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mêmes aggravent le tort de leur pénétration et le poids de leur supériorité par l'orgueil, par la témérité, par le pédantisme; si, quand leur mérite les expose à l'envie, leurs divisions les exposent au mépris; si la littérature se partage en sectes comme l'Ecole, si ces sectes sont injustes et intolérantes, si le bel esprit dédaigne l'érudition, si l'érudition feint de dédaigner le bel esprit et même le génie; les sages ne sont que des insensés polis, qui conspirent contre eux-mêmes avec la sottise qui les hait, avec la médiocrité qui les craint, avec la superstition qui les persécute, avec la grandeur envieuse qui les protège pour les humilier, enfin avec la barbarie qui s'agite sans cesse pour rentrer dans tout son domaine.

L'intérêt des gens de lettres, c'est d'être unis entré eux, attachés à l'ordre public, au souverain, à l'Etat, aux lois; de s'occuper du bonheur de l'humanité, surtout de celui de la patrie, d'y contribuer par leurs talens et leurs lumières. Les troubles, les révolutions, les soulèvemens sont de bonnes fortunes pour la barbarie, ce sont des calamités pour la paisible littérature. La discorde et la guerre sont horribles à ses yeux.

L'intérêt des souverains est de protéger des hommes utiles, amis de l'ordre et de la paix, dont les travaux toujours tendans à la perfection de l'espèce humaine, donnent de l'éclat à leurs règnes, embellissent la prospérité, consolent et soutiennent dans l'adversité. Comparez au règne de Philippe de Valois celui de Charles V, la question sera décidée en faveur des lettres. Considérez d'ailleurs quels sont dans la liste des rois les noms des protecteurs éclairés dont la

littérature s'honore, c'est Charlemagne, c'est le vertueux Robert, c'est Philippe Auguste, c'est saint Louis, c'est Charles V, c'est Louis XII; et le plus noble avantage de François I est de les avoir tous effacés dans ce genre de gloire.

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Amour de François I pour les lettres. Etablissement du Collège royal.

FRANÇOIS fut élevé au collège de Navarre. Il fit assez

de progrès dans les lettres pour les aimer toute sa vie, surtout lorsqu'il les connut hors du collége. Il apprit peu de latin, mais la réflexion lui fit sentir l'utilité des langues; il devina leur influence sur les opinions et la réaction des opinions sur elles; aussi favorisa-t-il toujours l'étude des langues, base de toute littérature.

Ce phénomène littéraire, cette grammaire (1) hébraïque, dédiée par François Tissot au duc de Valois, à peine âgé de quatorze ans, annonceroit que l'amour de ce prince pour les lettres avoit devancé l'âge, și une dédicace signifioit quelque chose.

Voici qui prouve un peu davantage. Lorsque le fameux Balthasar Castiglioné vint en France sous Louis XII, il fit voir au Roi et au duc de Valois la première partie de son Courtisan, ouvrage que les

(1) Voir le chap. précédent,

Italiens appellent par excellence le Livre d'Or (1). Les réflexions que fit sur cet ouvrage le duc de Valois presque encore enfant, ses conseils pleins d'esprit et de goût étonnèrent Castiglioné, qui en profita et qui s'en vanta dans la suite de son ouvrage; il se piqua de présager dès-lors tout ce que seroit un jour François I; il annonça aux lettres leur restaurateur, et il vit l'accomplissement de sa prophétie.

Aussitôt que François I est monté sur le trône, on le voit entouré de savans et occupé du progrès des lettres; mais ce qui le distingue de tant de protecteurs plus zélés qu'éclairés, c'est le choix qu'à vingt ans il savoit faire de ces savans, le parti qu'il savoit en tirer, l'art qu'il avoit de les rendre utiles.

Il avoit eu pour précepteur François de Rochefort, dont on sait peu de chose; mais l'élève atteste le mérite du maître, et l'on sait du moins qu'il eut celui de recommander toujours à François I les intérêts des lettres.

Un Génois, nommé Benoît Tagliacarne ou TailleCarne, se distinguoit par des mœurs douces et bienfaisantes, par des connoissances agréables et du talent pour la poésie latine. François I lui confia l'éducation des princes ses fils, et lui donna l'évêché de Grasse.

Etienne Poncher, évêque de Paris, avoit seul eu le courage de combattre la colère aveugle de Louis XII

(1) Le Cortegiano, il Libro d'Oro. C'est ce même Castiglioné que Charles-Quint devoit, dit-on, prendre pour second dans son combat singulier contre François I. Il eut pour femme Hippolyte Taurelle de Mantoue, qui cultivoit la poésie avec succès. Colomies nous a conservé d'elle une lettre en vers, adressée à son mari.

contre les Vénitiens, et de s'opposer à la ligue de Cambrai; Louis XII ne lui en avoit pas moins donné en 1512, les sceaux que Poncher remit en 1515 au chancelier Duprat. Ses talens l'avoient élevé à ces grandes (1) dignités; Erasme lui rend le témoignage qu'il sembloit inspiré par le ciel pour le renouvellement des lettres et de la piété. François I en jugea de même il aimoit ceux qui avoient dit la vérité à Louis XII, parce qu'ils pouvoient la lui dire aussi; il lui donna l'archevêché de Sens, et le chargea d'attirer en France des savans étrangers. Poncher procura pour quelque temps à Paris les leçons de Justiniani, évêque de Nebbio, à qui le Grec, l'Hébreu, l'Arabe étoient familiers.

Guillaume Petit avoit été confesseur de Louis XII, ce n'étoit pas une raison pour l'être de François I; mais ce prince avoit vu de près ses talens et ses vertus, il le choisit, et lui donna les évêchés de Troyes et de Senlis.

Guillaume Cop, médecin célèbre, se fit connoître par la traduction de divers ouvrages d'Hippocrate, de Gallien, de Paul OEginète; François I le fit son premier médecin.

Le fameux Pierre du Châtel dont nous avons déjà parlé, étoit savant et tolérant, (les vrais savans le sont toujours) il avoit appris le Grec sans maître, et l'avoit enseigné à Dijon. Devenu évêque par ses talens, il ne s'en crut que plus obligé à la tolérance. François I

(1) Il fut chanoine de Saint-Gatien de Tours, conseiller-clerc au Parlement de Paris, et président aux enquêtes avant d'être fait évêque de Paris en 1503. Il mourut le 24 février 1524.

le fit son lecteur, et lui donna successivement les évêchés de Tulle et de Mâcon (1). Ce prince avoit une avidité de connoître, à laquelle le savoir immense de du Châtel, nourri par les voyages, pouvoit seul satisfaire; François I savoit interroger, du Châtel savoit répondre, deux talens plus rares qu'on ne pense. François disoit de du Châtel, c'est le seul homme dont je n'aie pas épuisé toute la science en deux ans.

Guillaume Pélissier se distingua comme lui par son érudition; évêque de Maguelonne après son oncle nommé aussi Guillaume Pélissier, il fit transférer le siége épiscopal à Montpellier; il étoit abbé de Lérins. François I l'employa en 1529 aux négociations de la paix de Cambrai, sous la duchesse d'Angoulême; il l'envoya en 1540 à Venise, d'où Pélissier rapporta beaucoup de manuscrits Grecs, Hébreux et Syriaques, qui ornent aujourd'hui la bibliothèque du Roi. Il travailla sur Pline et sur d'autres auteurs anciens. On a recueilli, comme des objets de curiosité, des lettres qu'il écrivoit de Venise.

Les éloges et l'amitié des gens de lettres ont recommandé à la postérité le nom de Louis Ruzé, lieutenant civil de Paris. Seroit-ce celui dont Boursault rapporte une si singulière épitaphe, qui étoit, selon lui, dans une paroisse de Paris?

Jacques Colin, d'abord principal du collége des Bons-Enfans, puis lecteur et aumônier du Roi, et pourvu de plusieurs bonnes abbayes, poète latin, poète françois, est moins connu par tous ces titres

(1) Henri II le fit évêque d'Orléans et grand aumônier.

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