Imágenes de páginas
PDF
EPUB

sciences. Ses premiers statuts furent dressés au commencement du treizième siècle par Robert de Courçon, dit le cardinal de Saint-Etienne, légat du Saint-Siége. Les papes et les rois continuent de la combler de faveurs; ses priviléges devinrent si excessifs et elle en abusa tant que l'ordre public en fut troublé. Qu'elle fût exempte des charges de l'Etat, qu'elle eût pour ses priviléges des conservateurs ecclésiastiques et laïques qui prêtoient serment entre ses mains, qu'elle ait eu long-temps un tribunal particulier chargé de veiller à la conservation de ces mêmes priviléges, qu'elle députât aux conciles, que le recteur donnât les pouvoirs aux prédicateurs, qu'il fût initié à tous les mystères de la politique tant intérieure qu'extérieure, qu'il eût part en quelque sorte au gouvernement, que sa signature intervînt dans les actes publics et les traités, c'étoit un hommage que l'ignorance rendoit au fantôme de la science, le principe étoit juste, quelques-uns de ces effets étoient heureux, comme il parut dans l'affaire du grand schisme d'Occident et dans d'autres occasions où l'Université servit si utilement l'Etat et la religion; mais que les écoliers exerçassent impunément mille violences, que ces brigands autorisés infestassent Paris, que leur personne fût sacrée, que ce titre d'écolier couvrît tous les désordres et tous les crimes; que le prévôt de Paris, pour avoir fait le devoir de sa charge en envoyant au gibet deux écoliers (1) coupables de vols et d'assassi- n.o 10297. nats sur les grands chemins, fût obligé de les en dé- Ville de Patacher lui-même et de leur baiser les pieds; que leurs ris.

(1) Leger du Mesnil, Normand, Olivier Bourgeois, Breton.

Chron. Mss.

Bibl. du Roi,

Hist. de la

[ocr errors]

cadavres fussent transportés avec honneur chez les Mathurins dans un chariot de deuil, conduit par le bourreau revêtu d'un surplis pour surcroît de bizarrerie; que dans leur épitaphe, monument élevé à l'énorme puissance de l'Université, on ne formât pas le moindre doute sur leurs crimes, parce que le crédit de l'Université éclatoit davantage à faire respecter ses écoliers, quoique coupables; qu'au moinure mécontentement un mot du recteur fît cesser toute prédication, toute instruction, et dépeuplât la capitale ; que ce corps devînt redoutable à ses souverains et à ses bienfaiteurs, c'étoit un abus que l'Université même, en s'éclairant, trouva insupportable. Il fallut la réformer plusieurs fois de son consentement même. Les cardinaux de Montaigu et de Blandiac, légats d'Urbain V, y rétablirent l'ordre en 1366, sous Charles V. Le cardinal d'Estouteville, légat du pape Nicolas V, en fit autant en 1452, sous Charles VII. Chacune de ces réformes emporta quelque diminution des priviłéges abusifs. Enfin sous Louis XII, le cardinal d'Amboise renferma ces priviléges dans des bornes que l'Université tenta plusieurs fois de franchir, mais que l'autorité royale en s'affermissant a encore resserrées. « L'Université de Paris, dit noblement M. le président << Hénault, en perdant des droits peu fondés, et ré« duite à ses propres forces, n'en a acquis depuis que plus de grandeur et plus d'éclat; mère de toutes << les autres universités, féconde en hommes célè<< bres, source de tous les genres de savoir, soumise «< inviolablement au Saint-Siége, dont les pontifes << n'ont pas dédaigné de recourir à ses lumières, oracle « des conciles même, elle jouit dans tout le monde

[ocr errors]

<< chrétien de cet empire que donne la supériorité des «< connoissances, et qui lui est d'autant plus assuré, << qu'elle ne le doit qu'à elle-même ».

Saint Louis aima les lettres, il protégea l'Université; mais il sentit que pour être plus utile, il falloit qu'elle fût moins nécessaire, il jugea qu'elle avoit besoin d'émulation, il lui donna une rivale en faisant ériger l'Université de Toulouse, non sans quelques oppositions de la part de celle de Paris, qui auroit mieux aimé être la fille unique des rois que leur fille aînée,

L'exemple étant donné, on en institua d'autres, soit dans ce siècle, soit dans les suivans; celle de Montpellier si célèbre pour la médecine, celle d'Orléans si célèbre pour le droit, celle de Bourges que la reine de Navarre, sœur de François I, remplit des premiers hommes de son temps, soit François, soit étrangers, etc.

A Paris, saint Louis et Robert de Sorbonne fondent le fameux Collége des Pauvres Mattres, si magnifiquement réédifié par le cardinal de Richelieu; Raoul de Harcourt, chanoine de Notre-Dame, les cardinaux Jean Cholet et Jean le Moine, l'archevêque de Narbonne Gilles Aycelin de Montagu, la reine de Navarre, femme de Philippe le Bel, fondent les colléges qui portent leurs noms. Cet exemple est suivi dans les siècles suivans, et le temps concentre insensiblement, dans ces maisons d'étude, les leçons que les maîtres faisoient autrefois dans leurs maisons par ticulières; celles de philosophie s'étoient faites longtemps dans la rue du Foarre, où l'Université entretenoit des barrières pour empêcher le passage des voitures, dont le bruit auroit troublé les leçons.

Les Jacobins et les Cordeliers nouvellement établis s'emparent de l'Université de Paris au treizième siècle, ils y portent l'esprit de rivalité qui les anime, tout devient secte et parti; en théologie les Thomistes et les Scotistes, en philosophie les Nominaux et les Réalistes divisent l'Ecole; les docteurs se distinguent par des titres magnifiques. Les Jacobins ont leur Albert, dit le Grand, leur saint Thomas d'Aquin, dit le Docteur Angélique, l'Ange de l'Ecole, l'Aigle des Théologiens, disciple d'Albert le Grand et d'Alexandre de Halès; leur Vincent de Beauvais estimé de saint Louis, qui n'estimoit guère les scolastiques; leur Hugues de Saint-Cher. Les Cordeliers ont leur Roger Bacon, dit le Docteur admirable; leur Alexandre de Halès, dit le Docteur irréfragable; leur Bonaventure, disciple de Halès, depuis cardinal, dit le Docteur séraphique; surtout leur Jean Duns le Scot, dit le Docteur subtil, dont ils se piquent d'être les disciples en théologie, comme les Jacobins le sont de saint Thomas. Les Hermites de saint Augustin, ont leur Gilles de Rome, dit le Docteur très-fondé. Tout est relatif et proportionnel; ces titres, cette réputation étoient mérités dans le temps. Revenons sur chacun de ces docteurs.

Albert le Grand savoit un peu de physique et beaucoup de théologie. Sa physique le fit, selon l'usage, accuser de magie; la Magie du grand Albert est passée en proverbe : il avoit trouvé la pierre philosophale; il avoit forgé une tête d'airain qui répondoit à toute ses questions, et que saint Thomas cassa d'un coup de pied, parce qu'elle l'étourdissoit par son babil; on a voulu aussi l'accuser de l'invention de la

poudre à canon. Il avoit eu la science infuse par une faveur particulière de la Vierge, qui lui fit une visite tout exprès pour lui apporter ce don, mais il oublia tout cinq ans avant sa mort; sur cela les plaisans du temps ont dit que d'âne il étoit devenu philosophe, et que de philosophe il étoit redevenu âne sans changer de nature. Ses leçons de philosophie-théologique attiroient, dit-on, une telle affluence d'auditeurs, que sa classe ne pouvant les contenir, il prit le parti d'enseigner au milieu de la place qui en a retenu le nom de place Maubert; c'est-à-dire, place de Maître Aubert ou Maître Albert. On croit pourtant que la place Maubert tire son nom de Madelbert, évêque de Paris : dans les anciens manuscrits elle est nommée Platea Madelberti.

On a fait sur Albert ce mauvais distique :

Inclytus Albertus Doctissimus atque disertus
Quadrivium (1) docuit, ac totum scibile scivit.

Trithème a dit : Non surrexit post eum vir similis ei, qui in omnibus litteris, scientiis et rebus tam doctus, eruditus et expertus fuerit. S'il étoit si savant, ce n'étoit pas en géographie, car il plaçoit Bysance en Italie.

(1) Le Quadrivium, c'étoient les quatre sciences mathématiques; savoir l'arithmétique, l'astronomie, la géométrie et la musique; le Trivium : c'étoient la grammaire, la logique et la rhétorique. Le tout forme les sept arts libéraux célébrés par Gautier de Metz, dans un roman de 1245, en vers françois. Tous les savans aspiroient aux honneurs du Trivium et du Quadrivium, chacun d'eux écrivoit sur toute matière; l'universalité étoit très à la mode, et l'éloge totum scibile scivit, très-commun. De là tant de livres intitulés : Quodlibeta, mot décrié dans la suite, et d'où nous est venu celui de Quolibet, dans un sens différent.

« AnteriorContinuar »