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n'avoit pas le temps de s'instruire ni d'instruire les autres. Quelques moines, quelques prélats, quelques docteurs luttent avec peu d'avantage contre la barbarie; les poésies historiques de Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont, le poème théologique de saint Prosper sur la Grâce, l'Histoire sacrée de Sulpice Sévère, et quelques traités de Salvien, prêtre de Marseille, sont presque les seuls monumens littéraires que la Gaule nous offre au cinquième siècle; mais ce sont plutôt des restes de la littérature Romaine que des commencemens de la littérature Françoise.

Sixième siècle.

. Nous en dirons autant, pour le sixième siècle, des poésies de Fortunat, évêque de Poitiers, et de l'histoire de Grégoire de Tours. Ce dernier prélat, reconnu pour le père de l'Histoire de France, ne doit point être confondu parmi les chroniqueurs qui l'ont suivi; il n'a point leur brièveté sèche et stérile, qui avertit simplement des faits sans les exposer; sa narration est claire, développée, quelquefois même intéressante s'il ignore l'art de lier les faits, il paroît que cet art étoit inconnu de son temps. Son continuateur Frédégaire lui est bien inférieur, et n'est pourtant pas sans mérite.

:

Dans ce siècle, Chilpéric voulut être théologien, il fut sabellien; il voulut être bel-esprit, il fut ridicule; il voulut enrichir l'alphabet gaulois des lettres doubles des Grecs, et il fit un édit pour cela, belle matière à édits! Grégoire de Tours le traita d'insensé de son vivant, et l'appela Néron après sa

mort.

Septième et huitième siècle.

Les septième et huitième siècles sont l'époque des grands établissemens monastiques en France, c'est l'âge d'or du monachisme. Les vertus claustrales y brillent de leur éclat modeste, et portent sur un fond d'utilité, qui les rend plus respectables : ce fond, c'est le travail. Ces mains pures ne se lassoient point de réparer les ravages que des brigands guerriers ne se lassoient point d'exercer. Les champs que le démon de la destruction venoit de parcourir la flamme à la main, renaissoient et fructifioient par les efforts du zèle et de la charité. Tandis que les soldats pilloient et brûloient, les religieux défrichoient; par eux les landes produisoient, le sable devenoit fertile, les marais se changeoient en jardins, les eaux mortes et croupissantes en canaux vivifians; les déserts se couvroient de bâtimens nécessaires à la culture. Le travail étoit pour les moines, le fruit du travail pour les pauvres. Ces richesses qu'une frugalité laborieuse, qu'une tempérante activité arrachoient à la terre, la charité les répandoit dans le sein des malheureux; on rendoit la liberté au prisonnier, on assuroit la subsistance à l'infirme, des soulagemens à la veuve, des secours à l'orphelin; on nourrissoit jusqu'au barbare dont les bras énervés par l'âge n'avoient plus la force de détruire; la charité se vengeoit de la fureur par des bienfaits; tel fut le monachisme naissant. Sainte et vénérable institution, si l'esprit qui l'anima dans ses beaux jours, n'eût jamais fait place aux relâchemens qui l'ont défigurée, si jamais le travail et la pauvreté n'eussent fui de ces saints asiles !

Mézer. abr. Chron Hist.

de l'Egl. du 7.° siècle.

A cette utilité première que les lettres n'égalent point sans doute, mais dont elles ne cessent d'exalter le prix et de nourrir le principe, les religieux joignoient encore ce mérite des lettres, qui tient de si près à la retraite, à la tempérance, à la pauvreté; c'est à eux principalement qu'on doit la connoissance des premiers temps de l'histoire moderne. Cette histoire, à la vérité, telle qu'ils nous l'ont transmise, n'est qu'une liste sèche (1) des miracles mal avérés de quelques moines et des crimes plus certains de quelques princes; mais il importe de connoître tous les hommes et tous les temps, et il est des hommes et des temps qu'on n'a pu connoître que par les moines. Comment retrouveroit-on le fil de l'histoire des deux premières races et des commencemens de la troisième, sans Hunibalde, Jonas, Réginon, Aimoin, Sigebert, Glaber, Helgaud, etc.?

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La littérature a dû dans la suite sa renaissance au soin que les moines ont pris de conserver et de multiplier les manuscrits de l'antiquité. Que l'ignorance qui n'est frappée que des abus, et qui ne voit rien au-delà du présent, les accable de déclamations aussi frivoles qu'excessives, ce n'est point aux lettres à les outrager, et l'histoire ne peut que leur être favorable; mais en justifiant leur institution, elle leur en retrace l'esprit, elle les rappelle à la pureté de leur origine. Que les religieux dans les campagnes soient des cultivateurs charitables, que dans les villes ils

(1) Frédégaire avoue que les talens sont éteints, et que l'éloquence n'est plus; il s'en prend à la vieillesse du monde, mundus senescit jam, mais le monde se renouvelle, et les lettres tombées avec l'empire Romain, devoient s'élever avec l'empire François.

soient des littérateurs laborieux, que partout ils soient occupés et vertueux, qui pourra les accuser d'inutilité ?

SECONDE RACE.

Neuvième siècle.

Quand Pepin le Bref eut ôté la couronne au foible Childeric, trop peu digne de la porter, quand il eut affermi le trône usurpé, Charlemagne son fils, si supérieur à Pepin et au reste du monde, voulut que les lettres et les lois triomphassent de la barbarie comme ses armes triomphoient des Saxons et des Maures. Ses trésors appelèrent de tous côtés. les talens et les arts. Ses Capitulaires, ses divers établissemens, la réforme portée sous son règne dans toutes les parties de l'administration, son goût pour toutes les sciences, ses bontés pour Eginhard, son secrétaire et son historien, les bienfaits par lesquels il sut enlever à l'Angleterre le fameux Alcuin (1), le savant le plus universel de ce temps, et que plusieurs regardent comme le fondateur de l'Université de Paris, honorent plus Charlemagne aux yeux des sages, que ses conquêtes trop vastes, ses guerres trop continuelles et la violence employée pour la conversion des Saxons ne le dégradent.

La description que fait Eginhard du palais construit par Charlemagne à Aix en Westphalie, et de la

(1) Théodulfe, évêque d'Orléans, l'appeloit :

Nostrorum gloria vatum,

Qui potis est lyrico multa boare pede,

Quique sophista potens est quique poëta melodus. Lib. 3. Carm. 1.

Chapelle dont le nom est resté à cette ville, suppose dans ce prince un degré de magnificence, et dans les arts de ce temps un degré de perfection bien difficiles à concevoir. L'étude qu'on faisoit alors de Vitruve suffit-elle pour résoudre le problême ? Au reste, les matériaux venoient de Ravenne et de Rome, et les architectes, ainsi que les peintres, pouvoient venir de

la Grèce.

Charlemagne répandit la lumière autant qu'il le put, il créa des savans, mais l'ignorance étoit invétérée, il eut beau faire, il resta encore plus de devins et de sorciers qui croyoient l'être et qui étoient les premières dupes de leur art. On étoit bien sûr qu'ils avoient le diable à leurs ordres, qu'ils disposoient de toutes les puissances de l'enfer, et cependant on osoit les envoyer au supplice. Il est vrai qu'on supposoit qu'ils perdoient tout leur pouvoir quand ils étoient entre les mains de la justice, ainsi l'on passoit par deux erreurs contraires pour arriver à la vérité.

Charlemagne et Louis le Débonnaire, tous deux grands astronomes, avoient peur, ainsi que tous leurs astrologues, des éclipses et des comètes. Les sorts des saints (1), le jugement de la croix et les autres épreuves usitées alors et qui l'ont été si long-temps, n'annoncent pas de grands progrès dans la raison humaine. On croyoit que Dieu ne pouvoit point abandonner l'innocence; cette idée n'étoit pas injurieuse

(1) Espèce de divination qui consistoit à érigér en présage de l'avenir le premier passage qui se présentoit à l'ouverture d'un livre. C'étoit la Bible qu'on y employoit le plus souvent, mais on y employoit aussi. des livres profanes, et il y a eu les sortes Homericæ et les sortes Virgiliana, comme les sorts des Apôtres et des Saints.

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