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guère avoir raison alors. Jean Roscelin ou Ruscelin, chanoine de Compiègne, disciple de Jean le Sophiste, joignit aux idées des Nominaux, des erreurs qui rentroient dans la théologie, et qui, ayant été condamnées, décréditèrent cette secte dès sa naissance; Guillaume Ockam la releva. Comme dans la suite cette querelle bouleversoit toute l'Ecole, comme elle produisoit des haines, des persécutions, et toutes ces violences que les hommes savent également appliquer aux noms et aux choses, Louis XI voulut en prendre connoissance; il crut que les Nominaux avoient tort, au lieu de croire qu'il n'en savoit rien, et il fit, le 1.er mars 1473, un édit, moitié ridicule, moitié tyrannique, par lequel il ordonnoit de clouer et d'enchaîner les livres des Nominaux, pour que personne ne pût les lire, et il condamnoit au bannissement les auteurs qui soutiendroient cette doctrine: « Vous «< diriez, écrivoit Robert Gaguin à Guillaume Fichet, << que ces pauvres volumes sont des lions indomptés «< ou des furieux et des démoniaques qui vont s'élancer << sur ceux qui les regardent, et que leurs auteurs sont « des lépreux ou des pestiférés qu'il faut écarter avec

«<< soin »>.

On a beau dire, la violence réussit peu. L'Ecole s'étoit jusqu'alors partagée entre les Nominaux et les Réalistes; depuis cet édit il n'y eut plus que des Nominaux, et Louis XI, comprenant enfin que son zèle avoit été inconsidéré, rendit en 1481 la liberté aux livres et aux auteurs; alors on ne alors on ne parla presque plus des Nominaux ni des Réalistes; mais grâce à tant de commentaires et de disputes, grâce à l'ignorance du grec qui empêchoit de lire Aristote dans l'original, grâce

à l'amour de la scolastique et des subtilités, la philosophie péripatéticienne, toute bouffie de pédantisme, et toute vide de sens, s'évapora en entités morales, en parties entitatives, en intentions réflexes, en univocation de l'étre, en éduction de formes matérielles et substantielles; enfin les chimères et les ténèbres, sous le nom de philosophie, surchargeoient tellement l'esprit humain, qu'il fallut que Descartes, avant d'y introduire la moindre vérité, commençât par le dépouiller de toutes ses fausses connoissances, comme on purge un malade des humeurs qui l'accablent, avant de lui permettre une nourriture solide.

Cependant deux événemens mémorables concouroient au progrès des lettres dans le quinzième siècle; l'un étoit l'invention de l'imprimerie, l'autre la prise de Constantinople par Mahomet II. Le premier multiplia les sources de l'instruction et donna la vie aux manuscrits ensevelis dans la poussière des bibliothèques; le second fit refluer d'abord en Italie, ensuite en France, les lettres et les sciences chassées de Constantinople par les Turcs. Avant l'invention de l'imprimerie les livres étoient si rares et si chers, que Louis XI, jaloux d'enrichir la bibliothèque commencée par Charles V, négligée par Charles VI et Charles VII, ayant appris que la Faculté de Médecine possédoit les œuvres du médecin Rasès, donna, seulement pour les emprunter et en faire tirer une copie, douze marcs d'argent, vingt sterlings et une caution pour cent écus d'or. Des concordances se sont vendues cent écus, un Tite-Live cent vingt, vingt-quatre vies des Hommes illustres de Plutarque, soixante-dix. Un livre d'Heures de la bibliothèque du duc de Berry, frère de Charles V,

fut estimé huit cent soixante et quinze livres. Les livres étoient dans le commerce sur le pied des biens fonds ou d'un riche mobilier.

Quel que soit le véritable inventeur de l'imprimerie dans l'Europe, elle fut apportée à Paris vers l'an 1470, par trois imprimeurs de Mayence, Martin Krants, Ulric Géring, et Michel Friburger. Les premiers imprimeurs furent des savans distingués, parmi lesquels il ne faut point oublier dans ce siècle Jodocus Badius Ascensius, auteur de divers ouvrages latins de morale et de grammaire, d'une vie de Thomas à Kempis (1), et de beaucoup d'éditions d'auteurs classiques.

Les Grecs, fugitifs après la ruine de leur empire, ranimèrent en Italie et en France l'étude des langues, qu'ils trouvèrent abandonnée, et qui étoit d'autant plus nécessaire alors, qu'aucune nation moderne n'avoit ni une langue assez formée, ni une littérature assez féconde en chefs-d'œuvre pour pouvoir se passer des modèles de l'antiquité; et soit que l'étude de ces modèles nous ait élevés à leur hauteur, soit qu'elle nous ait placés au-dessus à quelques égards, soit qu'elle nous ait laissés au-dessous, il sera toujours prudent de chercher à conserver notre littérature par les mêmes moyens qui nous l'ont acquise.

Les Papes, dont le rétablissement des lettres fut en

(1) C'est à ce Thomas à Kempis, chanoine régulier de l'ordre de saint Augustin, qu'on a tant attribué le livre de l'Imitation, qui paroît être resté à Jean Gersen, abbé de Verceil, écrivain du treizième siècle; ce livre, a dit M. de Fontenelle, le plus beau qui soit parti de la main d'un homme, puisque l'Evangile n'en vient pas, est, dit-on, traduit dans toutes les langues; on assure qu'un roi de Maroc, montrant sa bibliothèque à un religieux européen, lui fit voir ce livre traduit en Turc, et lui dit qu'il en préféroit la lecture à toute autre.

partie l'ouvrage, recommandoient depuis long-temps, par un motif digne de leur zèle, l'étude des langues orientales; ils la regardoient comme un moyen qui pouvoit faciliter la conversion des Mahométans et des Schismatiques. En 1285, le pape Honorius IV proposoit d'établir à Paris des maîtres pour l'Arabe et les langues orientales, et il ne faisoit en cela que suivre les vues de ses prédécesseurs. Au commencement du quatorzième siècle, un simple particulier fit enfin comprendre à l'Europe chrétienne combien l'étude des langues pouvoit être utile à la religion et aux lettres; c'est le célèbre Raimond Lulle. Nous n'examinerons pas s'il fut sorcier, comme le croyoit le peuple, ou hérétique, comme le disoient ses envieux, ou martyr, comme l'ont publié ses admirateurs; mais vers l'an 1300, il écrivit à Philippe le Bel en faveur de l'étude des langues, il fit entrer dans ses vues un favori de ce prince, il tâcha d'y faire entrer l'université. Ses instances ne furent point inutiles. Clément V, ce pape si dévoué à Philippe le Bel, tint à Vienne en Dauphiné, le quinzième concile œcuménique. Raimond Lulle, secondé par Clément V, obtint de ce concile qu'on établit dans toute la chrétienté des écoles pour les langues orientales; on devoit créer à Bologne pour l'Italie, à Paris pour la France, à Salamanque pour l'Espagne, à Oxford pour l'Angleterre, et à Rome ou dans les lieux où résideroit la Cour Romaine deux maîtres pour l'Hébreu, deux pour l'Arabe, et deux pour le Chaldéen. L'établissement devoit être fait aux dépens du Pape et des prélats, excepté à Paris, où Philippe le Bel s'en chargeoit ; Raimond Lulle mourut: ce décret eut peu d'exécution;

on voit pourtant par des lettres du pape Jean XXII, qu'en 1325 on enseignoit dans l'Université de Paris le Grec, l'Arabe, le Chaldéen et l'Hébreu, mais ce fut avec peu de succès et avec peu de constance; tout se borna bientôt au jargon latinisé de la scolastique, et les lettres étoient ensevelies, lorsque les Grecs parurent vers le milieu du quinzième siècle. L'Italie reçut Emmanuel Chrysoloras, George de Trébizonde, Théodore de Gaza, Jean Argyropule, Andronic de Thessalonique, Démétrius Chalcondyle, Michel Apostolius, Planudes, Jean Lascaris, qui formèrent les Léonard d'Arezzo, les François Barbaro, les Philelphe, les Marsile Ficin, les Ange-Politien, les Guarini, les Pogge. La maison de Médicis s'illustra dans l'Europe par la protection magnifique dont elle fut prodigue envers ces savans. Les sciences et les arts se tiennent par la main, les arts régnèrent à Florence; Léon X, qui dans la suite gouverna Florence et Rome, ajouta cette capitale du monde à leur empire.

En France, Louis XI attira et accueillit ces savans étrangers, c'est un éloge que Philelphe lui donne et qu'il ne faut pas lui refuser. Vers la fin du règne de Charles VII, Lilio Grégorio, surnommé Tiphernas (1), vint s'offrir au recteur de l'Université de Paris pour faire des leçons publiques de Grec; le recteur ne vit en lui qu'un étranger pauvre qui cherchoit du pain : à peine daigna-t-il parler de ses offres à l'Université ; il en parla cependant, l'Université y fit attention, Tiphernas donna des leçons, et l'Université lui donna des appointemens. Il avoit été disciple d'Emmanuel Chrysoloras.

(1) Parce qu'il étoit de Tiferno en Italie.

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