de Henri II; son histoire est connue et n'est pas de notre sujet; nous nous bornerons ici à quelques traits qui feront connoître le duc d'Orléans.

Marot a dit de lui :

Nature étant en esmoy de forger
Ou fille ou fils, conceut finalement
Charles si beau, si beau pour abréger
Qu'estre fait fille il cuida proprement:
Mais s'il avoit à son commandement
Quelque fillette, autant comme lui belle,
Il y auroit à craindre grandement
Que trouvé feust plus mâle que femelle.

Brantôme,

Marot semble ici reprocher avec finesse, au duc d'Orléans, un air et un caractère efféminés; cependant ce prince efféminé poussoit le délire de l'étourderie et de la valeur jusqu'à battre le pavé les nuits avec de jeunes seigneurs, que son exemple et leur propre folie entraînoient; ils attaquoient les gens armés qu'ils rencontroient, surtout les laquais, qui, par un abus du temps, portoient des armes; causoient mille désordres à la suite de la Cour, s'emparoient des ponts et des grandes rues, et insultoient les passans. Une nuit, la Cour étant à Amboise, le duc d'Orléans voulut en aller disputer le pont à Capit.Franc. cette canaille insolente; sa suite étoit foible, les la- art. Franç. I. quais nombreux ; un d'eux porte au prince un grand coup d'épée; le jeune Castelnau, le plus brave et le plus fou des gentilshommes de ce temps, voit partir le coup, s'élance entre le prince et le laquais, est percé, tombe et meurt. Alors, pour faire cesser ce jeu funeste, on nomme le prince; aussitôt les laquais effrayés prennent la fuite; le duc d'Orléans, resté maître du pont, pleure son indigne victoire, et fait emporter le corps de son ami mort pour lui.

:

Le lendemain, le Roi sut ce qui s'étoit passé; la tendresse ne lui faisoit point dissimuler de pareilles fautes; il traita le duc d'Orléans avec toute la rigueur d'un roi irrité Vous pouvez vous perdre, lui dit-il, l'Etat se passera bien d'un fou; mais il a besoin du sang de la noblesse, et ce sang n'est pas fait pour couler au gré de vos caprices.

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Nous avons dit, d'après Ferron (1), comment le duc

(1) Livre 6, chap. 9, année 1545, note seconde du chapitre.

Nonce en

France aux

cil. de Trent.

Hist. de l'E

t. 18.

d'Orléans se procura la mort par son étourderie ; Lettre du une lettre écrite d'Amiens par le Nonce du Pape le 18 septembre 1545, et adressée aux présidens du Légats Prési- concile de Trente, contient, sur cet événement, des dens du con- particularités qui confirment le récit de Ferron. Le duc d'Orléans, arrivé le 4 septembre au camp du Roi, glise Gallic. entre Abbeville et Montreuil, apprend que la peste ravage le pays; il veut braver ce danger; il va dans une maison où huit personnes venoient de mourir de cette maladie; il se couche sur leurs lits, se couvre de la plume infectée qui en sort, et parcourt dans cet état plusieurs tentes du camp, comme pour y porter le venin qu'il venoit de prendre. Il se sent échauffé, il oublie que son frère aîné est mort pour avoir bu un verre d'eau ayant trop chaud, il en boit un et se couche; deux heures après le frisson et le mal de tête se font sentir. Ah! dit le prince, c'est la peste, j'en mourrai; il se confesse, les remèdes paroissent réussir, et le 9 (1) on le crut hors de danger; mais ce jour même le redoublement le saisit; il demande le viatique, il demande à voir le Roi; François I l'ayant appris, accourt malgré le danger, malgré les remontrances de tout le monde. Dès que le jeune prince le vit entrer : Ah! mon Seigneur, s'écria-t-il, je me meurs, mais puisque je vois Votre Majesté, je meurs content; il expire à l'instant aux yeux du Roi, qui jette un grand cri, et s'évanouit. Revenu à lui, son premier soin, au milieu de sa douleur, fut d'éloigner toute sa, Cour de ce lieu funeste, et de prendre les précautions les plus sages pour arrêter les progrès de la contagion.

(1) Nous avions dit le 8, d'après du Bellay.

Toute cette histoire est pleine des témoignages de la tendresse de François I pour la reine de Navarre sa sœur. Jamais amitié ne fut ni plus juste, ni plus réciproque, ni plus fidèle: il falloit que Marguerite fût ou la femme ou la sœur de François I. L'amour les auroit unis, si la nature n'en eût pris le soin. Grâces de la figure, charmes piquans de l'esprit, charmes touchans des vertus, goût des lettres et des arts, amour de l'humanité, désir universel de plaire, tous les traits de conformité se trouvoient entre eux. La France les reconnoissoit pour ses modèles, encore plus que pour ses maîtres; c'étoient les deux êtres les plus aimables chez une nation dont le caractère distinctif est d'être aimable.

C'étoit François I qui avoit donné à sa sœur le nom de la Marguerite des Marguerites, et tout le monde l'appeloit ainsi à la Cour.

Marguerite d'Orléans naquit à Angoulême le ri avril 1492; fut mariée le 9 octobre 1509 au duc d'Alençon, dont elle n'eut point d'enfans, et qui mourut le i avril 1525; elle épousa en secondes noces, le 24 (1) janvier 1527, Henri d'Albret, roi de Navarre, second du nom; elle mourut au château d'Odos, en Bigorre, le 21 décembre 1549. Elle avoit eu de ce second mariage Jeanne d'Albret, qui fut mère de notre roi Henri IV.

Deux grandes passions remplirent la vie de François I. Ce fut la comtesse de Châteaubriand qui régna

(1) C'est la date qu'on trouve dans le P. Anselme; d'autres auteurs disent le 3 au lieu du 24, et nous l'avons dit d'après eux dans une note du chap. 2 du 3.o livre.

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