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demeurer à Tordelaguna, il époufa Dona Mariana de la Torre, fille d'un Chevalier de l'Ordre de S. Jacques, de l'ancienne Maifon de la Torre. Le premier Enfant qui fortit de ce Mariage fut François Ximenez dont j'écris la Vie. Quoy qu'il fuft l'aifné de fa Maifon, fon Pere qui eftoit peu accommodé des biens de la fortune, n'eût pas d'abord des vûes fort relevées touchant fon éducation; elles fe réduifirent toutes à le rendre capable de luy fucceder un jour dans son employ, c'eft à dire à luy faire apprendre à lire, à écrire & à chiffrer.

que

C'eftoit fait de la fortune de Ximenez, & il euft efté réduit toute fa vie à celle d'un fimple Receveur des Decimes fi les premieres vies de fon Pere avoient efté fuivies. Mais l'extrême averfion Ximenez témoigna pour cet employ, les grandes difpofitions qu'il faifoit paroiftre pour les fciences, & fon penchant pour l'état Ecclefiaftique, obligerent fon pere à changer de deffein. Il crut qu'en contraignant le genie de fon fils il ne feroit que le gafter & le rendre inutile, que la premiere éducation étant ce qui influe le plus dans tout le refte de la vie, & ce qui détermine d'ordinaire au choix des emplois, il ne réuffiroit jamais fi l'on

s'oppofoit à fon penchant, & qu'il valoit mieux feconder fes inclinations que de les combattre à contre-tems, & apparament fans fuccés. L'effet de ces reflexions fut qu'on l'envoya étudier à Alcala de Henarés, & enfuite à SalamanGomez, que, qui paffoit fans contredit pour l'U Diverfité la plus fçavante de toute l'Efpagne.

'Alvar,

Liv. I.

Comme le gouft des belles lettres n'avoit pas encore paffé dans l'Espagne, & qu'on n'y enfeignoit alors qu 'une Philofophie auffi peu utile que confufe, & une Theologie feche & barbare qui n'eftoient admirées que de ceux qui ne les entendoient pas, Ximenez aprés avoir avalé la pouffiere du College, & en avoir fouffert durant quinze ans tous les dégoufts, n'en fortit ni fort fatisfait de lui-mefme, ni fort content du tems qu'il avoit employé à apprendre des chofes qu'il luy faloit oublier, pour ainfi dire, s'il vouloit fe rendre propre aux fonctions de la vie civile. C'eft pourquoy, comme il avoit naturellement le gouft bon il changea de luy-mefme la methode & l'objet de fes études. Il s'appliqua à celle de la Jurifprudence civile & ecclefiaftique, & à celle des langues Orienta

les.

Mais Ximenez, pour s'eftre rendu l'un des plus habiles hommes de toute l'Espagne, n'en eftoit pas plus à fon aise. Il ne trouvoit aucune reffource ni dans fa famille, dont la pauvreté eftoit augmentée par le grand nombre d'enfans qui eftoient nez aprés luy, ni dans la libcralité des Grands. Comme ils ne s'occupoient alors qu'à faire la guerre aux Ennemis de l'Etat, & le plus fouvent entr'eux, ils ne pouvoient avoir qu'une tresgrande indifference pour les Siences, & tres-peu de confideration pour ceux qui en faifoient profeffion.

Cette vie obfcure & refferrée ne s'ac commodoit nullement, ni avec l'ambition naturelle de Ximenez qui n'eftoit pas mediocre, ni avec les preffentimens fecrets qu'il eût toute fa vie de la grandeur à laquelle il eftoit deftiné. Il fentit deflors du dégouft pour fa patrie, & refo

lut d'aller chercher ailleurs un établis fement qu'il defefperoit de trouver dans la Caftille: c'eftoit pourtant le lieu où il devoit faire une fortune des plus prodigieufes qu'aucun particulier ait jamais faite.

Mais Ximenez eftoit bien embaraffé fur les moyens d'executer le deffein qu'il avoit conçu. Il n'avoit ni l'équipage ni

l'argent neceffaire pour fournir aux frais d'un long voyage, fa maifon fe trouvoit dans une impuiffance abfoluë de luy fournir l'un & l'autre : Il avoit le cœur grand & naturellement ennemi des baffeffes qui font les fuites ordinaires de la pauvreté: & il eftoit d'ailleurs trop honnefte homme pour voyager en Chevalier de l'induftrie, quoique ce fuft un métier fort ordinaire à ceux de fa nation.

pour

Le feul remede qu'il trouva à cet inconvenient, fut de publier qu'il enfei gneroit le Droit à tous ceux qui voudroient le venir entendre. Sa reputation luy attira bientoft un grand nombre d'Auditeurs, & en affez peu de tems il fit la fomme dont il avoit befoin faire le voyage de Rome. Cette Capitale du Chriftianifme paffoit alors, comme elle fait encore aujourd'huy, pour , pour le lieu du monde où ceux qui avoient embraffé l'état Ecclefiaftique pouvoient en moins de tems faire la plus grande fortune, & Ximenez de fon cofté ne manquoit d'aucune des qualitez qui pouvoient le mettre en credit.

Son voyage fut d'abord affez heureux. Il traverfa une grande partie de l'Efpagne & tout le Languedoc fans aucun mauvais rencontre; Mais à peine eftoit

il entré dans la Provence qu'il fe vit attaqué par des voleurs qui le dévaliferent & luy laifferent à peine l'habit qu'il portoit. Ce contre-tems, qui penfà le déconcerter, n'eut pas pourtant toutes les fafcheufes fuites qu'il fembloit d'abord luy devoir caufer. Il rencontra à Aix, où la neceffité à laquelle il eftoit reduit l'avoit obligé de s'arrefter, un Gentilhomme Caftillan qui s'en alloit à Rome comme luy. Ce Gentihomme le voyant trifte luy en demanda le fujet. Ximenez luy aveua ingenûment qu'il ne s'eftoit trouvé de fa vie dans un eftat fi fascheux, qu'ayant efté volé, il fe trouvoit fans ar gent, dans un pays étranger dont il ignoroit la langue, & où il n'avoit aucune reffource: que pour comble de malheur il eftoit trop avancé pour retourner fur fes pas, & trop éloigné de Rome pour pouvoir continuer fon voyage.

Pendant que Ximenez racontoit l'ac cident qui lui estoit arrivé, il remarqua que le Gentilhomme le regardoit avec cette attention dont on regarde d'ordinaire ceux que l'on croit avoir autrefois connu. Ximenez de fon cofté s'imagina la mefme chose. Ils ne fe trompoient pas; car aprés s'eftre fait quelques queftions, ils fe reconnurent pour avoir étudié enfemble à Salamanque. B iiij

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